Législatives 2022 : L’Europe « à la carte », est-ce « la fin de l’UE » comme le dit Yannick Jadot ?


Législatives 2022 : L’Europe « à la carte », est-ce « la fin de l’UE » comme le dit Yannick Jadot ?

Publié le mercredi 4 mai 2022 à 10:39

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(ISA HARSIN/SIPA)

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

La désobéissance aux traités européens est devenue un point de friction entre La France insoumise et l’ex-candidat à la présidentielle d’Europe-Ecologie Les-Verts.

L’Union européenne sera-t-elle le point irréconciliable qui empêchera un accord entre La France insoumise et Europe-Ecologie-Les-Verts ? Sur France Inter, mardi 26 avril, Yannick Jadot a expliqué pourquoi il ne pouvait pas soutenir la désobéissance civile aux traités de l’UE, portée par le parti de Jean-Luc Mélenchon.

« Je ne suis pas pour un système de l’Europe à la carte, a indiqué l’ancien candidat à la présidentielle. Quand on voit la nécessité absolue d’une Europe de la défense, quand on voit l’Europe qui va bannir tout un nombre de molécules chimiques, il n’y a que l’Europe pour faire ça. » L’eurodéputé insoumis Manuel Bompard, la veille, avait souligné sur la radio publique que des Verts étaient prêts à se mettre d’accord pour une désobéissance aux règles européennes, une position que ne partage pas Yannick Jadot : « Ce ne sera pas mon point de vue », a-t-il répondu.

Défendant l’Europe « face aux dictatures, face à l’effondrement du vivant », il a déclaré qu’il n’était « pas prêt à mettre un pied dans une logique qui voudrait dire que chaque pays va choisir les thèmes sur lesquels il est prêt à avoir une souveraineté partagée ». Pour lui, le risque est trop grand que d’autres nations puissent choisir de désobéir au détriment de l’Etat de droit ou de la fiscalité. « C’est la fin de l’UE », assène-t-il.

FAKE OFF

Selon les juristes que nous avons interrogées, la désobéissance aux traités européens créerait une situation dangereuse pour l’intégration européenne. Cette proposition mettrait fin à la primauté du droit européen sur les droits nationaux. Pour rappel, le droit de l’UE encadre la libre circulation de marchandises, de capitaux, de personnes, de prestation de services, puis a été élargi aux politiques d’asile, aux questions environnementales, aux transports, etc.

« C’est peut-être pour cette raison que le droit de l’UE suscite davantage de questions », commente Tania Racho, docteure en droit européen à l’université Paris-2 et membre du collectif de fact-checking juridique Les Surligneurs. Mais, sur le principe de fond, « si tous les Etats pouvaient déroger au droit de l’Union européenne sur la base de leur droit national, le droit de l’UE n’aurait plus aucune effectivité, plus aucun intérêt », souligne Cecilia Rizcallah, professeure de droit européen à l’université Saint-Louis à Bruxelles.

Sortir des « normes incompatibles avec les engagements écologiques et sociaux »

Elle explique aussi que les Etats membres sont soumis « à égalité aux obligations qui découlent du droit de l’UE. Si chaque Etat peut choisir à sa guise à quelle obligation il est soumis ou non, ces Etats ne seraient plus égaux devant le droit de l’UE ». « Si chaque pays applique ce droit différemment, il n’y aura plus une harmonisation, une uniformité du droit européen », abonde Tania Racho.

Dans son programme, La France insoumise explique vouloir désobéir aux traités européens, en attendant une négociation pour modifier ces derniers. Il s’agit de « cesser d’appliquer unilatéralement les normes incompatibles avec les engagements écologiques et sociaux telles que la directive sur le détachement des travailleurs, les règles budgétaires, les règles de la concurrence, la libre circulation des capitaux », est-il indiqué dans le programme. La France insoumise n’est pas le seul parti à contester la primauté du droit européen, le Rassemblement National l’attaque aussi. Chez Les Républicains, des critiques ont également été formulées. Valérie Pécresse, cet automne, a contesté la primauté du droit européen sur les « identités constitutionnelles »​ des Etats membres de l’UE.

« Un signal très dangereux pour l’intégration européenne »

« La désobéissance aux règles européennes va contre le principe de primauté du droit européen, juge pourtant Cecilia Rizcallah. Cela équivaut à ne plus respecter l’Etat de droit et les obligations juridiques en vigueur. Ce serait un signal très dangereux pour l’intégration européenne. Ce genre de discours est mortel pour l’UE », conclut-elle.

L’exemple donné par les deux juristes pour l’illustrer est celui de la Pologne. Depuis 2016 et l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste PiS (Droit et justice), un bras de fer oppose Varsovie à Bruxelles au sujet de la réforme du système judiciaire qui menace l’indépendance des juges polonais.

En octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais avait remis en cause la primauté du droit européen sur les droits nationaux. Il avait statué que l’interprétation que fait la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) des traités européens est, sur certains points, incompatible avec la Constitution polonaise. L’été dernier, La Cour de justice de l’Union européenne avait condamné Varsovie à payer​  une astreinte d'un million d'euros par jour.

« Dans l’UE, il y a des gouvernements qui affichent clairement leur intention de mettre en place des démocraties illibérales, poursuit la professeure de droit européen. Tenir ce genre de discours, c’est leur donner raison. Pour eux, c’est parfois pour discriminer les migrants, les populations LGBT, mettre à mal l’indépendance du pouvoir judiciaire. Et ce n’est pas quelque chose que l’on souhaite dans l’Union européenne. »

Les moyens d’action de la Commission européenne

Certes, le droit européen n’a jamais été parfaitement appliqué par les Etats membres et il existe déjà, dans une certaine mesure, une « Europe à la carte », avec des engagements à des niveaux variés. Des dérogations, ou « opt-out », ont aussi déjà pu être négociées en amont des traités. Le Danemark a choisi depuis trente ans de ne pas s’engager dans la politique de défense (une position qui pourrait changer via un référendum en raison de la guerre en Ukraine). « Il existe une Europe à géométrie variable, mais c’est l’exception, estime Cecilia Rizcallah. La grande majorité du droit de l’Union s’applique à tous les Etats membres. »

En cas d’opposition plus frontale, la Commission européenne a des moyens d’agir, comme elle a pu le faire en retenant des fonds destinés à la Pologne ou comme le risque la Hongrie. En imaginant un scénario français de désobéissance aux traités, « la Commission européenne ou d’autres Etats membres pourraient intenter des recours en manquement à l’encontre de la France, détaille Cecilia Rizcallah. La Cour de justice de l’UE reconnaîtrait une violation du droit de l’Union et, dans cette mesure-là, les Etats membres sont obligés de se conformer aux arrêts de la Cour de justice. Si l’Etat membre continue à être récalcitrant, la Commission peut retourner à la Cour de justice et demander à imposer des astreintes ou des amendes. »

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article