l est 23h59 à l’horloge de Poutine. Dans une étude complétée le 4 juillet, le mathématicien David Chavalarias montre comment la stratégie d’ingérence du président russe a permis d’amplifier les divisions au sein des démocraties occidentales. Et en France, les élections législatives anticipées offrent une occasion unique pour le Kremlin de voir ses efforts aboutir.

Cette étude a été réalisée grâce au projet Politoscope, qui observe depuis 2016 le militantisme politique sur X et a développé des méthodes d’analyse des dynamiques sociales et de manipulations d’opinions. La version 2024 montre « une convergence d’intérêt entre le régime de Poutine et l’extrême droite française ».

Comment ? Avec des campagnes de guerres de mèmes, d’astroturfing, c’est-à-dire d’amplification artificielle d’une idée en créant des milliers de robots, avec la création de faux sites d’information et l’utilisation des régies publicitaires des grands réseaux sociaux. Tout cela a permis « de cibler des populations et de modifier globalement l’espace informationnel », explique le directeur de recherche CNRS au Centre d’analyse et de mathématiques sociales et directeur de l’Institut des systèmes complexes de Paris Ile-de-France.

A lire l’étude, on a l’impression qu’effectivement « tout se passe comme prévu » pour Vladimir Poutine depuis 2016…

C’est le titre que j’ai utilisé pour attiser la curiosité, mais il ne faut pas croire que le Kremlin est l’auteur de tous les événements. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que quand vous êtes face à un système, comme le système informationnel, et que vous vous donnez le temps d’agir dessus, vous pouvez vraiment en réorienter le cours avec des actions relativement limitées, comme les milliers de bots. Ce sont des stratégies qui sont globales et, parce que le système informationnel est un système complexe, marchent sur le long terme.

Comment repérez-vous les synergies entre l’extrême droite française et le Kremlin sur les réseaux sociaux ?

Quand je parle de synergie, je ne parle pas de coopération ou de collusion. Mais au niveau conquête politique, on a clairement des intérêts convergents. Le RN est quasiment le seul parti qui, par le passé, a fait des déclarations d’amitié envers Vladimir Poutine et qui, dans les faits, a dit qu’il soutiendra moins l’Ukraine que ne le fait le gouvernement actuel. Par ailleurs, le Kremlin a intérêt à avoir ce genre de parti au pouvoir parce qu’il s’intéressera moins à sa politique étrangère.

L’action du Kremlin, qui va profiter au RN, est une action de fond qui vise à amplifier les divisions internes de la société française et la pousser au maximum vers le chaos. Ce qui va créer un mécontentement général et une demande de système alternatifs. Au moment où cette demande arrive, il va commencer à favoriser une proposition sur une autre. Par exemple, il va dénigrer la principale position concurrente à Marine Le Pen avec certains faux comptes, en la poussant vers la radicalisation avec d’autres faux comptes qui vont créer des contenus extrêmement violents et, puis, en créant sur le terrain un sentiment d’hostilité et d’insécurité, par exemple avec les tags des étoiles de David [en novembre 2023] ou de mains rouges sur le mémorial de la Shoah.

Il va essayer de forcer le choix pour une option en rendant l’autre option moins désirable. Par exemple, il va essayer de contribuer à dénigrer le Nouveau Front populaire, de forcer l’amalgame entre Front populaire = LFI = soutien aux Palestiniens = soutien au Hamas = soutien à un Etat terroriste. On va rendre les options alternatives inégales.

En faisant cela, vous augmentez la température dans le système, et ensuite, vous vous arrangez quand les citoyens veulent faire des choix de systèmes alternatifs pour qu’il y ait un système qui soit plus avantagé que l’autre. Il ne s’agit pas de dire que ce sont des interventions qui sont déterministes, au sens où nécessairement elles décideraient des actions de chacun, mais quand vous êtes face à un système complexe, donc très large, vous avez des effets statistiques. Si vous êtes capables d’orienter un petit peu les mouvements d’opinion, ça peut avoir un effet très important.

A quels moments clés de la vie politique française observez-vous cette amplification ?

Sur la guerre à Gaza, on a repéré un compte qui est le compte le plus vocal. Quand on regarde ce qu’il dit et son historique, on voit que c’est un compte qui a relayé majoritairement la propagande du Kremlin depuis 2020. Il a été créé en mars 2020 et maintenant, il se concentre à inonder d’horreurs LFI, probablement dans l’espoir de les radicaliser. Ce compte-là, il est au minimum en train d’amplifier la propagande du Kremlin.

D’autres comptes identifiés ont été acteurs au moment de la polémique sur l’islamo-gauchisme et s’étaient « déguisés » en comptes d’extrême droite. A l’époque, quand on allait sur leurs comptes, on voyait que c’était des contenus liés au RN et rétrospectivement, quand on retourne voir qui ils sont, ce sont des comptes en cyrillique et ce sont des vraies personnes. Et le plus probable, c’est que c’est un ancien compte de ferme à trolls qui maintenant a rebrandé son compte.

D’autres comptes ont 0 abonné, tout le profil d’un troll et ils vont essayer de se faire passer pour des islamistes radicaux et aller critiquer l’extrême droite pour raviver les divisions. Et donc vous avez quelque chose d’assez convergent avec la stratégie globale du Kremlin.

Pour le Kremlin, l’amplification de concepts clivants, liés par exemple à l’extrême droite, est intéressante. A chaque fois, on part d’une fracture existante ou d’une volonté de certains acteurs de déstabiliser la société, et on va les accompagner.