Attention à ces affirmations sur un prétendu pillage de l'or malien par la France
Attention à ces affirmations sur un prétendu pillage de l'or malien par la France
Publié le jeudi 28 septembre 2023 à 16:04
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Théo MARIE-COURTOIS
Dans des publications partagées depuis fin août sur Facebook et Tiktok, des internautes affirment que les réserves françaises d'or seraient issues de pillages au Mali. Mais comme a pu le vérifier l'AFP, une grande partie de l'or détenu dans les sous-sols de la Banque de France a été achetée aux Américains à partir de 1965 dans le cadre de la politique monétaire voulue par le général de Gaulle. En outre, l'exploitation des gisements aurifères maliens n'a débuté qu'après l'indépendance du pays en 1960, et est essentiellement opérée par des entreprises anglo-saxonnes.
“Peuple africain, peuple du Mali, peuple du Niger, peuple du Faso, peuples du monde, regardez l’or que la France pille du Mali et où elle vient le cacher.” : voici le texte qui accompagne un extrait de reportage présentant les réserves en or de la France.
Sur cette vidéo, partagée plus de 18.000 fois sur Facebook depuis le 30 août, et qui comptabilise pas moins de 1,3 million de vues, on peut également lire cette phrase sur fond rouge : “Voilà ce que la France volés (sic) en Afrique depuis mille neuf cent vingt (1920)”.
C’est pourtant trompeur car les accusations selon lesquelles l'or détenu par l'Etat français provient du Mali ne reposent sur aucun fondement.
Pour lancer ces accusations, la vidéo s'appuie sur un extrait de reportage télévisé qui offre une plongée dans les coffres-forts ultra-sécurisés de la Banque de France, où sont stockées depuis 1920 les réserves en or de la France, parmi les plus importantes au monde. Une recherche d’image inversée ne nous permet pas de retrouver le reportage intégral, seulement ce qui semble être un extrait plus long de cette même vidéo (lien archivé ici).
En s’appuyant sur les éléments d’habillage qui apparaissent à 00:05 et 00:50 secondes, et grâce à la mention dans les crédits de l’ancien reporter de TF1 Romain Verley, on peut toutefois déduire qu’il s’agit d’un sujet diffusé lors du 20H de la première chaîne française. Une impression que semble confirmer cette image (lien archivé ici) disponible sur le site spécialisé "L'Or et l'Argent", montrant la même scène de crédit mais dézoomée, avec le logo TF1 bien visible en bas à gauche.
Il n'a pas été possible de retrouver le reportage original, les archives antérieures à 2016 n'étant pas disponibles sur le site internet de TF1, mais selon toute vraisemblance, il a été diffusé en 2008. Pour déterminer cette temporalité, nous nous sommes appuyés sur les propos du journaliste, qui explique à partir d’1 minute 10 : “Depuis cinq ans, le stock (d’or) a diminué. La France a vendu 500 tonnes d’or pour acheter des devises en dollars et en yen.” Un commentaire en phase avec la vente entre 2004 et 2009 de 539 tonnes d’or détenu par la France, la dernière en date, comme précisé dans ce rapport de la Banque de France (lien archivé ici).
“Au total, 2.500 tonnes d’or reposent sur ces étagères. Cela représente 54 milliards d’euros”, précise également le journaliste. Sur l’année 2008, la Banque de France a cédé 103 tonnes d’or (lien archivé ici), ses réserves aurifères atteignant 2.491 tonnes à la fin de l’année.
De l'or contre des dollars
Si la vidéo présente bien les stocks français d’or, conservés dans les sous-sols de la Banque de France, elle ne précise pas en revanche l’origine de ces lingots et autres barres, et ne fait pas non plus référence à l’Afrique ou au Mali.
Avec 2.436 tonnes d’or à date, la France possède la cinquième réserve aurifère la plus importante au monde selon le Conseil mondial de l’or (lien archivé ici), derrière les Etats-Unis, l’Allemagne, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Italie. Mais cet or, conservé par la Banque de France, comme présenté dans le reportage mentionné ci-dessus, est essentiellement d’origine américaine.
En effet, la France a dépensé la majorité de son or pour financer la reconstruction après la Seconde Guerre Mondiale et n’est parvenue à reconstituer ses réserves qu’à la fin des années 60. En pleines 30 Glorieuses, “la balance commerciale (du pays) est très excédentaire”, rapporte à l’AFP Emmanuelle Assouan, directrice générale de la Stabilité financière et des opérations de la Banque de France. Cette bonne santé économique permet à la France de se constituer un stock de dollars important.
“En 1965, le général de Gaulle, alors président de la République dit +je n’ai pas confiance dans la solidité du dollar+ et comme c’était la seule devise à bénéficier de la convertibilité de l’or, on va voir les Américains, on leur donne leurs dollars en papier et on leur prend de l’or au taux de la convertibilité”, explique Mme Assouan. Alors que les réserves aurifères françaises avaient chuté à environ 500 tonnes à la fin des années 40, elles atteignent alors “un plus haut [compris] entre 4.500 et 5.000 tonnes d’or” en provenance “des caisses de la Réserve fédérale américaine”.
