Gibraltar « 100% vacciné » et « 2e pays d’Europe le plus touché par le Covid » : le raccourci trompeur de Florian Philippot


Gibraltar « 100% vacciné » et « 2e pays d’Europe le plus touché par le Covid » : le raccourci trompeur de Florian Philippot

Publié le mercredi 16 février 2022 à 12:44

000_9VF7UF_Thomas_SAMSON_AFP.jpg

Florian Philippot lors d’une manifestation contre les mesures sanitaires

(Thomas Samson / AFP)

Auteur(s)

Corentin Rolland

Dans deux tweets relayés plusieurs milliers de fois mi-novembre, Florian Philippot affirme que Gibraltar, fort de “100% de vaccinés”, serait le deuxième pays européen le plus touché par le Covid-19. L’affirmation, censée démontrer l’inefficacité des politiques vaccinales, est trompeuse : la hausse des cas concerne d’abord des populations non-vaccinées, et les chiffres du Gouvernement de Gibraltar nuancent la situation épidémiologique du territoire.

Président des Patriotes et candidat à la présidentielle 2022, Florian Philippot s’est récemment appuyé sur le cas de Gibraltar pour remettre en cause l’efficacité des vaccins. Le 15 novembre dernier, il publie un premier tweet : « Gibraltar : nouvelle hausse très forte des contaminations. Avec…100% de vaccinés 😬 Sûrement un mauvais sort jeté par les non-vaccinés des autres pays ! 😉 » Suivi d’un second tweet le lendemain : « En moyenne à Gibraltar les gens ont déjà reçu 2,7 doses. Record du monde. Le pays est aujourd’hui le 2è plus touché d’Europe par le Covid ! Ils viennent d’annuler les festivités de Noël. Derniers endormis, réveillez-vous ! » Les publications recensent plus de 1 500 partages et 3 000 « like ».

Sans titre.png

Sans titre2.png

Captures d’écran des tweets de Florian Philippot, prises le 21/11/2011 (source : Twitter)

L’argumentation de Florian Philippot est piégeuse à plusieurs titres. Certes, la plateforme de l’université d’Oxford Our World in Data assure que 118% de la population de Gibraltar est aujourd’hui vaccinée. Un chiffre au-delà des 100%, car le gouvernement a proposé la vaccination à ses 15.000 travailleurs transfrontaliers venant notamment d’Espagne (en particulier le personnel hospitalier). Néanmoins, toute la population de Gibraltar n’est pas immunisée contre le virus. Les chiffres du 15 novembre - date du premier tweet de Florian Philippot - recensent 27 non-vaccinés parmi les 52 cas recensés. Ceux du 16 novembre - date du second tweet de Florian Philippot - indiquent 40 non-vaccinés parmi les 70 cas recensés. Soit plus de la moitié des nouveaux cas.

Et pour cause : la campagne ne concerne pas encore les enfants de moins de 12 ans, et celle des adolescents (12-16 ans) a débuté il y a deux mois. « Les quelques non-vaccinés font également partie des nouvelles contaminations, notamment les enfants de moins de 15 ans », décrypte Mickael Ehrminger, docteur et chercheur en santé publique. Les enfants et adolescents représentent en effet une part non négligeable des récentes contaminations (34 cas sur 70 au 16 novembre, soit 48%).

Sans titre3.png

Capture d’écran des cas de contamination à Gibraltar, au 16 novembre 2021 (crédit : Gouvernement de Gibraltar)

Pourquoi des contaminations subsistent-elles parmi les vaccinés ? Mickael Ehrminger rappelle que « la vaccination n’a toujours été qu’un moyen de réduire les risques de la Covid. Elle évite les formes graves, pas les contaminations. » Une donnée importante que ne précise pas Florian Philippot : la flambée des cas de Covid-19 à Gibraltar ne s’accompagne ni d’un engorgement des services de réanimation, ni d’une hausse des décès. Seules 2 personnes se trouvaient en soins intensifs le 16 novembre ; le chiffre oscille entre 1 et 2 tout au long du mois de novembre. Quant aux décès, le nombre répertorié est de 98 au 21 novembre, le même qu’avant la recrudescence des cas. Le dernier décès est daté du 16 octobre dernier. Le pic de mortalité, lui, remonte au 20 janvier ; à cette date, aucune seconde dose n’avait été administrée à Gibraltar, selon les données publiées par le gouvernement.

« L’augmentation des cas est due à la diminution de l'immunité des premières doses du vaccin qui ont été déployées très efficacement en février et mars. Cependant, les très faibles taux de maladies graves et d'hospitalisations à Gibraltar montrent que les vaccins continuent de protéger contre les maladies graves et l'hospitalisation. », répond le Gouvernement de Gibraltar. Il précise qu’un programme de rappel vaccinatoire vient d’être déployé pour les personnes de 40 ans et plus.

Sans titre4.png

Contaminations et décès de la Covid-19 à Gibraltar en 2021 (source : Gouvernement de Gibraltar - crédit : Reuters Graphics)

Gibraltar « 2e pays d’Europe le plus touché » : une comparaison difficile à mesurer

La seconde partie de l’argumentation de Florian Philippot, assurant que Gibraltar est le « 2e pays d’Europe le plus touché par le Covid », est difficile à vérifier puisque l’ancien proche collaborateur de Marine Le Pen ne donne aucun indicateur statistique. Elle occulte de surcroît les différences démographiques au sein des États européens. Le nombre de cas à Gibraltar a effectivement augmenté dans de grosses proportions : de 3 500% entre le 20 septembre et le 16 novembre. Sauf que cela représente une hausse… de 2 à 70 cas. « Gibraltar ne compte que 35 000 habitants. rappelle Mickael Ehrminger. Des petits clusters peuvent sembler représenter une quantité énorme de personnes et faire grimper en flèche l’incidence. (...) Tous les petits pays ont des taux relativement énormes et prêtent à confusion : Andorre, les Seychelles, le Monténégro… »

Si le point de départ de Florian Philippot est avéré - Gibraltar subit bien une hausse des cas de Covid - il n’est en définitive pas révélateur d’une inefficacité des vaccins. D’ailleurs, contrairement à ce qui est indiqué dans le tweet de l’ancien député européen, les festivités de Noël n’ont pas été totalement annulées. Dans un communiqué du 12 novembre, le gouvernement précise que « le public est invité à éviter les grands rassemblements », mais il n’a annulé que ses propres fêtes de Noël, destinées à ses employés. Consul honoraire de France à Gibraltar, Pierre Fayaud conclut. « La situation est bien sûr inquiétante, mais elle n’affole pas plus ici où nous continuons à vivre normalement. Simplement, le port du masque est obligatoire dans les magasins, aéroports, transports publics, services médicaux et lors de funérailles si elles se tiennent dans des lieux relativement fermés. »

Ce fact-check a été également publié par Ecole de journalisme de Sciences Po.

Ce contenu a été réalisé dans le cadre d'un enseignement de l'Ecole de journalisme de Sciences Po.