Les prix des produits d’alimentation et d’hygiène ont-ils vraiment baissé de 5 % en mars, comme l’affirme Elisabeth Borne ?


Les prix des produits d’alimentation et d’hygiène ont-ils vraiment baissé de 5 % en mars, comme l’affirme Elisabeth Borne ?

Publié le mercredi 19 avril 2023 à 12:20

080_HL_MCOHEN_2035536.jpg

Un caddie dans un supermarché à Bourgueil, en France, le 13 avril 2023.

(Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Auteur(s)

Luc Peillon

Une vidéo postée sur le compte Twitter du gouvernement a pu laisser penser que les prix de l’alimentation avaient baissé le mois dernier. A tort.

A trop couper une vidéo, on finit par en altérer le sens. Dans une petite séquence d’un peu plus d’une minute, tweetée le 15 avril sur le compte du gouvernement, Elisabeth Borne, présente dans un supermarché d’Eure-et-Loir, vante les mérites du «trimestre anti-inflation», une opération négociée entre le gouvernement et les grandes surfaces.

Sous le titre «PouvoirDachat. Les prix ont baissé de 5 % en moyenne», la chef du gouvernement explique : «Nous avons demandé aux distributeurs de mettre en place ce trimestre anti-inflation. Donc le principe est simple : chaque enseigne définit une liste de produits sur lesquels ils [sic] s’engagent à prendre sur leurs marges pour protéger le pouvoir d’achat des Français. Et ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que les prix ont baissé de 5 %. On a pu éviter cette flambée des prix de l’alimentation et des produits d’hygiène.»

Les prix de l’alimentation et de l’hygiène, en baisse de 5 % en mars en moyenne, suite à cette opération anti-inflation négociée avec les grandes surfaces ?

De nombreux internautes ont répondu en postant les dernières données de l’Insee, montrant plutôt une hausse des prix de l’alimentation en mars, sur un mois comme sur un an.

Cette vidéo est en réalité un (très gros) résumé d’une autre vidéo, de près de cinq minutes celle-ci, postée sur le site du gouvernement. On découvre tout d’abord qu’Elisabeth Borne était en présence d’Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, et qui a été tout bonnement sortie du cadre dans la vidéo postée sur Twitter… Surtout, les propos de la Première ministre, non coupés, ne sont plus tout à fait les mêmes. Même s’ils ne sont pas encore complètement raccord avec la réalité.

Une liste définie de produits

Sur cette version plus longue, Elisabeth Borne déclare ainsi : «Les Français font face à des hausses importantes sur l’alimentation et les produits d’hygiène. Et on pouvait craindre, avec la fin des négociations commerciales au 1er mars, une très forte augmentation des prix au cours du mois de mars, certains nous disaient +20, +30, +40 % [sic]. C’est pour ça que nous avons demandé aux distributeurs de mettre en place ce trimestre anti-inflation. Le principe est simple : chaque enseigne définit une large liste de produits sur lesquels elle s’engage à prendre sur leurs marges pour protéger le pouvoir d’achat des Français. Et ce que l’on voit aujourd’hui, pour les enseignes qui se sont engagées […], sur les produits qui sont dans le panier anti-inflation, les prix ont baissé de 5 % en moyenne. Et sur certaines enseignes, comme système U où nous sommes aujourd’hui, c’est même 7 %.»

On comprend dès lors (plus clairement que dans la version courte) que la baisse de 5 % ne se rapporte qu’aux seuls produits qui sont sur la liste définie par les distributeurs. Sollicité par CheckNews, Matignon confirme. Dans le cadre de cette opération, qui concerne 100 produits pour Cora, 150 produits pour système U et Auchan, 200 pour Carrefour, et plus de 500 pour Intermarché, «la DGCCRF a interrogé les distributeurs sur l’application du trimestre anti-inflation, [et] les remontées montrent que si les prix des produits de grande consommation ont augmenté de 2,5 % depuis le 13 mars 2023, les prix des produits des paniers des enseignes participantes au trimestre anti-inflation ont baissé en moyenne de l’ordre de 5 % par rapport aux prix pratiqués avant le lancement (1er février pour U, 15 mars pour les autres)». Des évolutions de prix «toutefois hétérogènes selon les produits et les paniers».

Si cette baisse de 5 % ne concerne donc que les produits choisis par les distributeurs, Matignon confirme par ailleurs ce que dit aussi Elisabeth Borne dans la version longue, mais pas dans la version coupée de la vidéo sur Twitter, à savoir que «sur les produits de grande consommation en général, la hausse est de 2,5 % au mois de mars». Ce qui montrerait, selon la Première ministre, «que grâce à ce trimestre anti-inflation, cet engagement des distributeurs à rogner sur leurs marges, on a pu éviter cette flambée des prix de l’alimentation et des produits d’hygiène.»

Pas de baisse pour les «produits de grande consommation»

Mais encore une fois, seulement pour les produits choisis par les distributeurs. Car la hausse des prix des produits «de grande consommation» dans leur ensemble n’a connu, elle, aucun ralentissement. Pour rappel, les «produits de grande consommation» regroupent, selon l’Insee, «l’alimentation hors produits frais, les articles de ménage non durables et les appareils, autres articles et produits pour soins personnels». Ce qui se rapproche le plus des produits d’alimentation et d’hygiène concernés par l’opération «trimestre anti-inflation».

Comment cet indice des prix des produits «de grande consommation» a-t-il évolué en mars ? Les données disponibles sur le site de l’Insee ne permettent pas d’avoir des chiffres débutant en milieu de mois, qui est la référence de la hausse de 2,5 % évoquée par Matignon. Sur un mois complet, cependant, cet indicateur a augmenté de 1,5 % en mars dans le secteur de la grande distribution. Or cette hausse a accéléré, puisqu’elle n’était que de 1 % en février.

A l’inverse, en dehors du périmètre de la grande distribution, donc pour les commerces qui ne font pas partie de l’opération, la hausse des prix des produits «de grande consommation» a ralenti, augmentant de 1,3 % en mars, après 1,8 % en février. En moyenne, les prix des produits de «grande consommation» ont donc accéléré dans les enseignes faisant partie de l’opération anti-inflation, alors qu’ils ont ralenti au sein des commerces qui en étaient exclus.

D’une manière plus générale, selon l’Insee, et comparés à ceux du même mois de l’année précédente, «les prix des produits de grande consommation vendus dans la grande distribution accélèrent continûment depuis décembre 2021 : ils augmentent de 15 % sur un an en mars 2023, après +14,2 % en février».

Selon Matignon, cependant, le «trimestre anti-inflation» a quand même eu «un impact réel pour les consommateurs», ces derniers ayant «reporté leurs achats sur les produits de cette opération dont les ventes sont en hausse».