Destituer Emmanuel Macron avec l’article 68 de la Constitution ? Pas si simple


Destituer Emmanuel Macron avec l’article 68 de la Constitution ? Pas si simple

Publié le vendredi 20 janvier 2023 à 14:57

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Emmanuel Macron, lors de la cérémonie de la galette des rois à l'Elysée, le 5 janvier 2023. — Jacques Witt/SIPA

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Avec l'annonce du projet de réforme des retraites, l'idée de destituer le chef de l'Etat a gagné en popularité sur les réseaux sociaux, mais c'est méconnaître le fonctionnement des institutions

La proposition a gagné en popularité depuis la présentation du projet de réforme des retraites. Des internautes appellent à la destitution d’Emmanuel Macron par la mise en application de l’article 68 de la Constitution. Un compte propagateur de fausses informations sur Facebook, Oliv Oliv, a appelé le 11 janvier à la destitution du « roi » Macron, ce qui permettrait de « bloquer la réforme des retraites ». Pour cela, il promeut la signature d’une pétition sur le site de l’Assemblée nationale.

Cette pétition, si elle atteint 500.000 signataires, obligerait les députés à débattre à l’Assemblée nationale, explique-t-il. (Ce qui est incorrect, la conférence des présidents de l’Assemblée peut décider d’organiser ce débat, mais ils n’en ont pas l’obligation et il faut ajouter que les pétitionnaires doivent être issus d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer).

Le partisan du Frexit, François Asselineau, soutient aussi l’idée de la destitution dans une vidéo vue plus de 500.000 fois sur YouTube. Dans un tweet, il indique que les Français « s’inquiètent de la santé mentale du président », en se basant sur une interprétation erronée des propos du président au sujet d’une « dépression grave » : « Son état n’est-il pas un « cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec son mandat » qui justifie la destitution selon l’Article 68 de la Constitution ? », argue-t-il.

Dans la même veine, plusieurs tweets viraux, partagés entre 250 et 1.000 fois, défendent cette idée d’une destitution au nom de la réintégration des soignants, contre la réforme des retraites ou la hausse des prix de l’énergie.

FAKE OFF

Mais, il est fort peu probable que le chef de l’Etat soit démis de ses fonctions de la sorte. L’article 68 de la Constitution prévoit qu’un président de la République ne soit destitué « qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Qu’entend-on par cette formule ? « L’esprit, c’est de ne pas poursuivre le président de la République pour une question politique, souligne Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre. Il faut quelque chose de plus. »

Pour Jean-Eric Gicquel, professeur de droit constitutionnel et parlementaire à l’université Rennes-1, vouloir destituer Emmanuel Macron pour bloquer la réforme des retraites est même une requête « absurde ». « Le président a constitutionnellement le droit de décider d’impulser une réforme, souligne-t-il, et est protégé en cela par l’article 67 de la Constitution, qui nous dit qu’il n’est absolument pas responsable des actes accomplis en tant que chef de l’Etat. En aucun cas, on ne peut considérer qu’impulser une réforme, c’est un manquement à ses devoirs. »

Un précédent avec François Hollande

Dans quels cas pourrait s’appliquer cet article 68 alors ? « C’est toujours la grande question, commente Véronique Champeil-Desplats. Il n’y a pas de définition, c’est le grand flou. C’est la Haute Cour, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat, qui, quand elle se réunira, décidera au cas par cas quels pourraient être ces motifs. L’esprit, c’est de ne pas laisser en place un président qui serait coupable de manquements à la Constitution. »

Depuis la révision constitutionnelle de 2007, une seule résolution a été déposée par des députés. En 2016, 79 députés LR ont demandé la destitution de François Hollande en raison de ses confidences à des journalistes sur « la défense nationale », révélées dans le livre Un président ne devrait pas dire ça. Le bureau de l’Assemblée nationale, qui a examiné la proposition de résolution et vérifié sa recevabilité, l’a rejetée. Il a estimé qu’elle était irrecevable, car « ne justifiant pas des motifs susceptibles de caractériser un manquement ».

« Il n’y a pas de liste préétablie »

« Toute la difficulté de ce genre de catégorie juridique, c’est qu’il n’y a pas de liste préétablie, ajoute Jean-Eric Gicquel. Il faut, à un moment, considérer qu’on est face à un manquement incompatible avec l’exercice des fonctions. » Le rapport de la commission Avril en 2002, en préparation de cette révision constitutionnelle, a dessiné les contours de ces manquements : ce pourrait être des situations d’ordre privé, comme un meurtre ou un autre crime grave commis par le chef de l’Etat ou des comportements contraires à la dignité de la fonction.

Cela pourrait aussi comprendre une utilisation irrégulière des prérogatives constitutionnelles comme une dissolution de l’Assemblée nationale ne respectant pas les règles fixées par la Constitution, un recours irrégulier aux pleins pouvoirs de l’article 16, le refus de promulguer les lois, de signer les décrets. « Il s’agit en quelque sorte de savoir si celui qui incarne un pouvoir politique en est arrivé à rompre le lien qui l’identifiait à ce pouvoir », écrivaient les rapporteurs à l’époque.

Un processus volontairement « très complexe »

Le processus de dépôt de résolution est « lourd, très complexe », note également Véronique Champeil-Desplats, afin « d’éviter qu’un simple désaccord politique mène à une destitution ». C’est aussi une « contrepartie de l’ouverture de la responsabilité du président de la République ». Car, avant 2007, celle-ci ne pouvait être engagée que pour des crimes de haute trahison. « Il s’agissait de démilitariser cette notion pour ne pas seulement la cantonner de façon virtuelle à des cas de relations avec l’extérieur, mais aussi à des cas de manquements par rapport à des exigences constitutionnelles », analyse-t-elle.

La proposition de résolution pour destitution doit ainsi être déclenchée par des élus d’une des deux assemblées (l’Assemblée nationale ou le Sénat) et signée par au moins un dixième de ses membres, soit 58 députés ou 35 sénateurs. Elle doit être motivée. Le bureau de l'assemblée, où la requête a été déposée, examine ensuite sa recevabilité. C’est à ce niveau que s’est arrêtée la proposition de destitution de François Hollande.

Si le bureau l’avait validée, elle aurait ensuite été examinée par la commission d’examen compétente. Cette étape franchit, elle doit être débattue par l’Assemblée nationale ou le Sénat, et adoptée à la majorité des deux tiers de ses membres. Puis, la proposition est transmise à l’autre assemblée qui doit se prononcer dans les quinze jours. Si les deux assemblées l’adoptent, la Haute Cour doit se réunir et se prononcer dans un délai d’un mois. Là encore, la majorité des deux tiers est requise (soit 617 parlementaires) pour prononcer la destitution du président de la République.

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