VRAI OU FAUX. Mort du pape François : le film "Conclave" est-il une représentation réaliste de la réunion des cardinaux pour élire le souverain pontife ?
Publié le mardi 6 mai 2025 à 12:22
Les cardinaux entrant dans la chapelle Sixtine, au Vatican, avant le début du conclave, le 12 mars 2013.
(OSSERVATORE ROMANO / AFP)
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Zoé Aucaigne - franceinfo (France Télévisions)
Si certains passages du scénario sont jugés exagérés par des spécialistes du Vatican, le thriller papal est globalement conforme à l'élection d'un souverain pontife. Attention, cet article révèle des éléments de l'intrigue du film.
"Quoi, tu n'as pas vu le film Conclave ?!" Le thriller papal sorti en 2024 au cinéma et récompensé aux Oscars connaît un soudain regain d'intérêt depuis la mort du pape François, lundi 21 avril. Après un beau succès en salle – presque 1,2 million d'entrées en France, d'après Allociné – c'est désormais sur les plateformes de vidéo à la demande qu'il cartonne : le nombre de minutes visionnées a augmenté de 283% lundi, rapporte le média spécialisé Variety. Et face à l'engouement, le groupe UGC a remis le long-métrage à l'affiche entre jeudi 24 et lundi 28 avril.
Pour cause, ce film de fiction, réalisé par Edward Berger et basé sur le roman éponyme de Robert Harris, est une immersion dans les coulisses du conclave, à l'occasion duquel les cardinaux électeurs désignent le nouveau pape. On y suit le cardinal Lawrence, incarné à l'écran par l'acteur britannique Ralph Fiennes, qui doit composer avec les "machinations politiques au sein du Vatican" pour assurer le bon déroulé du scrutin, comme l'explique le synopsis. Mais alors, le film est-il fidèle à la réalité ? Franceinfo a démêlé le vrai du faux. Attention, spoilers !
Le sceau apposé sur la porte de la chambre du pape défunt : vrai
Au début du film, la chambre du pape, dont le corps a été déplacé en dehors de ses appartements, est mise sous scellés. Cette scène est tout à fait conforme au rite qui suit la mort du souverain pontife, comme le montre la vidéo diffusée par le site Vatican News lundi 21 avril à la suite de la mort du pape François. "Les scellés ont été posés sur l'appartement papal au troisième étage du Palais apostolique et également sur l'appartement au deuxième étage de la maison Sainte-Marthe", décrit le site d'informations pontificales.
Dans le détail, c'est le camerlingue – cardinal de la cour pontificale qui gouverne quand le Saint-Siège est vacant – qui réalise cette opération, en s'assurant au préalable "que le personnel qui réside habituellement dans l'appartement privé puisse y demeurer jusqu'après la sépulture du pape", précise la Constitution apostolique.
La participation au conclave d'un cardinal nommé en secret : peu probable
L'un des premiers rebondissements du film est l'arrivée au Vatican de Vincent Benitez, cardinal de Kaboul, inconnu de ses confrères, car nommé secrètement par le pape défunt. Cette procédure existe : c'est un cardinal in pectore, qui signifie en latin "dans la poitrine" – comprendre "dans le cœur du pape". "Avant l'accord de 2018, des cardinaux et des évêques étaient nommés en secret en Chine", illustre Bernard Lecomte, auteur de France-Vatican - Deux siècles de guerre secrète. L'idée est de protéger ces hommes d'église des risques de persécutions dans le pays où ils résident.
Un portrait non daté du cardinal Janis Pujats, archevêque de Riga et nommé cardinal "in pectore" par le pape Jean-Paul II en 1998, au Vatican. (OSSERVATORE ROMANO / AFP)
Mais un cardinal in pectore a-t-il le droit de participer au conclave aux côtés de ses confrères ? "Le film est fondé sur une interprétation très discutable du droit canonique", juge le chroniqueur spécialiste de l'actualité religieuse Alain Pronkin sur Présence Info. Dans le long-métrage, "on accepte la présence du cardinal nommé in pectore sans la tenue d'un consistoire [la réunion des cardinaux présidée par le pape], élément essentiel pour accéder au rang de cardinal et toutes ses prérogatives."
