5%, 9% ou 23% ? L'écart salarial hommes-femmes, réalité à géométrie variable selon les candidats à l'Elysée
5%, 9% ou 23% ? L'écart salarial hommes-femmes, réalité à géométrie variable selon les candidats à l'Elysée
Publié le mardi 8 mars 2022 à 17:18
( AFP / MIGUEL MEDINA)
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AFP France
5%, 9% ou 23 %? A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, des candidats à la présidentielle ont évoqué l'écart salarial entre femmes et hommes en se fondant sur des données pouvant varier du simple ou double. Si ces chiffres sont tous justes, ils recouvrent toutefois des périmètres et réalités différentes, explique l'Insee.
A la veille du 8 mars, les candidats à l'élection présidentielle étaient invités lundi soir sur LCI à répondre à des questions posées par des lectrices du magazine Elle. Parmi les sujets abordés, la question de l'écart salarial entre les femmes et les hommes a été évoquée, notamment lors des échanges avec Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, qui ont retenu deux chiffres différents pour appuyer leurs argumentaires respectifs : 5% et 9%.
"Il y a un écart de 23% si on ne tient pas compte des différences de temps de travail, de diplômes et surtout de métier choisi" mais "sinon c'est 5%" , a estimé le candidat de Reconquête !. "Le problème c'est qu'on met les torchons et les serviettes, on mélange les activités qui n'ont rien à voir. Evidemment il y a plus de femmes chez les magistrats, chez les enseignants dans le social, dans la santé, avec des salaires plus faibles que chez les ingénieurs ou chez les traders, ça fait la différence. En plus il y a des femmes qui choisissent le mi-temps exprès pendant quelques années pour pouvoir élever leurs enfants, elles ont le droit, elles choisissent le métier qu'elles veulent et elles choisissent le rythme qu'elles veulent."
S'exprimant quelques minutes plus tard sur le même plateau, Jean-Luc Mélenchon a profité de l'occasion pour annoncer une nouvelle mesure de son programme, une prime d'égalité salariale qui obligerait les entreprises qui ne respecteraient pas la loi de 1972 sur l'égalité salarial entre hommes et femmes à verser une prime aux femmes égale à 10% de leur salaire.
"L'écart constaté à qualification égale temps de travail égal l'écart c'est 9 points, il y a toutes les autres causes qui amènent à 25% d'écart , a développé le candidat de la France insoumise. "Puisque c'est 9%, c'est 10 donc il y aura une prime de 10 avec des cotisations sociales."
5%, 9%, 23%? De quoi parle-t-on exactement?
En France, les données portant sur les écarts de salaires entre les femmes et les hommes sont largement issues des études de l'Insee qui communique régulièrement sur trois chiffres bien distincts.
Le premier concerne le revenu salarial, c'est-à-dire l'ensemble des rémunérations perçues par les salariés pendant l'année. "Ce chiffre était de l'ordre de 22% sur l'ensemble des salariés du privé et du public en 2019", indique Fabien Guggemos, responsable division salaires et revenus d'activités à l'Insee, contacté par l'AFP le 8 mars.
"Cet écart s'explique pour une partie non négligeable au fait qu'il y a des inégalités de volume de travail entre les hommes et les femmes : 30% des femmes sont par exemple en temps partiel contre 10% des hommes", ajoute-t-il.
Le deuxième chiffre porte sur les écarts de salaires à équivalent temps plein, c'est-à-dire au même volume de temps travaillé entre les hommes et les femmes. "L'écart est dans ce cas de l'ordre de 16% public et privé confondus", poursuit Fabien Guggemos. "Cet écart s’explique en partie par le fait que les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes types d’emploi, les femmes travaillant par exemple plus fréquemment dans des secteurs moins rémunérateurs que les hommes".
Le troisième chiffre, enfin, porte sur les écarts de salaires non seulement à même temps de travail, mais aussi à poste égal. Les précédentes études de l'Insee évoquaient un écart de 9% à âge, secteur d’activité et taille de l’entreprise identiques. Une étude plus affinée, publiée en 2020 et portant sur l'année 2017, a conclu à un écart de 5,7% dans le privé, à poste identique (même profession exercée pour un même employeur), ajoute-t-il.
