Attention à ces chiffres sur la pollution émise par les deux-roues motorisés en France
Attention à ces chiffres sur la pollution émise par les deux-roues motorisés en France
Publié le mardi 13 juin 2023 à 12:51
(LIONEL BONAVENTURE / AFP)
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AFP France
Les deux-roues motorisés, responsables de "0,5% des émissions polluantes" ? Ce chiffre est mis en avant par la Fédération française des motards en colère (FFMC) qui demande à pouvoir circuler dans les zones à faible émission (ZFE) mises en place dans les grandes agglomérations pour lutter contre la pollution de l'air. Attention : ce chiffrage, qui tend à minimiser l'impact environnemental des deux roues-motorisés, est à nuancer car il mêle des émissions de substances très diverses qui n'ont pas toutes le même effet sur l'air et le climat. Il ne précise pas non plus le périmètre de comparaison retenu, soulignent l'agence de la transition écologique, le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) et un chercheur interrogés par l'AFP.
Depuis leur inscription dans la loi mobilité de 2019, les zones à faibles émissions (ZFE) dans les grandes métropoles françaises n'en finissent pas de faire grincer des dents chez les motards.
Ces derniers ont une nouvelle fois manifesté (lien archivé) samedi 3 juin à Paris contre l'instauration de ces zones - où les véhicules les plus polluants sont progressivement interdits de circulation -, la mise en place d'un contrôle technique pour les deux roues motorisés ou encore le stationnement payant dans les rues de la capitale.
"Saviez-vous que 3,9 millions de 2-roues motorisés ne sont responsables que de 0,5% des émissions polluantes?", peut-on lire dans une lettre ouverte (lien archivé) au chef de l'Etat entre autres, la Fédération française des motards en colère (FFMC), qui cite comme source l'Ademe, l'agence de la transition écologique.
Mais attention : ce chiffre, relayé sur les réseaux sociaux, est à nuancer tant les émissions des deux roues motorisés sont contrastées suivant le type de pollution concernée et le périmètre retenu, soulignent l'Ademe, le centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) et un chercheur interrogés par l'AFP.
"En l'absence de précisions sur le périmètre de référence utilisé dans la communication de la FFMC, il est délicat de confirmer ou d'infirmer le chiffre", souligne-t-on à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie contactée le 6 juin 2023.
La FFMC "évoque des +émissions polluantes+ sans en préciser la nature ni le périmètre", ajoute l'Ademe. Or, "il est important d’expliciter de quelles émissions on parle pour évaluer des tendances de ce type. Les 2 roues motorisés ont des émissions très contrastées selon qu’on parle de CO2 - qui n’est pas à proprement parler un polluant mais qui fait très fréquemment l’objet d’un amalgame - ou de polluants réglementés (monoxyde de carbone, hydrocarbures imbrûlés, oxydes d’azote, particules)."
"Attention à bien faire la distinction et ne pas tomber dans la confusion très répandue entre gaz toxiques (qualité de l'air) et CO2 (climat)", abonde Didier Pillot (lien archivé), chercheur au laboratoire Eco gestion des systèmes énergétiques pour les transports à l'université Gustave Eiffel (ex-IFSTTAR - Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux). "C'est toujours compliqué de savoir de quoi on parle, il y a tellement de chiffres ou de façons de voir le problème qu’on peut toujours trouver quelque chose qui va dans un sens ou dans l’autre. Il ne faut pas laisser le flou sur ce genre de données, on doit savoir de quoi on parle".
De quoi parle-t-on? En France, le parc des deux-roues motorisés (2RM) était estimé en 2020 à plus de 2,7 millions de véhicules (lien archivé), "un chiffre qui reste stable depuis une dizaine d'années", selon l'observatoire interministériel de la sécurité routière (ONISR). A titre de comparaison, le parc automobile était lui estimé à la même période à 36,09 millions de véhicules.
