VRAI OU FAUX. La France dépense-t-elle plus pour acheter du gaz russe que pour aider militairement l'Ukraine, comme l'affirme Marine Tondelier ?
Publié le mercredi 5 mars 2025 à 13:58
Un navire méthanier transportant du gaz naturel liquéfié quitte le terminal de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), le 12 avril 2022.
(SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)
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Linh-Lan Dao - franceinfo - France Télévisions
En 2024, la France a importé au moins 2,7 milliards d'euros de gaz naturel liquéfié depuis la Russie. Et a accordé à l'Ukraine, dans le même temps, entre 2 et 3 milliards d'euros d'aide militaire.
Par sa dépendance aux énergies fossiles, la France sape-t-elle ses efforts pour aider l'Ukraine à se défendre contre la Russie ? C'est ce qu'a suggéré Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Ecologistes-EELV, mardi 25 février, sur franceinfo : "La France est le premier importateur de GNL [gaz naturel liquéfié] russe. On donne plus d'argent à Poutine en achetant son gaz qu'à l'Ukraine en aide militaire, a-t-elle avancé. Une guerre, ça marche avec de l'argent, et la plupart de l'argent de Poutine vient de son gaz, que nous lui achetons en masse." Dit-elle vrai ? Quelle est la valeur des importations de GNL russe en France, et est-elle supérieure au montant de l'aide militaire qu'elle accorde à l'Ukraine ?
Il n'existe pas encore de données officielles précises pour mesurer les importations de gaz naturel liquéfié russe en France en 2024. Un bilan du commerce extérieur publié sur le site des Douanes (fichier PDF), début février, note que "la France n’importe plus de pétrole et de gaz gazeux de Russie, mais a accru ses importations de GNL originaires de ce pays", sans donner de chiffres.
Des importations de GNL russe en forte hausse en France
Cette hausse est également constatée par l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), un groupe de réflexion américain spécialiste des marchés et des politiques de l'énergie, qui tient à jour un tableau de bord des importations de GNL en Europe, à partir des données disponibles en sources ouvertes. D'après un rapport de l'IEEFA, dont franceinfo a pris connaissance, les importations européennes de GNL russe ont bondi de 18% en 2024. Avec au moins 2,68 milliards d'euros dépensés pour le GNL russe (un chiffre partiel puisqu'il ne concerne que la période de janvier à novembre 2024), la France est devenue la première porte d'entrée européenne de cette énergie, devant l'Espagne, avec une augmentation de 81% par rapport à 2023. En 2024, un tiers des importations françaises de GNL provenaient de la Russie (34%).
En parallèle, dans le cadre d'un accord de sécurité signé en février 2024 avec Kiev, la France avait initialement promis d'accorder jusqu'à 3 milliards d'euros d'aide militaire à l'Ukraine pour 2024. Un chiffre revu à la baisse en octobre : lors d'une audition devant l'Assemblée nationale, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a reconnu que ce montant n'atteindrait pas 3 milliards d'euros, assurant simplement qu'il se situerait "au-dessus de 2 milliards d'euros". Une fourchette encore "à jour", confirme-t-on au ministère des Armées, interrogé par franceinfo, qui ne communique pas de chiffre plus précis. L'aide militaire comprend notamment "la valorisation des matériels cédés, les formations et nos engagements financiers".
"Taper Poutine au porte-monnaie"
Les chiffres disponibles ne sont donc pas assez précis pour déterminer si la valeur des importations de GNL russe de la France dépasse ou non celle de son aide militaire à l'Ukraine. Mais d'après les estimations existantes, les deux montants sont d'une ampleur comparable, du moins en ce qui concerne l'année 2024. Selon l'entourage de Marine Tondelier, interrogée par franceinfo, la patronne des écologistes s'est surtout appuyée sur ces chiffres pour "dénoncer le fait qu'on reprend d'une main ce que l'on donne de l'autre". "On sait depuis le début qu'il faut taper Poutine au porte-monnaie pour l'affaiblir. Or, notre dépendance énergétique à la Russie, et à d'autres pays peu exemplaires sur les droits de l'homme par ailleurs, affaiblit à la fois l'autonomie stratégique de l'Europe et l'effectivité de son soutien à l'Ukraine", déplore cette source.
En France, "la part du GNL dans les importations" a "fortement progressé en 2022 dans le contexte de réduction des exportations de gaz russe vers l’Union européenne", explique le ministère de la Transition écologique dans un rapport sur les chiffres clés de l'énergie de 2024. L'UE s'est en effet tournée vers le GNL en remplacement du gaz qui était acheminé par les gazoducs la reliant à la Russie.
Transporté par des navires sous forme liquide, le GNL doit être déchargé dans des ports, regazéifié puis injecté dans le réseau européen de gaz. La France est l'un des pays européens les mieux dotés en infrastructures pour le faire, avec cinq terminaux de regazéification. Une partie du GNL qu'elle importe n'est donc pas destiné à sa consommation, mais à être exporté dans le reste de l'Europe, notamment en Allemagne, selon l'IEEFA.
L'objectif de se passer de gaz russe d'ici à 2027
La France pourrait-elle se passer du GNL russe ? Ses sources d'approvisionnement en GNL sont déjà diversifiées : 38% provenait des Etats-Unis, 34% de Russie et 17% d'Algérie en 2024, selon les données de l'IEEFA. Elle pourrait par exemple se fournir davantage auprès du Qatar, estime auprès de franceinfo Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste principale pour l'Europe à l'IEEFA. La part du Qatar dans les importations françaises de GNL est passée de 2,22% en 2023 à 0,37% en 2024, probablement en raison des attaques en mer Rouge par des rebelles houthis du Yémen. "Mais le transit reprend peu à peu dans cette région", relève la spécialiste.
En 2022, la Commission européenne s'était donné comme objectif de se passer des énergies fossiles russes d'ici à 2027, en réponse à l'invasion russe en Ukraine. L'IEEFA recommande dans son rapport de commencer par "éliminer les achats spots [achats pour une livraison à court terme] de GNL russe par la France, l'Espagne et la Belgique", qui représentent, à elles trois, 85% des importations européennes de ce gaz liquéfie russe. "Tant qu'il n'y aura pas d'interdiction ferme de l'Europe, les importations vont se poursuivre", anticipe Ana Maria Jaller-Makarewicz, qui plaide pour une transition vers les énergies renouvelables.