Que sait-on de cette vidéo du corps d’une soldate arménienne mutilé par des soldats azéris?


Que sait-on de cette vidéo du corps d’une soldate arménienne mutilé par des soldats azéris?

Publié le mercredi 21 septembre 2022 à 20:08

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Lors de récents affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la ville de Jermuk le 15 septembre. 

(Karen Minasyan/AFP)

Auteur(s)

Vincent Coquaz

Plusieurs éléments indiquent que les images, particulièrement insoutenables, ont été tournées lors des récents affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Mais des doutes subsistent sur l’identité de la soldate.

Une vidéo de potentiels crimes de guerre, tournée dans le cadre des affrontements entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui ont eu lieu entre le 13 et le 15 septembre, circule depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux.

Dans cette séquence, que nous avons choisi de ne pas publier tant son contenu est choquant, on voit, au milieu de nombreuses autres dépouilles en tenue militaire, le corps inerte d’une femme au sol presque entièrement nue. Ses bras sont relevés au-dessus de sa tête. Un caillou est logé dans son orbite gauche, un doigt coupé dans sa bouche. De multiples blessures ainsi que des inscriptions sont visibles sur son torse (notamment «Yasma», qui semble ici correspondre au nom de forces spéciales azéries).

Selon un média de la communauté arménienne aux Etats-Unis, Asbarez, il s’agirait d’Anush Apetyan, 36 ans et mère de trois enfants. Un nom qui a très rapidement été repris, notamment sur Twitter, pour dénoncer les crimes de guerre commis par les troupes azéries. Selon Asbarez, la femme aurait été «capturée vivante à Jermuk puis violée, torturée et démembrée par des soldats azéris», sans qu’on connaisse la source de ces informations. En France, c’est le journaliste Jean-Christophe Buisson du Figaro, qui a largement contribué à faire connaître le contenu de la vidéo et à diffuser le nom d’Anush Apetyan. Plusieurs comptes pro arménien ont toutefois alerté sur le doute persistant quant à l’identité de la victime. Des interrogations demeurent aussi sur les circonstances de son décès, ainsi que sur la nature des sévices.

«C’est une violation des normes humanitaires internationales»

La vidéo a été initialement partagée le 15 septembre sur l’application de messagerie chiffrée russe Telegram par un groupe pro-Azéri, qui se félicite de la mort et de la mise en scène macabre du corps. Des messages relayés par les administrateurs du canal assurent que la soldate était un sniper, qu’elle est morte au combat, et que le doigt dans sa bouche est «celui avec lequel elle tirait». Dans une autre publication, quelques jours plus tard, ils assurent que cette pratique serait une «tradition» de l’armée azérie lorsqu’ils arrivent à éliminer un tireur d’élite.

L’armée arménienne, par la voix du général Edward Asryan, a confirmé qu’il s’agissait bien d’une vidéo d’une soldate arménienne. «C’est impossible de regarder de telles atrocités, a-t-il déclaré à des diplomates internationauxIl n’y a pas de mots pour décrire ça, ils ont mutilé cette soldate, coupé ses jambes et doigts, ils l’ont déshabillée. C’est une violation des normes humanitaires internationales.» Si le général arménien ainsi que de nombreux internautes affirment que ses jambes auraient été coupées, il est difficile de le confirmer avec les images que CheckNews a pu consulter. Surtout, la vidéo à elle seule ne permet pas de déterminer les circonstances de la mort, et donc de savoir si les sévices en sont la cause ou si les mutilations ont eu lieu post-mortem.

Concernant son identité, le doute demeure encore. Le canal Telegram qui a partagé la vidéo affirme que la personne tuée était «Susana Margoryan». C’est plus tard dans la journée du 15 septembre qu’un autre compte pro-azeri, très suivi sur Facebook cette fois, a partagé une publication dans laquelle il mentionne le nom d’Anush Apetyan, qui a depuis été largement repris sur les réseaux sociaux. Le post est accompagné d’une photo d’une femme qui partage plusieurs caractéristiques physiques avec celle de la vidéo.

Vidéos de crimes de guerre en 2020

La confusion peut venir en partie du fait que sur la vidéo, un autre corps qui serait celui d’une femme est également visible. La personne qui filme la scène semble également évoquer «deux femmes» tuées, selon le média OC, qui couvre l’actualité du Caucase. Le ministère arménien a de son côté confirmé la mort d’au moins quatre soldates dans les récents affrontements (après avoir communiqué sur l’identité de cinq d’entre elles puis de faire machine arrière) : parmi elles, on retrouve bien Anush Apetyan et Susanna Margari Grigoryan. Une autre femme, Alice Melikyan, est également mentionnée. Selon la source qui a très rapidement évoqué sur Facebook le nom d’Anush Apetyan, cette dernière serait une «sniper» qui aurait été «tuée il y a deux jours» d’une balle dans l’œil gauche.

Le dernier nom est celui d’Irina Gasparyan, présentée sur les réseaux sociaux comme une infirmière militaire. Plusieurs comptes pro-arménien rapportent que son corps apparaît également dans une vidéo, et qu’elle aurait aussi été mutilée. Des images consultées par CheckNews, et là aussi diffusées sur des canaux Telegram pro-azéri, montrent effectivement le corps d’une femme blonde, en grande partie dénudé. Contrairement à ce qu’avancent certaines sources, ni ses jambes ni ses mains ne semblent mutilées sur ces images.

En 2020, peu après la signature d’un cessez feu en novembre, de nombreuses vidéos de crimes de guerre avaient émergé, dans le cadre du conflit entre les deux pays autour de l’enclave sécessionniste du Haut-Karabakh. Comme le rapportait alors CheckNews, on y voyait des soldats des deux camps se livrer à des mutilations de cadavres, de la maltraitance de prisonniers de guerre, et jusqu’à des actes de torture ou des exécutions sommaires de blessés, de civils et de prisonniers.

La plupart de celles qui circulaient en ligne et que CheckNews avait pu consulter montrent des soldats azerbaïdjanais se livrer à des exactions contre des Arméniens. De plus rares images montrent des situations inverses. Ces violations de la convention de Genève et du droit international sont dénoncées par plusieurs ONG des droits humains, comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International.