La participation d'un cardinal nommé en secret irait en outre à l'encontre de l'objectif visé par cette procédure, tranche Bernard Lecomte : "Certains d'entre eux, s'ils étaient dévoilés, iraient en prison. Ils n'ont donc pas intérêt à sortir de l'ombre."
Le dispositif de sécurité pour isoler les cardinaux : plutôt vrai
Le conclave est un mot dérivé du latin cum clave ("avec une clé"), autrement dit "fermé à clé". Le film met en scène plusieurs dispositifs pour s'assurer de l'isolement des cardinaux au Vatican : des brouilleurs électroniques – afin de bloquer la communication entre appareils –, une fouille des cardinaux, des portiques de sécurité… "Ces précautions sont tout à fait conformes à la réalité", assure Daniel Gallagher, maître de conférences en philosophie et littérature à l'université de Ralston (Etats-Unis) et qui a travaillé au secrétariat des papes Benoît XVI et François.
"Les cardinaux n'ont pas le droit aux téléphones, ordinateurs, montres connectées... Et concernant le brouilleur, je me souviens que mon portable ne fonctionnait pas, car mon bureau était dans le palais apostolique" collé à la chapelle Sixtine, où les cardinaux se réunissent pour voter, relate Daniel Gallagher. En 2013, pour le conclave qui a suivi la renonciation de Benoît XVI, le porte-parole du Vatican expliquait d'ailleurs à franceinfo que le brouillage était "tellement fort que tous les petits téléphones [étaient] bloqués dans le quartier".
Autre dispositif de sécurité mentionné : un système de lasers pour détecter les vibrations des fenêtres de la chapelle Sixtine, qui signale une tentative de reproduire la conservation grâce aux ondes. Cet outil n'a jamais été mentionné par le Vatican. Mais ce risque a déjà été évoqué par des experts en sécurité avant le conclave de 2005. "De nombreuses agences de renseignement dans le monde tentent certainement de pénétrer au sein du Saint-Siège, affirmait à l'époque Andrea Mergelletti, président du Centre d'études internationales de Rome (Italie), à Voice of America. Ils le feront à l'aide d'avions spéciaux, par exemple des avions espions… ou des lasers."
La scission de l'Eglise entre progressistes et conservateurs : plutôt vrai
Le film met en scène deux camps bien distincts qui s'affrontent. D'un côté, la frange conservatrice, représentée par le cardinal italien Goffredo Tedesco (joué par Sergio Castellitto), un réactionnaire opposé aux réformes progressistes menées sous le dernier pontificat. Dans la même tendance s'inscrit le Nigérien Joshua Adeyemi (Lucian Msamati), ouvertement homophobe. De l'autre, le cardinal Aldo Bellini (Stanley Tucci), un libéral bien placé dans la course et qui marche dans les pas du défunt pape. Ou encore le cardinal Thomas Lawrence (Ralph Fiennes) qui, malgré ses doutes et sa volonté de neutralité, montre une certaine proximité avec le camp des libéraux.
Cette division interne à l'Eglise catholique est bien réelle, assure Bernard Lecomte : "En 2 000 ans, elle a toujours été partagée entre des gens plutôt conservateurs et d'autres plutôt réformateurs. Les premiers sont très attachés à la transmission du dogme, de l'Evangile, les seconds à l'adaptation de l'Eglise aux évolutions des sociétés." Quant aux thèmes abordés, qui comprennent l'homosexualité, la place des femmes ou l'ouverture aux autres religions, ils font écho à ceux qui préoccupent l'Eglise actuellement. "Aujourd'hui, on comprend bien que les questions sociétales font partie des sujets importants, ce qui était moins le cas avant", confirme l'écrivain.
Daniel Gallagher est plus nuancé, jugeant la mise en scène "un peu exagérée". Dans le prochain conclave, "même s'il est inévitable que ces thématiques seront abordées, les cardinaux vont également discuter de l'enseignement doctrinal et du parcours personnel des uns et des autres", ce qui est très peu représenté à l'écran, ajoute-t-il.
