L’éducation nationale a-t-elle «perdu 750 000 élèves» depuis dix ans, comme l’affirme Anne Genetet ?
Publié le mardi 19 novembre 2024 à 11:45
(Ludovic Marin / AFP )
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Anaïs Condomines
Afin de justifier la suppression à venir de 4 000 postes d’enseignants, la ministre s’appuie en partie sur les données démographiques. Quitte à prendre un peu d’avance dans les projections.
Invitée sur BFMTV mardi 12 novembre, la ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a justifié la suppression de 4 000 postes d’enseignants prévue par le budget 2025, en se fondant en partie sur un argument démographique : «Rien qu’à cette rentrée, on a perdu 100 000 élèves. Rentrée prochaine ? 100 000 encore de moins», indique-t-elle. Avant d’ajouter, semblant cette fois expliquer les suppressions de postes intervenues précédemment : «On a toujours tous les ans supprimé un peu des postes. Heureusement, parce que depuis dix ans on a perdu 750 000 élèves, donc c’était logique de s’adapter.»
Une déclaration que le bureau de presse du ministère de l’Education nationale corrige auprès de CheckNews. Graphique à l’appui, il présente en fait cette donnée comme la variation cumulée du nombre d’élèves des premier et second degrés, dans le public et le privé… entre 2018 et 2027. On constate en effet, sur ce tableau établi notamment par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) que l’éducation nationale connaîtra à la rentrée 2027 un déficit d’environ 700 000 élèves. Mais il s’agit donc d’une projection, et non du nombre d’élèves scolarisés «perdus depuis dix ans», contrairement à ce qu’affirme Anne Genetet.
Si on regarde l’évolution des effectifs sur les dix dernières années, on constate une baisse, mais moindre. D’après les chiffres de la Depp consultés par CheckNews dans le premier et du second degré, sur dix ans (entre 2013 et 2023), les effectifs du premier degré diminuent de 405 000, quand ceux du second degré augmentent de 213 676. Soit une perte de 191 324 élèves. Il y a donc bien une baisse des effectifs depuis dix ans, mais qui est (très) loin d’atteindre les proportions avancées par Genetet. Même si la tendance sur les dernières années est clairement à la baisse.
Ainsi, après une hausse, les effectifs scolaires (primaire et secondaire confondus) ont diminué entre 2017 et 2023, de 350 000 élèves selon le rapport «Revue de dépenses : dispositifs en faveur de la jeunesse» réalisé en avril par l’Inspection générale de l’éducation et l’inspection des finances. Sur cette période, cette baisse est due à la forte érosion des effectifs dans le premier degré, et à peine modérée par l’augmentation dans le secondaire (collèges et lycées).
«Faire des économies sur le dos de l’école»
Même si les suppressions de postes annoncées se concentrent essentiellement sur le premier degré (moins 3 155 postes dans les maternelles et primaires publiques, moins 180 dans le second degré), les syndicats dénoncent une incohérence politique. Auprès de CheckNews, la secrétaire générale du SNES-FSU, Sophie Vénétitay, estime que «l’argument démographique avancé par la ministre ne tient pas, puisque lorsque les effectifs ont augmenté, des postes ont été supprimés. La réalité, c’est que ces suppressions sont donc un choix politique qui consiste à faire des économies sur le dos de l’école».
Pour les syndicats, il faudrait justement profiter de la baisse des effectifs des élèves pour améliorer les conditions d’enseignement. «A ce moment précis où l’on aurait justement pu utiliser cette baisse démographique pour avoir un appel d’air et mieux répartir les élèves par classe, le gouvernement décide que la priorité ne sera pas donnée à l’école», jugeait ainsi la secrétaire générale de la FSU-Snuipp Guislaine David, en octobre, au moment des annonces. Et l’intersyndicale d’estimer : «Alors que l’école est à un point de bascule, le budget 2025 est une provocation qui va la précipiter dans une crise sans précédent.»