L’acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes, possède-t-il un «faible taux de toxicité», comme l’affirme le sénateur Laurent Duplomb ?
Publié le mardi 11 février 2025 à 11:11
Illustration d'épandage de pesticides dans un champ.
(Philippe HUGUEN / AFP)
- Auteur(s)
Coppélia Piccolo
L’élu LR de Haute-Loire, coauteur du texte visant à réintroduire temporairement l’acétamipride en France, affirme que plusieurs études ne le classent pas comme «produit toxique». Sa toxicité a pourtant été plusieurs fois avérée.
«Tueur d’abeilles» ou produit «non toxique» ? Après l’adoption par le Sénat, lundi 27 janvier, d’un texte permettant de réintroduire, «à titre dérogatoire» et «exceptionnel», l’acétamipride – un pesticide de la famille des néonicotinoïdes autorisé en Europe jusqu’en 2033 mais interdit en France depuis 2018 – arguments et contre-arguments ont resurgi dans le débat public.
Lors d’une émission diffusée le 28 janvier sur Public Sénat, Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire et rapporteur de la proposition de loi, s’est appliqué à défendre son texte. Celui qui possède la double casquette d’agriculteur et d’élu a indiqué que «l’acétamipride n’était pas considéré par l’Efsa [l’autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr] et d’ailleurs aussi par l’Anses [l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] comme un produit toxique. Elles le disent dans plusieurs analyses. Elles ne disent pas non plus que c’est un produit qui tue les abeilles.» Et de poursuivre : «On a voulu faire de la politique avec cette interdiction, alors que la réalité scientifique nous aurait largement laissé la possibilité de continuer son utilisation. On n’était pas obligé de l’interdire dès 2018.»
Quelques jours plus tard, lundi 3 février, le journaliste et militant environnemental Hugo Clément poste sur ses réseaux sociaux une vidéo réfutant les affirmations du sénateur. Il en fait ensuite l’objet de sa chronique hebdomadaire sur France Inter. Le journaliste explique avoir contacté deux scientifiques spécialistes du sujet qui font état d’une «une toxicité terrible» du pesticide.
Le journaliste cite également un rapport de l’Anses relatif à une demande d’autorisation de mise à disposition sur le marché d’un produit à base de ce pesticide. «Etant donné la forte toxicité de l’acétamipride pour les organismes aquatiques et terrestres, tout rejet vers les sols, les égouts, les plans d’eau ou les cours d’eau doivent être empêchés», mentionne ce texte mis en avant par Hugo Clément.
«Sévères effets négatifs»
Contacté par CheckNews, le sénateur de Haute-Loire Laurent Duplomb maintient ses propos. Selon lui, l’Anses n’a jamais établi la toxicité de l’acétamipride. Le sénateur souligne que le rapport mentionné par Hugo Clément, daté de 2022, fait référence à un produit destiné à la lutte contre les nuisibles dans le bois, et «ne correspond pas du tout à une utilisation dans les vergers, ce que je décris».
«Hugo Clément fait dire ce qu’il veut à n’importe quelle étude et manipule les lecteurs avec des informations qu’il sort de son contexte», s’indigne le sénateur. L’étude à laquelle se rapporte le journaliste concerne en effet le Technivert, un biocide destiné à la lutte contre des termites.
Toutefois, plusieurs autres études menées par l’Anses, concernant les «risques que présentent les insecticides à base de substances de la famille des néonicotinoïdes», attestent bien de la toxicité de ces produits sur la santé des abeilles. Et l’acétamipride appartient justement à cette catégorie, aux côtés de la clothianidine, l’imidaclopride, le thiaméthoxame, et du thiaclopride.
«Les connaissances disponibles montrent, en effet, qu’en l’absence de mesures de gestion adaptées, l’utilisation des néonicotinoïdes entraîne de sévères effets négatifs sur les espèces pollinisatrices […]. Ils ont notamment des effets sublétaux – c’est-à-dire n’entraînant pas de mortalité mais d’autres effets susceptibles de nuire à la ruche – lorsque ces espèces sont exposées à des doses d’exposition faibles pendant de longues périodes», peut-on lire sur le site de l’Anses.
«Moins toxique ne veut pas dire non toxique»
Les conclusions de l’Anses sont reprises par Jean-Marc Bonmatin, chimiste et chercheur au CNRS, spécialiste des néonicotinoïdes. Le toxicologue nuance les affirmations de Laurent Duplomb selon lesquelles «l’acétamipride est systématiquement amalgamé aux autres néonicotinoïdes tueurs d’abeilles alors que cette molécule […] ne présente pas du tout le même profil écotoxicologique».
