Accusations de "Pallywood" : intox ancienne, essor nouveau


Publié le mercredi 13 décembre 2023 à 16:27

– Mis à jour le mercredi 13 décembre 2023 à 14:58

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Des exemples d'images présentées à tort comme des mises en scène de victimes à Gaza

Auteur(s)

Nathan Gallo

Depuis le début de la guerre à Gaza, les intox de mise en scène de victimes à Gaza prolifèrent. "Bébés en plastique", "acteurs du Hamas" censés jouer les victimes : ces fausses accusations de mise en scène, diffusées sous le hashtag Pallywood (contraction de Palestine et Hollywood), ont été relayées à plusieurs reprises par les autorités israéliennes. En France, le maire de Nice Christian Estrosi a récemment repris à son compte une de ces intox.

"Un bébé en plastique" a-t-il été utilisé par des Palestiniens pour faire croire à la mort d'un nourrisson ? C'est en tout cas ce qu'a affirmé le 10 décembre le maire de Nice et vice-président du parti Horizons Christian Estrosi, sur le plateau de l'émission Dimanche en Politique sur France 3.
Interrogé sur les images liées au conflit israélo-palestinien, l'homme politique a décrit une "guerre d'images", avant d'accuser les journalistes de s'être fait avoir par des photos et vidéos de mises en scène à Gaza : 'Vous mêmes médias passez des images où l'on voit des mamans [palestiniennes] qui pleurent avec un bébé en plastique faisant croire que c'est un bébé mort (...) dans les bras", a-t-il affirmé.

Des propos qui ont suscité l'indignation sur le réseau social X (ex-Twitter), alors que de telles accusations de mise en scène ont été vérifiées et infirmées à plusieurs reprises depuis le début du conflit.

Des images d'enfants morts dénoncées à tort comme des mises en scène

Interrogé par DE FACTO le 12 décembre sur l'origine de ces accusations, Christian Estrosi a indiqué "avoir fait référence" à des accusations diffusées notamment par l'ambassade d'Israël en France sur X.
Dans un tweet publié le 13 octobre, et toujours disponible en ligne, l'ambassade accusait le Hamas d’avoir "publié une vidéo d'une poupée (oui, une poupée) utilisée pour une mise en scène, visant à faire croire à la mort d’un bébé à la suite des frappes israéliennes sur Gaza".

https://lh7-us.googleusercontent.com/LGGpWt97I9FngN4t3KdoGSe_31ocfBAIeNFG5SVFdtC_pdPAq25BLMEaMhfc88gYJoT2Yu7fc5j9T6bm-VIOlJvaragEmqQagiqhb2tARDHfl-2_wmn_NBOyWm7pxZffk8lyFog57arqesDXeMGqfZo

Image floutée du tweet de l'Ambassade d'Israël, publié le 13 octobre, qui prétend que ces images montrent une poupée.

Le compte officiel de l'Etat d'Israël, géré par le Ministère des Affaires étrangères, avait lui-même posté le même message sur X. Un tweet vu plus d'un million de fois avant d'être supprimé quelques jours plus tard.
Car entre-temps, plusieurs photos de la scène prises sous un autre angle et le témoignage d'un journaliste de l'AFP avaient notamment permis à plusieurs médias de vérification, dont l'AFP Factuel et Checknews, d'infirmer ces fausses accusations.
Après l'interview de Christian Estrosi, plusieurs internautes et médias ont aussi supposé que le maire de Nice faisait référence aux vidéos plus récentes d'une mère et d'un grand-père tenant un bébé décédé dans leurs bras.
Des vidéos devenues virales et aussi dénoncées à tort comme une mise en scène : les images montraient en effet bien un nourrisson décédé, comme l'ont vérifié plusieurs médias dé vérification, dont Les Observateurs de France 24. 

Relayées massivement sous le hashtag "Pallywood" (contraction de "Palestine" et "Hollywood"), ces dénonciations ont même été reprises par le média anglophone conservateur israélien The Jerusalem Post le 1er décembre. Le lendemain, le journal retirait son article et publiait un message d'excuses dans lequel il reconnaissait avoir partagé un contenu "fondé sur la base de sources erronées".

"Pallywood", antienne de la propagande anti-palestinienne

Les accusations de Pallywood ne datent pas du 7 octobre. Inventé par l'historien américain et pro-israélien Richard Landes, le terme est apparu au début des années 2000.
A l'époque, des images diffusées par France 2 de la mort de l'enfant de 12 ans Mohammed Al-Durah au début de la seconde intifada en 2000 font le tour du monde et ternissent durablement l'image de l'armée israélienne.
Mais en 2003, Landes, qui affirme avoir pu enquêter à partir d'images d'archives non diffusées par la chaîne, y dénonce en 2003 une mise en scène "grotesque".

https://lh7-us.googleusercontent.com/Sa4yUNe_foaOogaNxuOMtMaydssyPfyAvqYSVJxvdEGthUQEL6vTfy-iRGJ74F1Ww1KNg8NK-U0NfAoGygKjEMRhzIi18Lrdtm0FBMkkQs_XOicZzEEmzY_m6vu0OC67g0Ab_36MfIVSJfbeYWbA1qU

Une séquence télévisée par France 2 dans la bande de Gaza, le 29 septembre 2000, montre Mohammed Al-Durah et son père se cachant derrière un tonneau pour se protéger des tirs croisés israélo-palestiniens. Quelques secondes plus tard, il est mortellement touché à l'abdomen. 

