"Mais que cache Emmanuel Macron ?" : comment un mouchoir sale a agité les conspirationnistes et forcé l'Elysée à réagir


Publié le lundi 19 mai 2025 à 15:13

000-466n93u-6821c1fd65de27222063.jpg

Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à gauche), Emmanuel Macron (au centre) et le chancelier allemand Friedrich Merz (à droite) à bord d'un train pour Kiev, le 9 mai 2025.
 

(STEFAN ROUSSEAU / AFP)

Auteur(s)

Linh-Lan Dao
franceinfo
France Télévisions

Alors que l'Ukraine et ses alliés sont fréquemment visés par des attaques prorusses, une vidéo d'une réunion entre dirigeants européens a suscité une vaste campagne de désinformation, alimentée par des allégations de consommation de cocaïne.

Un mouchoir usagé, transformé en pochon de cocaïne par la complosphère. Les images d'une réunion entre Emmanuel Macron, le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre britannique Keir Starmer à bord d'un train à destination de Kiev, vendredi 9 mai, ont déclenché deux jours plus tard une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux de la part d'acteurs prorusses. Les trois dirigeants européens se rendaient à Kiev, rejoints plus tard par le président polonais Donald Tusk, pour y rencontrer leur homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. A l'issue de ce sommet, l'Ukraine et ses alliés ont proposé à la Russie un cessez-le-feu "complet" de 30 jours à partir de lundi.

Une vidéo d'une quinzaine de secondes a amplement circulé durant le week-end sur les réseaux sociaux, notamment sur des comptes Telegram conspirationnistes prorusses. On y voit d'abord Friedrich Merz repousser un verre d'eau et un dossier bleu, puis attraper un objet effilé dans sa main droite. Au même moment, Emmanuel Macron saisit un objet blanc, le gardant dans sa main, juste avant de poser devant l'objectif des photographes d'agences de presse. Il range ensuite discrètement l'objet dans sa poche.

De Florian Philippot aux figures trumpistes

En France, Florian Philippot, l'ancien bras droit de Marine Le Pen, désormais à la tête du parti Les Patriotes, s'est interrogé sur le réseau social X : "Quand les photographes débarquent en plein milieu de leur soirée pyjamas, les trois zozos va-t-en guerre semblent mal à l'aise : que planque Macron ?!"

"Mais que cache Emmanuel Macron avec l'air d'un adolescent pris en faute ?" renchérit-on sur le compte de Debout la France, mouvement présidé par Nicolas Dupont-Aignan, ancien candidat à l'élection présidentielle. Les deux personnalités d'extrême droite, politiquement proches, sont connues pour relayer de la désinformation ou encore des narratifs pro-Kremlin. Le compte @Veritiste, qui se revendique lui-même comme "complotiste", évoque même une "soirée cocaïne entre copains", estimant que l'objet saisi par le chancelier allemand est une "cuillère à cocaïne".

Outre-Atlantique, cette rumeur a aussitôt été amplifiée par la figure du complotisme américain Alex Jones : "SCANDALE EN COURS : Macron, Starmer et Merz filmés à leur retour de Kiev. Un sachet de poudre blanche est posé sur la table. Macron l'empoche rapidement, Merz cache la cuillère. Aucune explication. Zelensky, cocaïnomane notoire, venait de les recevoir", assure l'animateur trumpiste dans un message visionné plus de 20 millions de fois sur X.

Contrairement à ce que soutient Alex Jones, cette rencontre tripartite a eu lieu avant (et non après) la rencontre avec Volodymyr Zelensky. Des images de presse de meilleure qualité, notamment celles des agences Associated Press et AFP montrent par ailleurs que l'objet laissé sur la table par Emmanuel Macron est un mouchoir usagé, tandis que celui utilisé par Friedrich Merz pourrait s'apparenter à un bâtonnet destiné à agiter une boisson.

L'Elysée contre-attaque avec un mème

L'ampleur de la polémique a poussé l'Elysée à réagir sur son compte X dans deux messages publiés en anglais et en français : "Quand l'unité européenne dérange, la désinformation va jusqu'à faire passer un simple mouchoir pour de la drogue", a déploré la présidence française. "Cette fausse information est propagée par les ennemis de la France, à l'extérieur comme à l'intérieur. Vigilance face aux manipulations."

Adoptant les codes de la toile, l'équipe de communication de l'Elysée a accompagné son tweet d'un mème, élément décliné en masse sur internet, opposant deux photos : d'un côté celle du mouchoir usagé en gros plan, avec en légende "Ceci est un mouchoir. Pour se moucher" ; de l'autre, celle des trois dirigeants européens en train de se serrer la main, accompagnée de la mention "Ceci est l'unité européenne. Pour construire la paix".

Comme l'a récemment relevé L'Opinion, l'Elysée semble avoir adopté depuis plusieurs semaines une stratégie plus offensive pour combattre les rumeurs. La présidence française a ainsi publié un démenti fin avril après la rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, dont certains médias affirmaient qu'Emmanuel Macron avait été évincé. Quelques jours plus tôt, elle avait démenti une information selon laquelle le chef de l'Etat s'apprêtait une nouvelle fois à dissoudre l'Assemblée nationale à l'automne. Même procédé début mars, après des mots qui avaient été prêtés au chef de l'Etat par Le Journal du dimanche.

Une mécanique bien huilée pour désinformer

Ce n'est pas la première fois que la drogue est utilisée comme prétexte pour discréditer l'Ukraine et ses alliés. Depuis le début du confit, le président ukrainien Volodymyr Zelensly est accusé d'en consommer, montages douteux à l'appui. Ces allégations ont d'ailleurs fait l'objet d'un démenti par l'agence Reuters en 2022. Un journaliste de la télévision ukrainienne avait également été accusé de prendre de la cocaïne en plein duplex.

"Cette affaire du mouchoir s'inscrit dans une mécanique désormais bien rodée : une image anodine, sortie de son contexte, devient le support d'une fiction délirante, relayée par des figures d'autorité dans l'écosystème conspi, qui alimentent un récit global : celui d'élites corrompues, droguées, décadentes, qui se moquent des peuples", analyse le journaliste indépendant David Medioni sur le site Conspiracy Watch. Ces narratifs font partie intégrante d'une guerre de la désinformation que mène la Russie depuis trois ans afin de déstabiliser les pays occidentaux.

Pour ce spécialiste des médias, plusieurs acteurs de la désinformation française, comme le journaliste et essayiste Alexis Poulin sur X, ont participé au "confusionnisme" ambiant. Il s'agit d'un discours, voire une stratégie politique consistant à entretenir la confusion autour d'un événement. Cette stratégie consiste notamment "à relayer la fake news, puis à relayer son démenti, et enfin à se moquer de la polémique", décrit David Medioni.

Alexis Poulin a ainsi accusé le "MouchoirGate" d'être "une instrumentalisation grossière [de la part d'Emmanuel Macron] pour hurler à la désinformation sur les réseaux sociaux". Cette affaire "montre, une fois encore, combien l'image est devenue une arme de désinformation massive. Et combien certains milieux ne cherchent pas à comprendre le réel, mais à y projeter leurs croyances", conclut David Medioni.