Y a-t-il 10 000 policiers et gendarmes de plus sur le terrain depuis cinq ans, comme le dit Emmanuel Macron?


Y a-t-il 10 000 policiers et gendarmes de plus sur le terrain depuis cinq ans, comme le dit Emmanuel Macron?

Publié le vendredi 22 avril 2022 à 11:10

– Mis à jour le vendredi 22 avril 2022 à 10:25

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Des policiers lors d'une manifestation à Nantes le 16 avril 2022.

(Sébastien Salom-Gomis / AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Le chiffre avancé par le président-candidat est issu d’un calcul réalisé par la commission des finances du Sénat. Mais aussi bien les années que l’indicateur retenus sont contestables.

Attaqué par Marine Le Pen sur son bilan en matière de sécurité, Emmanuel Macron a expliqué avoir «créé 10 000 postes de policiers et de gendarmes» au cours de son quinquennat. A l’occasion du débat d’entre-deux-tours qui s’est tenu ce mercredi, le président sortant s’est ainsi vanté d’avoir «tenu [ses] engagements», ces créations de postes ayant été promises par le candidat Macron en 2017. Ces 10 000 membres des forces de l’ordre «sont maintenant sur le terrain», s’est-il encore félicité.

Le chiffre de 10 000 s’inspire de l’addition réalisée par la commission des finances du Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. En effet, le texte indique qu’entre 2017 et 2022, 10 529 équivalents temps plein (ETP) – dont 9 583 postes créés de 2017 à 2021, et 946 recrutements prévus en 2022 – seront venus renforcer les effectifs de la police et la gendarmerie. Lesquels se répartissent, par ailleurs, en 8 446 nouveaux policiers et 2 083 nouveaux gendarmes.

Notons pour commencer que cette période de six années comprend 2017, année dont le budget a été voté par la majorité socialiste, et non par les marcheurs. La hausse des ETP au sein des forces de l’ordre constatée cette année-là (+2 279) ne peut donc pas être imputée à la politique menée sous la présidence d’Emmanuel Macron. Ce qui porterait son vrai bilan à 8 250 ETP de plus.

ETP et ETPT

Mais le choix des années n’est pas le seul à pouvoir être discuté. Celui de l’indicateur retenu aussi : si les effectifs ont ici été recensés en ETP, leur comptabilisation en équivalents temps plein travaillé (ETPT) contredit encore un peu plus le chiffre de 10 000 postes supplémentaires, selon les documents budgétaires épluchés par Libération.

Quelle différence entre ETP et ETPT ? Comme l’expliquent nos journalistes, la première unité prend seulement en considération le temps de travail indiqué par le contrat. Concrètement : une personne à temps plein sur une année vaut un ETP, quand une personne à mi-temps vaut 0,5 ETP. De son côté, la mesure des ETPT se révèle plus précise puisqu’elle permet d’inclure dans le décompte la durée de la période de travail des agents sur l’année, et tient donc compte de leur date d’arrivée et de départ. Ainsi, une personne à mi-temps qui quitte son emploi le 1er juillet vaut pour seulement 0,25 ETPT (tandis qu’elle vaudrait toujours 0,5 ETP).

Si l’on se réfère aux équivalents temps plein travaillé, on s’éloigne du chiffre symbolique de 10 000 nouveaux agents. Entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2022, les augmentations des ETPT dans la police et la gendarmerie sont respectivement d’environ 2 500 et 3 000. Soit une hausse totale de 5 500 ETPT.

Présence en baisse sur le terrain

Un décalage déjà mis en évidence dans un rapport rendu en novembre dernier par la Cour des comptes, sur la gestion des ressources humaines dans la police nationale entre 2010 et 2020 (qui ne porte que sur une partie du bilan d’Emmanuel Macron). «La création de ces emplois n’apparaît que partiellement dans la comptabilisation des effectifs en équivalent temps plein travaillé», écrivaient ses auteurs. Eux évaluaient la progression des effectifs policiers à seulement 1 % en dix ans entre 2010 et 2020 (soit 1 179 ETPT supplémentaires), les recrutements massifs de ces dernières années ayant à peine compensé les nombreux départs en retraite. Et regrettent que les quelques moyens humains supplémentaires ne se soient pas traduits par une plus grande efficacité dans le maintien de l’ordre : «Les résultats [que la police] affiche, en termes de présence sur le terrain ou d’élucidation des faits de délinquance, ne connaissent pas d’amélioration significative, voire se détériorent.»

La Cour des comptes souligne par ailleurs que «[la] répartition [des créations d’emplois] par fonctions a été inégale». Ce qui s’est même traduit, à l’intérieur de certaines missions de police, par des pertes d’effectifs. En 2020, dans les services de «sécurité et paix publique», on comptait ainsi 10 % d’agents en moins comparé à 2010. D’ailleurs, cette réduction des effectifs de voie publique est corroborée par le taux d’engagement des policiers sur le terrain. Les magistrats financiers notent «une baisse continue de la présence sur la voie publique» depuis 2011, avec une diminution du taux de présence de plus de deux points (d’environ 39 % en 2011, il est passé à un peu moins de 37 % en 2020). Chez les gendarmes, la chute de ce taux frôle les onze points (58 % en 2020, contre près de 69 % en 2011).