Les cardinaux ne se présentent pas en tant que candidat : vrai
C'est un comique de répétition dans le long-métrage : les cardinaux n'assument pas ouvertement de prétendre au Saint-Siège, tout en accusant les autres de nourrir cette ambition. "Il est pratiquement tabou de dire que l'on veut être pape, confirme Daniel Gallagher. Il est probable que certains demandent à leurs soutiens ce qu'ils pensent de leur potentiel 'papable', mais ce ne sera jamais dit publiquement. On n'a, en tout cas, aucun exemple contemporain."
A l'inverse, la demande pressante du cardinal Lawrence à ses homologues d'arrêter de voter pour lui est concevable, selon le professeur, citant le conclave de 2005. "Selon une rumeur, jamais confirmée ni démentie par l'intéressé, le cardinal Jorge Mario Bergoglio [qui deviendra huit ans plus tard pape sous le nom de François] aurait recueilli une quarantaine de voix (…) avant qu'il ne laisse finalement entendre qu'il ne voulait pas être élu", écrivait La Croix en 2013. "Suffisamment" de suffrages pour empêcher alors l'élection du cardinal Joseph Ratzinger. Ce théologien conservateur, à qui Jean-Paul II avait confié pendant des décennies la congrégation pour la doctrine de la foi, lointaine héritière de l'Inquisition, avait finalement été élu pape sous le nom de Benoît XVI.
Les coups bas entre cardinaux : probable
Dans Conclave, les "papabile" tombent les uns après les autres au fil de révélations fâcheuses. On apprend que le cardinal Adeyemi a eu un enfant naturel d'une religieuse nigériane, que le cardinal Joseph Tremblay (John Lithgow) a fait venir au Vatican. Lui-même sera ensuite accusé par le cardinal Lawrence d'avoir acheté les voix de ses confrères. Le cardinal Bellini lui demandera de brûler les preuves, signe de sa potentielle implication dans ce système de pots-de-vin.
Difficile de savoir si de tels coups bas se sont déjà produits lors d'un conclave, mais pour Bernard Lecomte, "les manipulations ou les coups d'influence sont tout à fait probables, car l'ambition existe, la jalousie aussi".
"Il ne faut jamais oublier qu'un conclave, c'est avant tout une affaire d'hommes."
à franceinfo
"Si on n'a jamais vu les coups bas précis de l'intrigue pendant des conclaves, on en a vu dans le cadre de l'Eglise", rappelle Bernard Lecomte. En 2012, l'affaire des "VatiLeaks" a défrayé la chronique. Un livre-enquête, s'appuyant sur des fuites de documents confidentiels, dévoile les luttes de pouvoir dans l'entourage du pape Benoît XVI sur fond d'affaires financières. L'affaire avait conduit à l'arrestation du majordome de pape et entaché le pontificat de Benoît XVI.
La fin du film : très peu probable
"Surprenante", "renversante", "ridicule"… La fin du film a divisé les spectateurs, d'après les avis publiés sur le site Allociné. Il faut dire que le rebondissement final est cocasse : juste après son élection, le pape élu avoue au cardinal Lawrence être intersexe, "remettant ainsi en question les conceptions rigides de l'Eglise sur le genre et sur qui peut être pape", souligne The Guardian.
Pour les spécialistes interrogés par franceinfo, ce dénouement est très peu probable. "On ne se rend pas compte, mais lors des discussions qui précèdent le vote, les cardinaux apprennent à se connaître, et très vite. Ça serait difficile de garder un tel secret", estime Daniel Gallagher.
De son côté, Bernard Lecomte juge déjà plus probable l'élection d'une femme, rappelant l'histoire légendaire de la papesse Jeanne, remontant au IXe siècle. La légende dit qu'après être parvenue à se faire élire souveraine pontife en se déguisant en homme, elle aurait été démasquée lors de son accouchement. De ce mythe en naîtra un autre, rappelle l'écrivain : celui de la vérification de la masculinité du pape élu. "Toutes ces histoires nourrissent l'humanité des cardinaux", sourit-il.