Est-il vrai, comme l’affirme Emmanuel Macron, que la France n’achète pas de gaz à l’Azerbaïdjan ?


Est-il vrai, comme l’affirme Emmanuel Macron, que la France n’achète pas de gaz à l’Azerbaïdjan ?

Publié le mardi 18 octobre 2022 à 10:29

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Emmanuel Macron était l'invité de «l'Evénement», présenté par Caroline Roux, mercredi sur France 2. 

(Ludovic Marin/AFP)

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François Vaneeckhoutte

Mercredi soir sur France 2, le Président a affirmé que la France n’était pas cliente du gaz azerbaïdjanais, en dépit de l’accord européen passé récemment avec le régime de Bakou.

Invité mercredi dans l’émission l’Evénement sur France 2, Emmanuel Macron s’est voulu catégorique lorsque Caroline Roux l’a interrogé sur une potentielle forme de «tolérance» vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, du fait d’un «accord scellé sur le gaz».

«— La France n’achète pas de gaz là-bas, il n’y a pas d’accord…

— L’Europe oui ?

— Plusieurs pays européens ont des accords gaziers, bien sûr.»

Pas de gaz importé ces dernières années

La France n’a pas importé, ces dernières années, de gaz en provenance de l’Azerbaïdjan. D’après la direction générale du Trésor, les achats français en provenance de ce pays étaient composés à 98 % de pétrole brut. Ils étaient par ailleurs en chute libre ces dernières années, de 606 millions d’euros en 2019 à 105 millions en 2020, puis à 79 millions en 2021 – ce, en dépit de la reprise économique post-coronavirus.

Mais quid du récent accord européen avec l’Azerbaïdjan ? Peut-il profiter à la France ? Le dernier accord en date, évoqué par Caroline Roux, a été signé le 18 juillet à Bakou par l’Union européenne et la présidente de sa Commission, Ursula von der Leyen. Dans cet accord figure un «engagement à doubler la capacité du corridor gazier sud-européen», afin de faire passer les importations européennes de gaz azerbaïdjanais de 10 à 20 milliards de mètres cubes d’ici à 2027. Le tout avec un objectif : pouvoir remplacer le plus rapidement le gaz russe, qui représentait jusque-là plus de 40 % de la consommation de gaz de l’Union.

Cet accord ne consiste pas en un achat groupé : comme l’a confirmé la Commission européenne à CheckNews, «il n’y a pas d’allocation concernant les achats éventuels de certains Etats membres. Le gaz est ou serait acheté par des sociétés». Des sociétés, et non des Etats : sur le marché gazier, ce sont en effet les fournisseurs d’énergie, comme Engie en France, qui achètent le gaz aux sociétés des pays producteurs.

Les Etats, toutefois, ont leur mot à dire dans le processus. «Comme ce sont des questions stratégiques, elles impliquent un feu vert des Etats concernés et des négociations entre Etats avant les négociations entre les sociétés», explique Francis Perrin, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Ainsi, une société française important du gaz de l’Azerbaïdjan aurait nécessairement obtenu le feu vert de l’exécutif.

Du gaz azerbaïdjanais arrivera-t-il en France ?

Plusieurs facteurs tendent par ailleurs à limiter les chances de voir des sociétés françaises aller se fournir en gaz chez cet Etat du Caucase.

En premier lieu, le gaz provenant d’Azerbaïdjan est livré à l’Europe par le biais d’un gazoduc – baptisé Southern Gas Corridor – qui traverse la Géorgie et la Turquie avant de rejoindre la Grèce, l’Albanie et enfin le sud de l’Italie. Or, comme pour tout gazoduc, les principaux acheteurs de gaz sont les pays situés sur le parcours ou à proximité du gazoduc : sans surprise, les deux principaux importateurs de gaz azerbaïdjanais en 2021 étaient l’Italie et la Turquie, suivis de la Bulgarie, la Grèce, la Croatie ou la Géorgie. Une liste qui devrait peut changer en 2022, en dépit de la hausse de près de 50 % des exportations gazières de l’Azerbaïdjan à destination de l’UE.

Si la France ne devrait donc pas devenir l’un des principaux clients de l’Azerbaïdjan, il n’est pas impossible que certains de ses fournisseurs en importent pour autant, grâce aux interconnexions du réseau gazier européen. Comme l’explique Francis Perrin, «si ce gaz arrive en Italie, il pourrait en théorie aller en France ou vers d’autres pays de l’UE».

D’autres pays, plus dépendants de ces livraisons, devraient toutefois être plus demandeurs. «L’idée, à partir du Corridor sud, c’est plus de fournir des pays de l’Europe du Sud, de l’Europe de l’Est, puis de remonter vers des pays d’Europe centrale à partir de l’Italie. Notre pays peut importer du GNL [gaz naturel liquéfié, ndlr], possède déjà un approvisionnement diversifié… On n’est pas forcément la cible prioritaire», confirme le spécialiste. Des importations ponctuelles, sur des contrats de court terme, pourraient toutefois survenir.

Reste une troisième possibilité : l’achat par une société française de gaz azerbaïdjanais stocké par un opérateur étranger, par exemple en Italie – dans la mesure où une fois stockée, on ne peut plus dire si une molécule de gaz, identique à toutes les autres, vient d’Azerbaïdjan ou d’ailleurs. Une molécule issue d’un tel échange ne serait donc pas «traçable». Mais là encore, cela ne correspondrait pas à une importation directe de gaz auprès de la Socar, la compagnie pétrolière nationale de l’Azerbaïdjan.

Si la France n’est donc pas en première ligne dans cet accord avec l’Azerbaïdjan, le discours d’Emmanuel Macron sur les «valeurs» peut malgré tout laisser sceptique. Le président de la République avait en effet reçu cet été à l’Elysée le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, en insistant devant son hôte sur «l’importance» d’engager la «diversification des approvisionnements énergétiques» des pays de l’Union européenne.