Cet épisode est mentionné dans plusieurs publications comme dans cet article de l'économiste Eric Monnet (lien archivé ici). Les réserves françaises ont ensuite diminué au fil des ventes successives jusqu’à se stabiliser au niveau actuel. Une évolution également confirmée par la London Bullion Market Association(LBMA), l'organisme régissant le commerce international de l'or (lien archivé ici).
Depuis l'indépendance, un secteur minier essentiel au Mali
Si ces stocks ne sont pas maliens, la France aurait-elle pu piller l’or malien plus tôt dans son histoire, lors de la colonisation par exemple ? Là encore, rien ne l’atteste, les chercheurs et l'Etat malien s’accordant à situer le début de l’exploitation industrielle d’or au Mali après l’indépendance du pays en 1960.
“Le caractère tardif de la découverte et de l’exploitation de gisements rentables a contribué au manque d’attractivité des colonies africaines pour les capitaux métropolitains, tout en préservant le potentiel minéral de la région, mis en exploitation pour l’essentiel depuis les indépendances”, écrit la chercheuse Stéphanie Samson dans Les « trésors méconnus » de l’Afrique subsaharienne française (lien archivé ici), un chapitre de l'ouvrage L'économie faite homme, paru chez Droz en 2010.
Dans ce rapport (lien archivé ici) publié en 2019 par le ministère malien des Mines et du Pétrole, on apprend que l’administration coloniale a largement cartographié les sous-sols du pays, “toutes les cartes géologiques du Mali notamment les anomalies [gisements présentant une concentration en or élevée, NDLR] les plus importantes encore en cours aujourd’hui” étant issues de cette période.
Mais selon ce même document, ce potentiel minier n’est véritablement exploité qu’à partir de l’indépendance en 1960 grâce à la création notamment de la Société Nationale de Recherche et d'Exploitation Minière (SONAREM). En 1987, avec le soutien de l’Union européenne, le Mali découvre “de nombreuses anomalies aurifères” dont deux sont “transformées en gisements de classe mondiale (Sadiola en 1997 et Yatéla en 2001).”
C’est à ce moment que la production de l’or explose au Mali, passant “de 4,6 tonnes en 1991 à 64 tonnes en 2002”, indique Claire Mainguy, maîtresse de conférences à l'université de Strasbourg, dans un article intitulé Investissements étrangers et développement : le cas du secteur de l'or au Malihttps://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2013-2-page-87.htm (lien archivé ici) paru en 2013 dans la revue Mondes en développement. En 2022, elle aurait même culminé à plus de 100 tonnes, selon le Conseil mondial de l’or. Cette exploitation est réalisée par des sociétés détenues conjointement par des géants anglo-saxons miniers comme Randgold Resources (Canada), B2Gold (Canada) et Resolute Mining (Australie) et l’Etat malien, à hauteur de 20% maximum (comme ici (archive), ici (archive) et ici (archive)).
Comme le précise Claire Mainguy, le Mali perçoit des dividendes sur cette production ainsi que des taxes et des revenus liés aux permis d’exploitation. En 2020, cela représentait près de 310 milliards de francs CFA, soit plus de 472 millions d’euros à l’époque, selon l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) (lien archivé ici).
En mars 2023, le ministre des Mines d’alors, Lamine Seydou Traoré, indiquait que le secteur aurifère contribuait à hauteur de 25% du budget malien et 10% du PIB, selon des propos rapportés par l’AFP. Un nouveau code minier adopté durant l'été devrait rapporter au minimum 500 milliards de francs CFA (762 millions d'euros) au budget annuel de l'État, disait le ministre de l'Économie Alousséni Sanou au moment de l'approbation du texte par le conseil tenant lieu d'organe législatif le 8 août.
Lorsqu'on parle d'"or français", il faut par ailleurs distinguer exploitation des gisements aurifères et augmentation des réserves françaises d'or, deux situations très différentes. Les sols ont par exemple été exploités dès le 19ème siècle dans la colonie française de Guyane (lien archivé ici), comme l'explique ce rapport de l'Office français de la biodiversité. Jusqu'à 4,5 tonnes par an ont été extraites avant la Première Guerre Mondiale par des compagnies essentiellement privées qui revendaient ensuite leur production, sans impact direct sur les stocks d'or de la Banque de France.
Aujourd'hui, la Guyane continue d'attirer des compagnies privées françaises et étrangères. Auplata, premier producteur d'or français coté en bourse - dont la présence en Afrique sub-saharienne se limite à des permis d'exploration en Côte d'Ivoire -, y a ainsi produit 285 kg d'or en 2021 (lien archivé ici).
La Banque de France sert de lieu de conservation
Une autre confusion possible à l'origine des affirmations trompeuses qui circulent sur les réseaux sociaux concerne le stockage des réserves en or de l’Etat malien.
La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui regroupe huit pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), conserve en effet la majorité de ses réserves d’or dans le sous-sol de la Banque de France, comme l’indique ce document officiel (lien archivé ici). Ainsi, 1,05 million d’onces, la mesure la plus commune pour l’or, soit plus de 29 tonnes y sont stockées, dans des compartiments séparés des réserves françaises.
Cet or, qui n'a rien à voir avec les réserves de l'Etat français, appartient bien à la BCEAO et celle-ci peut décider son transfert à “tout moment”, explique Emmanuelle Assouan de la Banque de France, précisant que le transport de ces tonnes d’or nécessite néanmoins “quelques jours” de préparation.
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