Législatives : l’annulation de la réforme des retraites, prévue par la gauche, va-t-elle coûter 100 milliards, comme l’écrivent «les Echos» ?


Publié le mercredi 19 juin 2024 à 11:23

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Les syndicats lors d'une manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 1er mai 2023.

(Alain Jocard / AFP)

Auteur(s)

Luc Peillon

La seule suppression de la réforme de 2023 conduirait à un manque à gagner de 18 milliards «seulement» selon Renaissance. Mais avec les mesures prévues par le Nouveau Front populaire pour la remplacer, la note pourrait s’élever à 32 milliards, selon l’Institut Montaigne. Et à 46 milliards en comptants d’autres d’autres dispositifs.

C’est une première page qui a fait sensation : «Ce qui vous attend avec les programmes de “rupture”», titrait lundi matin en une les Echos. Avec, en sous-titre, cette phrase parmi d’autres : «Abrogation de la réforme des retraites pour un coût de 100 milliards pour le Nouveau Front populaire.»

Un énoncé qui a fait bondir nombre d’internautes, dont l’économiste Michaël Zemmour, qui a réagi ainsi sur X : «Pardon les Echos, abroger la réforme des retraites, 100 milliards ? J’espère que c’est pas encore imprimé… A l’origine la réforme visait à faire 13,5 milliards d’économie en 2030, et elle en fait finalement moins. Alors à moins de parler en Francs…»

A y regarder de plus près, il s’agit d’abord d’un raccourci du service de l’édition (chargé de relire, corriger, vérifier et titrer les papiers avant la publication). Car dans les pages du quotidien, l’article auquel renvoie cette une ne dit pas tout à fait la même chose. Ce montant est en effet associé, non pas à la suppression de la dernière réforme de 2023, mais à un retour à l’âge légal de départ à 60 ans : «Dans le camp présidentiel, on affirme que le retour à la retraite à 60 ans coûterait 100 milliards d’euros», écrit ainsi la journaliste Solenn Poullennec. Ce chiffre, à ce stade, correspond donc à une réforme beaucoup plus importante que le seul rétablissement de l’âge légal de départ à 62 ans, qui prévalait avant la réforme portée par Elisabeth Borne l’année dernière.

La majorité évalue plutôt à 86 ou 87 milliards d’euros

Contactée pour connaître l’origine précise de ce montant, notre consœur nous a répondu ne «rien [avoir] à rajouter». Mais de fait, parmi les chiffrages du programme du Nouveau Front populaire (NFP) circulant du côté de la majorité, et notamment dans l’entourage du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, le retour à 60 ans avec quarante ans de cotisation, ainsi que toutes les mesures du programme de la gauche concernant les retraites, sont évaluées à 86 ou 87 milliards d’euros. Un chiffre proche de celui évoqué par les Echos, même s’il lui est inférieur de 13 à 14 milliards.

Du côté de Renaissance, on détaille ce total de la manière suivante : «Suppression de la réforme de 2023 = 18 milliards d’euros ; passage à 60 ans pour 40 annuités = 36 milliards (par rapport à la législation de 2022) ; augmentation du minimum contributif et du minimum vieillesse = 24 milliards ; indexation des retraites sur les salaires = 9 milliards.» Soit donc, dans cet ensemble, et pour revenir au sujet initial, 18 milliards pour la seule suppression de la réforme de 2023.

De son côté, Eric Coquerel, député LFI sortant et ancien président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, estimait lundi sur BFM TV lundi que «la retraite à 60 ans, c’est le double de ce que coûterait le repassage à 62 ans, soit 50 milliards d’euros». Sous-entendant que revenir sur la réforme de 2023 représenterait un manque à gagner de 25 milliards.

Différence entre le gouvernement et Conseil d’orientation des retraites

De fait, il est assez compliqué de chiffrer le coût de la suppression de la dernière réforme. Selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), publié ces jours, le système de retraites, malgré les mesures de 2023, serait encore en déficit de 0,4 point de PIB en 2030, contrairement à l’objectif d’équilibre à cette date affiché par le gouvernement l’année dernière. Soit environ 14 milliards en 2030. En réalité, dès les semaines suivant l’adoption de cette réforme, le COR considérait déjà, en juin 2023, que le besoin de financement à 2030 serait de 0,2 point de PIB. Ces différences entre l’objectif du gouvernement et les prévisions du COR sont dues à plusieurs éléments, dont la révision de paramètres démographiques et macroéconomiques, brouillant d’autant les effets de la réforme et les économies qui pouvaient en être attendues.