Les chiffres évoqués par Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour sont donc corrects mais ils reflètent juste des périmètres différents. En isoler un au profit des deux autres fait donc courir le risque d'occulter une partie du tableau.
Le chiffre de 5% (ou 9%) "s'approche le plus d'une mesure de discrimination salariale", souligne Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités. "Mais si on ne prend en compte que ce chiffre, on occulte ce qui s'est passé en amont, à savoir ce qui fait que les femmes sont plus en temps partiel, ce qui fait qu'elles fassent des études qui les emmènent vers des métiers où les salaires ne sont pas les mêmes que les hommes".
"Tout dépend donc de quoi on veut parler. Ce sont deux choses qui comptent, qui sont différentes mais qu'il faut avoir en tête. Elles disent des choses sur la société française, elles ne s'opposent pas", ajoute-t-il, joint au téléphone par l'AFP le 8 mars.
"Un seul chiffre c'est trop succinct, cela ne permet pas de refléter les différentes composantes : il y a vraiment trois chiffres, 26%, 16% et 5%", estime pour sa part Fabien Guggemos.
( AFP / FRED DUFOUR)
En France, l'égalité au travail ou en politique est encadrée par une dizaine de textes depuis 1972, en plus de la Constitution qui consacre des "droits égaux" aux hommes et aux femmes. La loi de 1972 a inscrit dans le Code du travail l'égalité de rémunération entre hommes et femmes (salaire de base et autres avantages) pour "un même travail ou un travail de valeur égale". Depuis, pas moins d'une dizaine de textes ont été adoptés pour tenter de faire avancer les choses.
Le dernier texte en date a instauré un index, obligatoire pour les entreprises, d'égalité professionnelle femmes/hommes. Il est entré en vigueur en 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et en 2020 pour celles de 50 à 250 salariés. Concrètement, cette note globale sur 100 comprend cinq critères : l'écart de rémunération femmes-hommes (40 points), l'écart dans les augmentations annuelles (20 points), l'écart dans les promotions (15 points), les augmentations au retour de congé maternité (15 points) et enfin la présence de femmes parmi les plus gros salaires de l'entreprise (10 points).
Lorsque la note est inférieure à 75, l'entreprise doit prendre des mesures correctives dans les trois ans. Selon le bilan publié lundi par le ministère du Travail, l'index s'est légèrement amélioré en 2021 - la valeur moyenne de l'index égalité professionnelle a augmenté d'un point pour atteindre 86 sur 100. Seize entreprises de plus de 250 salariés, qui ont enregistré une note inférieure à 75 pour la quatrième année consécutive, vont elles être sanctionnées.
Beaucoup de textes et de mesures, pour quels effets? Si les associations de défense des droits de femmes reconnaissent certaines avancées, elles insistent sur le fait que beaucoup reste encore à faire.
A l'Insee, on fait état d'une réduction à un "rythme régulier" depuis quarante ans des écarts de salaire entre les femmes et les hommes à volume de travail égal. "Pour les seuls salariés à temps complet, l’écart entre les salaires moyens des femmes et des hommes atteint 16,3 % en 2017, contre 29,4 % en 1976, soit une baisse de 0,3 point par an en moyenne sur la période", peut-on lire dans l'étude publiée en mars 2020.
La baisse est en revanche "moindre pour les écarts de revenu salarial" et "aussi plus irrégulière" : après une baisse de 0,5 point par an jusqu’à la fin des années 1970, l’écart de revenu salarial entre les femmes et les hommes a ainsi stagné entre 1980 et 2000, "en raison de l’essor pour les femmes du travail à temps partiel". Depuis le début des années 2000, l’écart de revenu salarial se réduit à nouveau, de 0,4 point par an en moyenne, selon l'Insee.
"Globalement les inégalités se sont réduites sur les dernières décennies, tant en termes de revenu salarial qu’en termes de salaires à temps de travail égal, même si elles persistent. Plus que des inégalités de salaire à poste égal, elles reflètent davantage le fait que les femmes accèdent toujours moins que les hommes aux postes les mieux rémunérés, notamment ceux à très haute responsabilité, c’est le fameux phénomène du plafond de verre", relève Fabien Guggemos de l'Insee.
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