Variole du singe: le directeur de l’OMS a-t-il classé l’épidémie comme une urgence internationale «contre» l’avis de son comité scientifique?


Variole du singe: le directeur de l’OMS a-t-il classé l’épidémie comme une urgence internationale «contre» l’avis de son comité scientifique?

Publié le mercredi 27 juillet 2022 à 16:02

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Une infirmière à l'entrée d'une salle d'isolement des patients souffrant de la variole du singe dans un hôpital d'Hyderabad, en Inde.

( Noah Seelam/AFP)

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Service Checknews

Ce comité consultatif déclare «n’être pas parvenu à un consensus» sur cette classification, avec six de ses membres en faveur et neuf en défaveur. Conformément au règlement sanitaire international, la décision finale incombe toujours au directeur de l’OMS.

Divers posts circulent sur les réseaux sociaux accusant le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de dramatiser l’épidémie de variole du singe. Ces derniers jours, l’accusation porte sur la classification de l’épidémie en «urgence de santé publique de portée internationale» (USPPI), qui aurait été décidée par Ghebreyesus «contre» l’avis d’un comité scientifique de l’OMS.

Cette déclaration s’appuie notamment sur un article de Reuters qui rapporte que neuf des quinze membres du comité d’experts étaient en défaveur de cette classification, selon le directeur de l’OMS lui-même. L’article précise que «s’il a pour habitude de suivre les recommandations des experts de l’OMS, [Ghebreyesus] aurait décidé de se prononcer en faveur du plus haut niveau d’alerte par inquiétude à l’égard de la rapide multiplication des cas et du manque de stock de vaccins et traitements».

«Pas un vote»

Lors du fameux point presse, Ghebreyesus répondait à une journaliste de STAT News qui rappelait qu’à l’issue d’une première réunion sur la variole du singe le 23 juin, le directeur général de l’OMS avait mentionné que «bien qu’il n’y ait pas eu de vote», onze des quatorze membres du précédent panel s’étaient prononcés contre la classification. Elle s’interrogeait sur les forces en présence un mois plus tard.

La première partie de la réponse de Ghebreyesus est consacrée à confirmer que les experts réunis dans ces comités «ne votaient pas» à l’issue des réunions. «Ce n’est pas un vote formel, c’est ce qu’on appelle en français un tour de table : ils vérifient quelle est la position de la majorité, pour déterminer où va la discussion.» Et de préciser qu’on ne peut «pas appeler cela un vote» car les experts réunis «sont là pour [lui] fournir des recommandations. S’ils votaient, cela voudrait dire qu’il s’agit d’une décision. Mais ils ne le font pas : le comité ne décide pas. A l’issue de la journée, il donne des conseils, des recommandations et c’est ma responsabilité de l’accepter ou pas.»

A l’issue de la seconde réunion, neuf participants contre six étaient donc défavorables à la classification, précise Ghebreyesus. Un rapport de force qui, selon lui, traduisait le fait que le comité «n’est pas parvenu à un consensus», et qu’il lui revenait «de trancher».

La déclaration officielle publiée la veille par le Comité précisait déjà que ses membres «n’étaient pas parvenus à un consensus sur le sujet», dans un sens ou dans l’autre, à l’issue d’une réunion de sept heures. Or, selon le Règlement sanitaire international (RSI), texte de droit qui cadre la riposte internationale en santé publique, c’est bien au directeur général de trancher lorsqu’un consensus n’est pas atteint par ledit comité : «le Comité d’urgence […] établit un rapport succinct de ses débats et délibérations dans lequel il fait figurer ses avis sur d’éventuelles recommandations. […] L’avis du Comité d’urgence est communiqué au directeur général pour examen. Le directeur général décide en dernier ressort.»

De fait, le compte rendu du dernier comité d’urgence précise explicitement qu’à «la suite des délibérations, les membres du comité ont apporté leur contribution aux recommandations temporaires […] au cas où le directeur général de l’OMS déterminerait que l’épidémie de variole du singe dans plusieurs pays constitue une USPPI» – rendant explicite le fait qu’une telle décision ne serait pas prise à l’encontre du comité.

Des arguments pour et contre

Selon l’OMS, l’USPPI désigne «un événement extraordinaire, qui constitue un risque pour la santé publique d’autres Etats du fait de sa propagation internationale, et qui nécessite potentiellement une réponse internationale coordonnée». La réunion du 22 juillet était organisée dans le contexte «d’une augmentation du nombre de pays rapportant un premier cas de variole du singe», «d’une augmentation du nombre de cas dans certains pays d’Afrique occidentale et centrale» et «d’une légère augmentation du taux de croissance global associé à l’épidémie».

Sur ces prémisses, le document liste divers éléments en faveur et en défaveur de la classification en USPPI.

Premier argument «pour» : «Les tendances à la hausse observées dans le nombre de cas signalés à l’échelle mondiale, dans un nombre croissant de pays, et, pourtant, susceptibles de refléter une sous-estimation de l’ampleur réelle de la ou des épidémies», mais aussi l’anticipation «de nouvelles vagues de cas de variole du singe lorsque le virus sera introduit dans d’autres populations sensibles». Les experts évoquent également les potentielles implications «si la maladie devait s’établir dans la population humaine à travers le monde, en particulier pour un orthopoxvirus causant une maladie humaine, étant donné que l’immunité mondiale a fortement diminué après l’éradication de la variole». La classification en USPPI autoriserait notamment, selon ses défenseurs, «le maintien d’un niveau élevé de sensibilisation et d’alerte, ce qui augmenterait la probabilité d’arrêter la transmission interhumaine du virus du monkeypox», ou permettrait d’accroître «les possibilités de débloquer des fonds pour la réponse et la recherche, ainsi que pour l’atténuation de l’impact socio-économique de la maladie».

A l’inverse, des membres du comité d’urgence jugeaient que les données actuellement disponibles n’auguraient pas «d’une augmentation exponentielle du nombre de cas» en Europe et notaient que «des signes précoces de stabilisation ou de tendances à la baisse étaient observés dans certains pays». Par ailleurs, ils estimaient que «la grande majorité des cas étant observés chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) ayant des partenaires multiples et, malgré les difficultés opérationnelles», il était possible de mettre fin à la transmission en cours «grâce à des interventions ciblées sur ce segment de la population» : «Les cas observés en dehors de ce groupe de population, y compris parmi les travailleurs de la santé, sont, à ce jour, limités.»

Pour les experts en défaveur d’une classification en USPPI, celle-ci pourrait présenter «plus d’inconvénients que d’avantages», en entraînant notamment «la stigmatisation, la marginalisation et la discrimination que cela pourra générer à l’encontre des communautés actuellement affectées, en particulier dans les pays où l’homosexualité est criminalisée ou celles où les communautés LGBTI + sont mal établies». Ils jugent par ailleurs que les mesures prises par l’OMS «paraissent efficaces». Enfin, selon eux, une telle classification «augmenterait inutilement et artificiellement la perception du risque de la maladie dans le grand public, ce qui, à son tour, se traduirait par une demande de vaccins, qui devrait être utilisée à bon escient».