Mais ce que nous disait, a minima, le Conseil d’orientation des retraites l’année dernière, c’est que «la réforme de 2023 contribuerait à faire baisser la part des dépenses de retraite de 0,2 point de PIB en 2030». Soit environ 7 milliards (alors que le gouvernement en attendait 13 milliards). Mais aussi «les augmenterait, à l’inverse, de 0,2 point de PIB en 2070», car «la progression de la pension moyenne viendrait alors plus que contrebalancer le recul de l’âge moyen de départ à la retraite». Soit un effet assez contrasté, voire négatif, à long terme. La réforme devait aussi générer des ressources, essentiellement en boostant l’activité, et l’on peut donc supposer que la supprimer pourrait aussi abaisser ces recettes supplémentaires.

Revenir sur la réforme de 2023 conduira-t-il pour autant à un coût de 18 milliards, comme l’avance l’équipe de campagne de Renaissance ? Ce chiffre est tiré de l’étude d’impact de la loi de 2023, publiée en janvier de la même année, et correspond au rendement brut attendu à l‘époque du décalage de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ, couplé à l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation prévue par la réforme Touraine. Mais dans cette réforme Borne de 2023, au moins 6 milliards de «mesures d’accompagnement» venaient amputer ces économies, dont la fameuse revalorisation à 85% du smic des pensions minimales (minimum contributif, alias «Mico»).

En cas de retour en arrière pur et simple à la situation d’avant, le manque à gagner d’une suppression de la réforme de 2023 serait donc de 12 milliards (les 18 milliards annoncé par Renaissance amputés des 6 milliards de «mesures d’accompagnement»), auxquels il faut ajouter 1,5 milliard de hausses diverses de cotisations instaurées à l’époque. Soit 13,5 milliards en tout. Et non pas 100 milliards, donc, comme affiché en une des Echos, ou même 18 milliards avancés par Renaissance.

Sauf que ces «mesures d’accompagnement», prévues dans la réforme de 2023 pour compenser en partie le recul de l’âge légal de départ à 64 ans, sont non seulement conservées dans le programme du NFP, mais largement amplifiées. Au point de coûter bien plus chères que la simple suppression de la réforme.

Une note d’environ 46,5 milliards

En effet, parallèlement à l’annulation de la réforme Borne, le NFP propose, dans «les quize premiers jours» suite à l’élection, d’augmenter le minimum contributif au niveau du smic (lui-même augmenté à 1 600 euros nets), et d’indexer le minimum vieillesse sur le seuil de pauvreté (60% du revenu médian).

Deux mesures respectivement évaluées à 17,3 milliards et 1 milliard, soit 18,3 milliards en tout, par l’Institut Montaigne en 2022, lors de son estimation du programme de la Nupes. Et à l’époque, avec un smic à 1 500 euros net et non à 1 600 euros comme aujourd’hui.

Autrement dit, le «paquet» suppression de la réforme et remplacement de ses mesures progressistes par d’autres bien plus généreuses s’élèverait à 31,8 milliards par an, selon le think tank libéral.

Mais les coûts du poste «retraites» du programme du NFP pourraient encore s’élever par la suite. Car dans les «mois suivants», donc de façon un peu moins certaine, la nouvelle coalition souhaite indexer les retraites sur les salaires (et non plus sur les prix), pour un coût de 7 milliards selon l’institut Montaigne, et voter la prise en compte du RSA dans la validation des trimestres, pour 7,7 milliards. Soit un volet supplémentaire de 14,7 milliards.

La note, à ce moment-là, sera donc d’environ 46,5 milliards pour les retraites, entre les mesures des «quinze premiers jours» (dont la suppression de la réforme de 2023), et celles des «mois suivants». Et selon une estimation qui a déjà été faite il y a deux ans, dans sa version médiane, et sans prise en compte du rétablissement des quatre facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron en 2017, inscrit également dans le programme.

Temps incertain de la retraite à 60 ans

Pour financer ces mesures, le NFP prévoit de soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action, et les heures supplémentaires, d’augmenter de 0,25 point par an pendant cinq ans les cotisations vieillesse, et de créer une surcotisation sur les hauts salaires. Mais sans chiffrer leur rendement.

Alors viendrait un temps encore plus incertain, et qui n’aura peut-être jamais lieu, présenté dans le programme par cette simple phrase : «Réaffirmer l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans.» Une mesure que l’Institut Montaigne chiffrait à 36 milliards, mais avec retour également à quarante ans de cotisations (contre 43 ans actuellement), ce qui n’est pas précisé dans le projet du NFP. Dans ce cas alors, la totalité des mesures retraites s’élèverait à 82,5 milliards d’euros.

Dans sa note de 2022, l’Institut précise qu’interrogée à l’époque pas ses soins, la Nupes «prévoyait [sans la suppression de la réforme de 2023, ndlr] un coût de 71,5 milliards». Un montant proche, voire légèrement supérieur, au scénario de l’Institut Montaigne. Et semblable, en ajoutant la réforme de 2023, soit 85 milliards, au chiffrage actuel de Renaissance.