Le terme est consacré deux ans plus tard par l'historien dans un documentaire intitulé "Pallywood : selon des sources palestiniennes". Richard Landes y montre plusieurs vidéos, qu'il considère comme des mises en scène réalisées par des Gazaouis, mais s'avèrent encore aujourd'hui difficiles à analyser.

De fausses accusations au coeur de la guerre informationnelle 

Ces accusations, depuis reprises lors de chaque conflit, notamment par l'armée israélienne elle-même, ont toutefois pris une ampleur nouvelle avec le début de la guerre début octobre.
"Deux récits négationnistes sur la guerre entre Israël et le Hamas sont malheureusement devenus prédominants en ligne", a ainsi déploré dans un tweet publié le 13 novembre le journaliste de la BBC Shayan Sardarizadeh.
Ce dernier, qui surveille activement les fausses informations sur le conflit depuis le 7 octobre, met côte à côte les accusations de Pallywood d'un côté, et les insinuations sur le rôle de l'armée israélienne dans la mort des civils israéliens le 7 octobre de l'autre. Deux narratifs "faux mais [qui] suscitent un grand intérêt sur Twitter" et se retrouvent au coeur de la guerre d'information livrée par les deux camps.
Fin octobre, la BBC est ainsi revenue sur les histoires emblématiques de deux enfants morts depuis le 7 octobre mais dont la mort a été niée sur les réseaux sociaux. L'un était israélien et a été tué lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre. L'autre était un palestinien, tué lors des bombardements israéliens à Gaza. 

"Donne[r] l'impression qu'il s'agit moins d'une catastrophe humanitaire"

Concernant Pallywood, on ne compte plus les publications sur les différents réseaux sociaux  qui dénoncent ces supposées mises en scène, à partir d'images du conflit ou de vidéos décontextualisées.
Cette désinformation s'avère partagée par des comptes pro-israéliens et anti-palestiniens de tous bords : le média Logically Facts a notamment mis au jour un réseau de comptes indiens pro-hindou et anti-musulmans qui participait massivement à la visibilité du hashtag Pallywood depuis le début du conflit.
Les comptes officiels de l'Etat d'Israël ont de leur côté aussi participé à relayer à plusieurs reprises ces fausses accusations. Sur X, les autorités israéliennes avaient notamment accusé à tort l'influenceur gazaoui Saleh Al Jafarawi, devenu célèbre depuis le 7 octobre en filmant les destructions à Gaza, d'avoir mis en scène un passage à l'hôpital. Leurs tweets sont depuis supprimés.

Quel est le but d'une telle désinformation, par ailleurs souvent facilement vérifiable ? Interrogé par France 24, Robert Topinka, maître de conférences à l'Université Birkbeck de Londres, qui a mené des recherches approfondies sur la désinformation, indique qu'il s'agit d'une stratégie délibérée pour "semer la confusion. C'est intentionnel. Sinon, pourquoi continuerait-il à se propager après avoir été si clairement démystifié ?". 

Alors que plus de 17.000 civils ont été tués à Gaza depuis le début du conflit selon le Ministère de la santé du Hamas, le chercheur estime que ce type de propagande a pour visée de déshumaniser les victimes et de nuancer la souffrance des civils sur place.
"Donner l'impression que les gens exagèrent la souffrance aide à raconter une histoire différente sur ce qui se passe réellement. Cela donne l’impression qu’il s’agit moins d’une catastrophe humanitaire", décrit-t-il, estimant que ce type de campagne pourrait aussi à terme "saper les campagnes en faveur d’un cessez-le-feu, voire saper les efforts diplomatiques".
De son côté, Christian Estrosi a reconnu à demi-mot son erreur auprès de DE FACTO, sans toutefois remettre en cause le narratif pro-israélien ni la responsabilité de l'Etat hébreu dans le nombre de morts à Gaza : "Si malheureusement, il devait s’agir d’un vrai enfant, [ce serait] pire car c’est une victime civile de plus du Hamas qui utilise des civils et notamment des enfants comme boucliers humains dans les hôpitaux, les écoles. Cela montre la barbarie sans limite de ces terroristes".

Ce fact-check a été également publié par Grand angle DE FACTO.

Ce fact-check a été publié par DE FACTO.