Retraites : est-il vrai que la France affiche l’un des âges moyens de départ les plus bas d’Europe, comme le dit LCI ?


Retraites : est-il vrai que la France affiche l’un des âges moyens de départ les plus bas d’Europe, comme le dit LCI ?

Publié le mardi 13 décembre 2022 à 10:38

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Lors d'une manifestation de la CGT pour les salaires, le 27 octobre à Paris. 

(Geoffroy Van der Hasselt/AFP)

Auteur(s)

Luc Peillon

La chaîne d’information évoque un âge moyen de départ à 63 ans en France contre 67 ans en Italie. En réalité, il ne s’agit pas d’un âge moyen effectif de départ à la retraite, mais d’un âge théorique pour une pension complète.

Les Français sont-ils ceux, parmi leurs voisins européens, qui partent à la retraite le plus tôt ? Dans un tweet publié le 3 décembre, la chaîne LCI a diffusé une carte d’Europe où il apparaît que «l’âge de départ» est de 63 ans en France, de 65 ans en Espagne et en Belgique, de 66 ans en Allemagne et de 67 ans en Italie.

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Le tweet contient également un lien renvoyant vers un article de TF1, modifié depuis, où l’on pouvait lire : «Actuellement, il est possible de partir à la retraite à 62 ans [en France]. Mais pour avoir tous leurs trimestres, en moyenne, les Français partent en réalité à 63 ans. Un âge inférieur à nos voisins européens. En Espagne ou en Belgique, on atteint la retraite à 65 ans en moyenne, à 66 ans en Allemagne, et jusqu’à 67 ans en Italie.» Soit quatre ans entre la France (âge le plus avancé) et l’Italie (âge le plus tardif).

Contacté par CheckNews, pour comprendre à quoi correspondent ces chiffres, TF1 explique que ce sujet, diffusé le 3 décembre, date en réalité du 11 mars. Et qu’il a donc été republié «par erreur» sur les réseaux sociaux. Avant de nous communiquer, dans un second temps, la source de ces données : un document de l’OCDE sur «l’âge normal de départ à la retraite» («normal retirement age», en anglais).

De quoi s’agit-il ? Comme expliqué dans ce rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), cette notion renvoie «à l’âge à partir duquel une retraite est perçue à taux plein, que celui-ci s’obtienne par l’annulation d’une décote ou par l’annulation d’un coefficient de proratisation, à l’issue d’une carrière pleine à partir d’une entrée sur le marché du travail à l’âge de 22 ans».

Des comparaisons qui peuvent être faussées

Autrement dit, il ne s’agit pas, «en moyenne», de l’âge de départ à la retraite, comme indiqué par TF1, mais de l’âge permettant, à une personne qui a commencé à travailler à 22 ans, de partir, en 2018, à la retraite sans pénalités consécutives à un manque de trimestres. Pour la France, il est ainsi indiqué qu’en 2018, les personnes qui pouvaient prétendre à une retraite à taux plein tout en ayant commencé à travailler à 22 ans sont ceux qui avaient 63,3 ans. Cet «âge normal» est amené à augmenter, la durée de cotisation en France devant progresser jusqu’à 43 ans (172 trimestres) pour ceux nés en 1973. Reste que selon l’OCDE, cet âge théorique «normal» est effectivement supérieur chez nos voisins, puisqu’il est de 65 ans en Belgique et Espagne, de 65,5 ans en Allemagne, et entre 66,6 et 67 ans en Italie.

Qu’en est-il, cependant, de l’âge réel moyen de départ, quelle que soit l’année d’entrée dans la vie active, et que la retraite soit touchée à taux plein ou non ? Concernant les cinq pays cités par TF1, l’âge moyen de liquidation des droits, en 2019 et pour les hommes du secteur privé, était, selon la Commission européenne, de 62 ans en France, de 62,5 ans en Belgique, de 63,1 ans en Italie, de 63,7 en Espagne, et de 64 ans en Allemagne.