Compte tenu de cette disparité, la pollution générée par les 2RM n'a fait l'objet que d'une poignée d'études ces dernières décennies, contrairement à celle émise par les autres types de véhicules, et les constructeurs sont longtemps restés soumis à des normes européennes moins contraignantes que celles s'appliquant aux automobiles.
Lancées en 1992, ces normes anti-pollution (Euro 1, 2, 3 etc), aussi appelées "normes euro", fixent, pour les véhicules neufs à moteur, les limites maximales d’émissions de polluants atmosphériques. Depuis leur mise en place, la liste des polluants mesurées a été considérablement élargie et les seuils tolérés sont régulièrement revus à la baisse.
En France, c'est le Citepa (lien archivé) et sa publication annuelle Secten (lien archivé) qui font référence depuis 1990 en terme de bilan des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques à l'échelle nationale. Dans le secteur des transports, sont notamment calculés les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les émissions de polluants : émissions de COVNM (composés organiques volatils non méthaniques), de CO (monoxyde de carbone), de NOx (oxyde d’azote), ou encore de particules fines PM2.5.
Ceci étant posé, d'où vient le "0,5% d'émissions polluantes" mis en avant par la FFMC qui cite comme source l'Ademe?
Contactée par l'AFP, cette dernière juge "délicat" de confirmer ou d'infirmer ce chiffre compte tenu de l'absence de précisions sur le périmètre de référence.
"Les 2RM sont vertueux en émissions de GES / CO2, ne sont pas des contributeurs majoritaires aux émissions de NOx et particules, mais restent dans l’ensemble de forts émetteurs de CO et COVNM (qui peuvent intervenir dans certaines cinétiques chimiques de l’atmosphère et contribuer à la formation de polluants secondaires)", souligne-t-on.
Tout dépend donc du type d'émissions polluantes et du périmètre retenu. Parle-t-on de la part des émissions générées par les 2RM dans les émissions nationales de gaz à effet de serre (CO2)? Ou dans les émissions polluantes? Ou alors parle-t-on de la part des émissions générées par les 2RM uniquement dans le secteur des transports?
"S’il s’agit en fait des émissions de gaz à effet de serre, dans ce cas on peut avoir un indicateur agrégé, en équivalent CO2 : en 2022, les deux-roues représentent 0,3% des émissions nationales de gaz à effet de serre, tous gaz confondus", souligne-t-on au Citepa, contacté le 6 juin 2023 par l'AFP.
"S’il s’agit des émissions de polluants, il n'existe pas d'indicateur agrégé permettant de traiter à la fois des acidifiants et eutrophisants, particules, métaux lourds, polluants organiques persistants", ajoute-t-on de même source. "On ne peut sommer [faire la somme, NDLR] ces substances très différentes. Il faut regarder polluant par polluant".
En 2022, les deux-roues représentent 0,1% des émissions nationales de PM2,5 et de PM1,0, 0,2% des émissions nationales de NOx, 0,8% des émissions nationales de COVNM, 0,5% des émissions nationales de Chrome (Cr), 0,4% des émissions nationales de Cadmium (Cd), selon le Citepa. Si on retrouve "l'ordre de grandeur de 0,5%" évoqué par la FFMC, "cela n’a pas de sens de parler de pourcentage de la pollution en général", met toutefois en garde le centre.
Par ailleurs, les chiffres ne sont pas les mêmes si le périmètre retenu est celui du trafic routier global. Dans ce cas de figure, les émissions de COVNM des 2RM représentent 19,4%, les émissions de CO 7,3%, celles de NOx 0,5 %.
"On voit donc que les 2RM sont sur-représentés dans les émissions d'hydrocarbures (COVNM) et de CO (peu toxique à ces niveaux de concentration), par rapport à leur nombre en circulation", souligne le chercheur Didier Pillot.