Le chercheur assure que les «néonicotinoïdes ont tous le même mode d’action et sont tous toxiques, même s’ils le sont à des degrés différents». Et l’expert de poursuivre : «Si on considère uniquement la toxicité aiguë, c’est-à-dire une dose unique à laquelle un groupe d’insectes doit être exposé pour que la moitié meure – aussi appelé “dose 50 %” –, on trouve en effet que l’acétamipride est le moins toxique des néonicotinoïdes pour les abeilles. Mais moins toxique ne veut en aucun cas dire non toxique.»
Laure Mamy, directrice de recherche à l‘Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) abonde : «L’acétamipride est un insecticide : par définition, il tue tous les insectes, y compris ceux qui n’étaient pas visés par son utilisation au départ. Ainsi, lorsqu’une abeille va butiner une fleur contaminée, elle va ingérer ce néonicotinoïde présent dans le pollen ou le nectar. Lorsque la quantité d’acétamipride est inférieure à la dose mortelle, cela ne la tue pas directement. Mais l’insecticide, qui agit sur son système nerveux central, peut perturber la croissance ou la reproduction.»
Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Inrae, précise par ailleurs que «l’abeille n’est pas l’animal le plus représentatif», puisqu’elle est «très résistante». «Mais si on regarde la toxicité de l’acétamipride pour tous les insectes, et pas que pollinisateurs, ce produit est six fois plus toxique que l’imidaclopride, autre néonicotinoïde», poursuit-il.
Problèmes de neurodéveloppement chez le fœtus
Jean-Marc Bonmatin affirme aussi que prendre uniquement en compte la toxicité aiguë, comme le fait le sénateur de Haute-Loire, est réducteur : «Pour les abeilles, il faut regarder la toxicité chronique. Les abeilles ne se nourrissent pas une seule fois, mais par doses répétées sur un plus long terme.»
En outre, le chimiste-toxicologue assure que «si l’acétamipride n’est pas le pire néonicotinoïde pour les abeilles», il est «celui qui pose le plus de problèmes actuellement pour la santé humaine, car il génère une substance organique qui réside et persiste dans le corps». Et le spécialiste de citer une liste des effets délétères liés aux néonicotinoïdes : problèmes de neurodéveloppement chez le fœtus, obésité et diabète de type II chez l’enfant, maladies du spectre autistique, maladies rénales chroniques, cancers du foie…
L’Efsa, équivalent européen de l’Anses, reste, elle, plus vague sur la toxicité de l’acétamipride pour les pollinisateurs. Dans sa dernière évaluation complète des risques publiée en 2016, l’organisme européen mettait en avant un manque de données disponibles «pour effectuer une évaluation complète des risques du néonicotinoïde pour les bourdons ou les abeilles solitaires».
Jean-Marc Bonmatin explique que cette différence entre les conclusions de l’Anses et l’Efsa réside dans la méthodologie utilisée. L’organisme européen ne prend en compte «que le principe actif, c’est-à-dire la substance qui confère les propriétés au pesticide». Il ne prend pas en compte les co-formulants, comme le fait l’Anses. «Or ces molécules peuvent augmenter la toxicité générale du pesticide», complète Laure Mamy.
En mai 2024, l’organisme européen a toutefois publié de nouvelles conclusions sur la toxicité de cet insecticide, en particulier sur la santé humaine. Il considère qu’il existe des «incertitudes majeures» concernant la «neurotoxicité développementale» des néonicotinoïdes, c’est-à-dire un potentiel effet nocif sur le système nerveux. L’Efsa ne propose toutefois pas d’interdire la substance, mais recommande de diviser par cinq les doses journalières admissibles. Elle invite également la Commission européenne à revoir à la baisse les limites maximales de l’acétamipride pour au moins 38 produits autorisés dans l’UE.
Une substance «systémique»
Dans un autre contre-argument, le sénateur LR et ancien président de la FNSEA de Haute-Loire note qu’un arrêté pris en 2003, puis renforcé en 2021, «interdit l’épandage de tous les insecticides en présence de pollinisateurs, quelle que soit la culture concernée». Ce qui lui fait dire que «non seulement l’acétamipride a un faible taux de toxicité pour les abeilles, mais en plus, il n’y a aucune chance qu’en France, elles ne soient mises en présence de l’insecticide».
Or, comme l’a démontré l’Anses, le néonicotinoïde est une substance dite «systémique», c’est-à-dire qu’elle «se diffuse dans toute la plante pour la protéger des ravageurs», et persiste bien après sa phase d’épandage dans les végétaux et l’environnement. «L’efficacité de ce pesticide s’étale du semis à la récolte pour les plantes. C’est exactement le même mécanisme pour les abeilles, elles peuvent être touchées du semis à la récolte, et au-delà», explique Jean-Marc Bonmatin.