D’où provient ce sondage annonçant Eric Zemmour vainqueur de l’élection présidentielle?


D’où provient ce sondage annonçant Eric Zemmour vainqueur de l’élection présidentielle?

Publié le mercredi 6 avril 2022 à 15:57

– Mis à jour le mercredi 6 avril 2022 à 15:20

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Eric Zemmour dans l'émission Elysée 2022 sur France 2, le 5 avril

(Thomas Coex / AFP)

Auteur(s)

Mathilde Roche

Le faux résultat d’une enquête d’opinion, associé au quotidien suisse «le Temps», circule parmi les partisans du candidat d’extrême droite depuis fin mars.

Vous nous interrogez sur une image imitant un résultat de sondage et circulant depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, parmi les partisans d’Eric Zemmour et plus largement dans les sphères complotistes. L’infographie, rédigée en anglais, avec un entête en chinois, donne le candidat d’extrême droite en tête du premier tour, puis gagnant du second tour face à Jean-Luc Mélenchon. Pour renforcer la crédibilité dudit «sondage», est donnée une «source» : «Singapore Investment Fund in collaboration with le Temps», soit un partenariat entre un fonds d’investissement singapourien et le quotidien national suisse.

Richard Werly, correspondant permanent de ce journal à Paris, en charge des articles sur la politique française, affirme auprès de CheckNews «Le Temps n’a commandé aucun sondage sur l’élection présidentielle et nous n’avons pas l’intention de le faire.» Les derniers articles publiés sur cette actualité intégraient de fait des estimations d’Ipsos, indiquant Emmanuel Macron en tête, suivi de Marine Le Pen, talonnée par Jean-Luc Mélenchon, et Eric Zemmour en quatrième position. Soit les résultats calculés par la plupart des instituts de sondages au mois de mars.

Aucune trace du Singapore Investment Fund

Si dans les posts les plus récents, l’image en question a perdu en qualité à force d’être copiée, collée et partagée sur les réseaux sociaux, on la trouve bien nette dans un tweet du 28 mars, soit sa première occurrence. L’infographie du «sondage» fait maison est d’ailleurs le tout premier post de ce compte d’un «Retraité Français de l’étranger habitant à Séoul», selon sa bio. Avec quelques hashtags sur la présidentielle et deux émojis interrogateurs, il légende : «Les sondages faits à l’étranger sont différents de ceux de la métropole.»

On notera que les sondages politiques anglophones se disent «poll» et non «survey», ou encore que l’inscription en chinois traduite donne «fondation internationale» et non pas «fonds d’investissement». Si la Singapore International Foundation existe, l’ONG ne réalise aucun sondage politique, encore moins sur les élections françaises. Et il n’y a aucune trace d’un organisme du nom de Singapore Investment Fund en ligne, ce qui semble improbable pour un institut qui ferait des travaux internationaux relayés dans toute l’Asie de l’Est.

Ce sont en effet les arguments de ce compte qui précise ne prendre parti pour aucun candidat, mais simplement relayer «les informations d’Asie orientale», avec des «salves de sondages disponibles en Chine et Corée du Sud». Le 1er avril, cet internaute a ainsi publié de nouvelles infographies, en actualisant les chiffres de ce «sondage effectué entre le 30 mars et le 1er avril, auprès de 2 988 Français résidant à l’étranger et 7 413 Français résidant en France». Un autre tweet dans la même journée indique : «Honnêtement je doute de la fiabilité des sondages des médias français, après je ne fais pas totalement confiance à des sondages chinois non plus. On verra bien ce que ça donnera.» Et depuis ? Aucune activité.

Dans ses likes, à part ses propres posts, on trouve un autre faux sondage, publié le 13 mars, qui donnait également une source «sondage suisse indépendant réalisé en France», et tous les tweets d’Alexis Wagram, soutien d’Eric Zemmour à la présidentielle.

Entre 9 et 10% d’intentions de vote

Pourquoi le Temps a-t-il été choisi pour être affilié à ce montage ? On peut imaginer que l’auteur a trouvé dans ce titre l’avantage d’être un journal sérieux, francophone mais indépendant des médias français, comme l’écrit le tweet sur lequel nous avons été saisis. Richard Werly ajoute une autre piste de réflexion : «J’ai une chronique hebdomadaire dans le Temps et il y a deux mois, j’en ai publié une intitulée En 2022, ne fais pas confiance aux sondages français…, qui est devenu une espèce de best-seller dans la mouvance zemmourienne. Si je posais la question “le vote pour Zemmour est-il sous-estimé”, à aucun moment je n’y répondais par l’affirmative. J’émettais un certain nombre d’avertissements – qu’on a aussi pu lire dans d’autres médias – sur le fait que les sondages ne disent pas tout et peuvent manquer de précisions, en interviewant plusieurs sources».

S’il est vrai que les sondages ont parfois sous-estimé des candidats – qui critiquent régulièrement la méthodologie des instituts –, Eric Zemmour est donné, ce lundi, entre 9% (OpinionWay – Kéa Partners pour les Echos et Radio Classique) et 10% (Ifop-Fiducial pour Paris Match, LCI et Sud Radio) des intentions de vote au premier tour.