Contrairement aux idées reçues donc, les deux-roues - bien que plus légers, circulant mieux en agglomération et trouvant plus rapidement une place de stationnement - n'en sont pas moins polluants. Mais s'ils continuent de générer des émissions polluantes, les observateurs s'accordent à dire que des progrès ont été réalisés au cours des ces dernières décennies et que la situation s'est améliorée comparé à ce qui était observé il y a encore une quinzaine d'années.
En 2008, l'Ademe avait publié (lien archivé) une étude comparative entre "deux roues à moteur et voitures" qui se concentrait sur les émissions de polluants rejetés dans l'atmosphère sur un trajet représentatif de la circulation en agglomération parisienne aux heures de pointe.
Il en ressortait, entre autres, que les émissions des motos normes Euro 3 étaient plus élevées que celles des voitures essence Euro 4 et ce, malgré le fait que le temps de parcours est deux fois plus court pour les motos. Pour les véhicules de 125 cm3, les émissions de CO et de HC demeuraient 10 à 20 fois supérieures à la moyenne des voitures à essence Euro4.
Dans une étude (lien archivé) réalisée dix ans plus tard à Paris pendant vingt jours sur trois sites de la capitale, le Conseil international sur le transport propre (ICCT) notait pour sa part que les "émissions par unité de carburant consommé de CO et NOx provenant de véhicules de catégorie L" (cyclomoteurs, motocycles et tricycles) avaient "diminué avec la mise en œuvre de normes Euro plus strictes (Euro 2 à Euro 4)".
Mais elles "sont encore en moyenne (...) plus élevées que les émissions moyennes des voitures particulières à essence", relevait alors l'ONG à l'origine des révélations sur le dieselgate, scandale ayant éclaboussé depuis 2015 des géants du secteur accusés d'avoir dissimulé le niveau réel de la pollution aux oxydes d'azote.
La même année, Didier Pillot sortait une étude sur les mesures prises sur "des scooters et motos homologués Euro 2 ou Euro 3, donc mis en circulation entre 2004 et 2015". Il en ressortait "des émissions de CO 4 à 10 fois plus élevées sur les scooters" par rapport aux voitures essence et des "scooters 50 cm3 toujours plus polluants en NOx qu’une voiture essence (en usage urbain)".
"Le renouvellement du parc est très lent", souligne aujourd'hui Didier Pillot. Pour autant, le durcissement des normes européennes a beaucoup joué dans les progrès réalisés. "On est passé à Euro 4 en 2017 et Euro 5 en 2021 et Euro 5b maintenant, obligeant les constructeurs de 2-roues à réduire nettement les émissions de gaz toxiques (CO, Hydrocarbures, NOx) de leurs véhicules. De fait, le moteur 2-temps très polluant a laissé place au moteur 4-temps équipé de catalyseur, très efficace déjà pour les voitures."
Même constat à l'Ademe, où la dernière publication sur le 2RM remonte à 2009 et est actuellement "en cours de mise à jour compte tenu des progrès technologiques déployés par les constructeurs pour suivre l’évolution réglementaire (norme Euro5 moto depuis 2020). "
"Nos premiers résultats montrent une nette amélioration des émissions polluantes des modèles récents, et confirment les avantages en consommation et émissions de CO2 par rapport à l’auto", souligne-t-on à l'agence de la transition écologique.
Au-delà des motards, la mise en place de ZFE continue de se heurter à l'opposition d'une partie de la population qui redoute un creusement des inégalités sociales et territoriales. Selon une consultation sénatoriale auprès des citoyens, 86% des particuliers et 79% des professionnels ayant répondu à la vingtaine de questions posées par les sénateurs se disent ainsi opposés à leur déploiement.
Une généralisation des ZFE en France est prévue par la loi d'ici à 2025 dans les 43 agglomérations de plus de 150.000 habitants. A ce jour, onze métropoles, emmenées par Lyon, Grenoble et Paris, ont leurs ZFE avec des calendriers différents.
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