Est-il vrai que «5 millions d’immigrés seront entrés en France» à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, comme l’affirme Pascal Praud ?


Publié le mardi 30 avril 2024 à 11:16

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Pascal Praud à Paris en octobre 2021. 

(Alain Jocard / AFP.)

Auteur(s)

Clémence Martin

Sur CNews, le chroniqueur de «l’Heure des pros» avance le chiffre de 500 000 entrées d’immigrés chaque année. Mais le cumul qu’il opère n’a pas de sens.

«Le bilan d’Emmanuel Macron est effrayant», déplore Pascal Praud mercredi 24 avril sur le plateau de l’Heure des pros, émission qu’il anime sur CNews. Paume ouverte en grand, faisant le signe cinq de la main, le chroniqueur affirme qu’à «la fin du quinquennat Macron, des dix ans Macron, vous aurez 5 millions d’immigrés qui seront entrés sur le sol de France». Plus tard dans la séquence, il force un peu plus le propos, passant du futur au présent : «Vous avez 5 millions de gens qui sont entrés.»

Pascal Praud ne fait que reprendre un chiffre désormais bien installé dans le débat public, selon lequel 500 000 immigrés entrent chaque année en France. En le multipliant par les dix années qui auront été passées sous le mandat d’Emmanuel Macron, il parvient ainsi à 5 millions d’entrées. Au prix de nombreuses confusions.

Pas forcément une entrée physique sur le territoire

D’où vient, d’abord, le chiffre de 500 000 entrées régulières chaque année ? Depuis des années, des élus de droite ou d’extrême droite ont pris l’habitude (mauvaise) d’estimer le nombre d’entrées annuelles d’immigrés en additionnant les titres de séjour octroyés et les demandes d’asile.

Si on prend les derniers chiffres de l’immigration en 2023, qui ont été publiés en janvier, on constate 323 260 délivrances de premiers titres de séjour. On trouve dans ce total des immigrés pour motif économique (54 630), pour motif familial (91 020) ou encore des étudiants (103 520). Si on y ajoute les premières demandes d’asile enregistrées en 2023 (145 522), on arrive à un total de 468 782, proche de 500 000. En procédant de la même manière en 2019, on arrivait à 425 923. Que Pascal Praud arrondit à 500 000. Mais là n’est pas l’essentiel.

Première erreur : un premier titre de séjour n’est pas forcément une entrée physique sur le territoire. Ainsi, en 2023, parmi ces 323 260 titres délivrés, certains concernent des personnes déjà présentes depuis des années sur le territoire. Les personnes «régularisées» sont dans ce cas. Les régularisations («admissions exceptionnelles au séjour», dans le jargon) représentent chaque année autour de 30 000 personnes. Elles étaient 30 950 en 2017 selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, et 34 403 en 2023. Ce qui signifie qu’entre 10 % et 15 % des premiers titres de séjour sont donnés à des personnes régularisées parfois présentes sur le territoire depuis plusieurs années.

Un calcul qui revient à compter deux fois

Un autre gros problème du raisonnement de Pascal Praud (et de ceux qui l’ont devancé dans cette démonstration) tient aux personnes bénéficiant de l’asile. Praud, on l’a vu, additionne les titres de séjour et les demandes d’asile. Certes, les statistiques des délivrances de premiers titres de séjour n’intègrent pas (logiquement) les demandeurs d’asile. Mais elles intègrent les bénéficiaires de l’asile… qui sont des personnes ayant été précédemment enregistrées dans les demandes d’asile. Et que le calcul de Praud revient à compter deux fois.

Une personne demandant l’asile sera comptabilisée parmi les demandes d’asile, avec un titre temporaire l’autorisant à rester sur le territoire le temps de l’instruction de sa demande. Si elle obtient la protection, elle apparaîtra ensuite dans la catégorie des admissions au séjour au titre de l’asile. Ainsi, parmi les 323 260 admissions au séjour en 2023, plus de 47 680 concernent un motif humanitaire, dont 32 630 réfugiés et apatrides et 11 600 bénéficiaires de la protection subsidiaire. Qui ont tous été des demandeurs d’asile.

Certains ont possiblement été comptabilisés dans les deux catégories la même année. Imaginons un demandeur d’asile ayant fait sa demande d’asile en janvier 2023, obtenant la protection et un titre de séjour quelques mois plus tard. Il figure parmi les demandeurs de 2023, et aussi parmi les titres de séjour au titre de l’asile la même année.

Si le demandeur en 2023 obtient la protection l’année suivante, il ruine tout autant le raisonnement de Praud : Il apparaîtra parmi les demandeurs en 2023, puis, en 2024, dans les premiers titres de séjour. Praud, qui cumule les «entrées» enregistrées chaque année comme s’il s’agissait forcément de personnes différentes, le comptera également deux fois. Idem pour des demandeurs d’asile déboutés qui resteront sur le territoire et finiront par être régularisés. Ils finiront aussi par apparaître, au moment de leur régularisation, (dans les années à venir) dans les statistiques de l’admission au séjour.

«Il ne prend pas en compte les sorties du territoire»

Au-delà de ces incompréhensions statistiques, l’affirmation de Praud est trompeuse pour une raison beaucoup plus simple. «Il ne prend pas en compte les sorties du territoire», déplore auprès de CheckNews Hervé Le Bras, chercheur émérite à Institut national d’études démographiques. Le chroniqueur de CNews induit l’idée d’une accumulation successive menant à 5 millions d’immigrés supplémentaires en France. Or les immigrés qui entrent ne restent pas tous, et d’autres immigrés (arrivés plus tôt) partent. Dans les nouveaux titres de séjour, on trouve ainsi, explique Hervé Le Bras, «les étudiants étrangers qui sont là sur le court ou très court terme». Et dont certains quitteront le pays après leurs études. Il en va de même pour les saisonniers par exemple. Ou encore, parmi les demandeurs d’asile, pour les personnes déboutées qui quitteront le territoire après avoir échoué à obtenir la protection.

Hervé Le Bras enjoint, pour mesurer la progression du nombre d’immigrés en France, de se référer aux données de l’Insee, basées sur les «enquêtes de recensement». Ces dernières, qui tiennent compte des départs et aussi des décès, montrent une progression évidemment plus modérée que celle dont Praud croit devoir s’affoler. En 2020, l’Insee comptait 218 000 arrivées d’immigrés, et 58 000 départs d’immigrés. Soit un flux migratoire «positif» de 160 000. Cette année-là, 71 000 immigrés sont également décédés. La population immigrée a progressé de 89 000 personnes, selon les calculs de l’Insee. On pourrait faire la même opération pour les autres années du mandat de Macron. Et il n’y aura évidemment pas, en 2027, 5 millions d’immigrés de plus qu’il n’y en avait en 2017.

Au-delà de ce débat de chiffres franco-français, l’immigration peut aussi s’apprécier relativement à celles des pays voisins. Et comme CheckNews l’expliquait encore au mois de novembre, le nombre d’entrées d’immigrés en France en 2022 (0,5 % de la population totale du pays) «reste très inférieur aux autres pays de l’OCDE et à beaucoup de pays voisins comme la Suède (0,89 %), le Royaume-Uni (0,77 %), l’Allemagne (0,77 %) ou l’Espagne (0,89 %)». De même, sur la dernière décennie, les chiffres de l’OCDE montrent que l’augmentation de la part de personnes nées à l’étranger dans la population a faiblement augmenté en France, en comparaison avec beaucoup d’autres pays.