Pour les femmes, l’âge moyen de liquidation des droits était, en 2019, de 62,6 ans en France, de 63,3 ans en Italie, de 63,7 en Belgique, de 64,3 ans en Espagne, et de 64,4 ans en Allemagne.

Soit des âges s’étalant entre 62,3 ans environ (hommes et femmes réunies) pour la France, et 64,2 ans pour l’Allemagne. Soit deux ans d’écart entre l’âge le plus avancé (en France) et le plus tardif (en Allemagne), contre quatre ans pour l’indicateur mentionnés dans le sujet de TF1.

Ces comparaisons, par ailleurs, peuvent être faussées, avec des âges tirés vers le haut pour les pays qui incluent les indépendants dans leur moyenne, lorsque leur régime est commun avec celui les salariés du privé.

A noter, également, que «l’âge de départ à la retraite» peut aussi correspondre à un autre indicateur : l’âge de sortie du marché du travail. En effet, on peut faire valoir ses droits à la retraite mais continuer à exercer une activité professionnelle, cumulée à sa pension. A l’inverse, on peut quitter le marché du travail avant d’exercer ses droits à la retraite, soit parce que l’on est en situation d’inactivité définitive, soit parce que l’on a bénéficié d’un dispositif de départ anticipé.

Dans un rapport dressant un «panorama des systèmes de retraites en France et à l’étranger», publié en décembre 2020 et réactualisé en 2022, le COR explique ainsi : «En France, l’âge de sortie du marché du travail est inférieur à l’âge moyen de liquidation, en raison de l’existence de dispositifs de départ anticipé pour certaines catégories de travailleurs et de la faiblesse (relative) du cumul emploi-retraite. Cette situation n’est pas la plus fréquente : dans de nombreux pays, l’âge moyen de liquidation est inférieur à l’âge moyen de sortie du marché du travail, notamment pour les femmes, en raison de la poursuite d’activité, y compris à temps partiel, après la liquidation».

Un exercice de simulation

L’une des sources pour cet âge moyen de sortie du marché du travail, défini par le COR comme «l’âge auquel les personnes cessent d’exercer, ou de chercher, une activité rémunérée, de manière définitive», est fourni par la Commission européenne, sous la forme d’un âge simulé, par cohorte et à législation constante, «à partir des taux observés de participation au marché du travail par genre et par âge». Un exercice de simulation qui peut expliquer, selon le COR, que cet âge «diffère des statistiques nationales publiées par chaque pays sur des données observées».

De cet indicateur, il ressort qu’en 2019, l’âge moyen de cessation d’activité était – pour les cinq pays qui nous intéressent – d’un peu plus de 62 ans (hommes et femmes confondus) pour la France, d’un peu plus de 63 pour la Belgique, d’un peu plus de 64 ans pour l’Espagne, entre 64 et 65 ans pour l’Allemagne, et entre 65 et 66 ans pour l’Italie.

A plus long terme, vers 2050, la Commission estime – toujours à législation constante – que les âges moyens de sortie du marché du travail devraient se stabiliser entre 64 et 65 ans pour la France et la Belgique, entre 65 et 66 ans pour l’Allemagne, et entre 66 et 67 ans pour l’Espagne. L’Italie, qui devrait connaître une forte hausse sur les 50 prochaines années, devrait approcher les 68 ans en 2050, avant d’atteindre 69 ans en 2070.

En résumé, alors que TF1 annonce, pour les cinq pays évoqués, des «âges de départ à la retraite» compris entre 63 ans pour la France et 67 ans pour l’Italie, soit quatre ans d’écart entre l’âge le plus faible et l’âge le plus élevé, les données rapportées par le COR sont un peu plus resserrées. Soit, concernant les âges moyens de sortie du marché du travail, une fourchette comprise, pour 2019, entre 62 ans pour la France et 65,5 ans pour l’Italie (3,5 ans d’écart), et surtout, pour l’âge moyen de liquidation des droits, des âges s’étalant entre 62,3 ans environ (hommes et femmes réunies) pour la France, et 64,2 ans pour l’Allemagne, soit deux ans d’écart.