Attention à ces publications qui font le lien entre déploiement d'éoliennes off-shore et décès de baleines
Attention à ces publications qui font le lien entre déploiement d'éoliennes off-shore et décès de baleines
Publié le mardi 4 avril 2023 à 10:43
(AFP)
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Manon JACOB, AFP Etats-Unis, AFP France
Depuis fin 2022, une vingtaine de baleines se sont échouées sur la côte atlantique du nord-est des Etats-Unis. De nombreuses publications sur les réseaux sociaux ont lié les décès de ces cétacés à la présence d'éoliennes au large de ces côtes. C'est pourtant infondé, selon les chercheurs spécialistes des baleines et des sons émis par les éoliennes, interrogés par l'AFP. Il n'y a pas de preuve scientifique soutenant un lien causal entre les éoliennes et ces décès, qui sont pour la majorité liés à d'autres facteurs : bateaux, filets, déchets et de façon plus générale, au réchauffement climatique et à la modification de leur habitat.
"Les éoliennes en mer tuent dauphins et baleines", affirme un article de blog partagé près de 150 fois sur des pages Facebook depuis le 26 mars, relayant une vidéo diffusée sur la plateforme vidéo Odysee qui assure que des baleines échouées ont été retrouvées sur des plages de la côte est des Etats-Unis et lie ces événements au développement d'éoliennes au large des côtes.
La même vidéo avait récolté près de 700 partages en moins de 24h sur Twitter le 30 mars, et avait été partagée par d'autres dizaines d'internautes depuis le 25 mars.
Des allégations similaires sont diffusées aux Etats-Unis, alors qu'une série de cadavres de baleines échouées ont été retrouvés sur des plages des côtes atlantiques, notamment des Etats de New York, du New Jersey et du Maryland.
Capture d'écran du blog "Ciel voilé", prise le 30/03/2023
Entre décembre 2022 et début mars 2023, plus de 25 baleines -dont la majorité étaient des baleines à bosse- se sont échouées sur la côté atlantique américaine, selon l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (ou National Oceanic and Atmospheric Administration, abrégée NOAA en anglais).
Des médias locaux (lien archivé) et nationaux (lien archivé) américains avaient rapporté ces échouages. Des groupes de défense de l'environnement comme Greenpeace (lien archivé) et de conservation de l'océan comme "YaleEnvironment360" (lien archivé) avaient fait part de leur inquiétude quant à la mort des cétacés.
Greenpeace a par exemple rappelé que s'il est "trop tôt pour énoncer avec certitude ce qui a causé toutes ces morts de baleines", le rôle des déchets provenant de l'activité humaine, dont des sachets en plastique, ou encore les collisions avec des bateaux et l'enchevêtrement dans des filets de pêche sont les "causes les plus courantes de mortalité des baleines".
Des publications sur les réseaux sociaux, particulièrement relayées aux Etats-Unis, ont cependant tenté de lier ces décès au déploiement d'éoliennes, au large notamment des Etats de New York (lien archivé) et du New Jersey (lien archivé). Mais ces allégations sont infondées, selon les experts interrogés par l'AFP.
"A ce jour, aucun élément tangible ne soutient les allégations qui prétendent que du bruit provenant des sites éoliens off-shore pourraient causer la mortalité des baleines", a indiqué Allison Ferreira, une porte-parole du bureau régional des pêches Grand Atlantique (lien archivé) dédié à la région du nord-est des Etats-Unis de la NOAA, à l'AFP le 6 mars 2023.
Les collisions avec des bateaux, première cause de mortalité
La NOAA surveille (lien archivé) les décès inhabituels de baleines à bosse depuis 2016, et a noté "un nombre élevé d'échouages sur toute la côte Est [des Etats-Unis]", détaille Allison Ferreira.
"Nous avons actuellement 186 décès de baleines à bosse inclus dans notre fichier des 'décès inhabituels'", détaille-t-elle.
"Des autopsies partielles ou complètes ont été effectuées sur environ la moitié des baleines. Parmi les baleines autopsiées, pour environ 40%, des signes d'un décès lié à des interactions avec des humains, dont des collisions avec des navires, ou d'enchevêtrement dans des filets, ont été trouvés", développe-t-elle encore.
Graphique du site de la NOAA montrant le nombre de baleines à bosses par années depuis 2012, capture d'écran réalisée le 9 mars 2023 (NOAA)
Graphique du site de la NOAA montrant les morts des baleines noires de l'Atlantique nord et leurs causes, capture d'écran réalisée le 9 mars 2023 (NOAA)
"Dans les cas où la cause du décès a pu être déterminée, des collisions avec les navires étaient la cause la plus courante de la mort" des cétacés, a expliqué Frances Gulland, présidente de la US Marine Mammal Commission, une agence gouvernementale américaine dédiée à la protection des mammifères marins, à l'AFP le 3 mars.
Regina Asmutis‑Silvia, directrice exécutive de la branche américaine de l'organisation non-gouvernementale dédiée à la protection des cétacés Whale and Dolphin Conservation (WDC), a déclaré à l'AFP le 9 mars que les baleines à bosse (lien archivé) et les baleines franches -aussi appellées baleines noires- de l'Atlantique Nord (lien archivé), une espèce en voie de disparition dont la population est inférieure à 350 mammifères, sont les plus surveillées.
"Tout ce qui arrive à une baleine franche est préoccupant et constitue une autre étape vers l'extinction", avertit-elle auprès de l'AFP.
En février 2023, une baleine franche s'était échouée à Virginia Beach, dans l'Etat américain de Virginie. Après plusieurs autopsies, les experts ont constaté que la baleine avait subi une "blessure traumatique d'une force contondante catastrophique", selon le WDC (lien archivé), et que ses blessures "correspondaient aux causes d'une collision avec un navire".
Des membres de l'ONG Northwest Atlantic Marine Alliance autour du cadavre d'une baleine à bosse échouée sur la plage de Lido Beach, à Long Island, dans l'Etat de New York, le 31 janvier 2023 (AFP / KENA BETANCUR)
En plus de ces collisions, Regina Asmutis‑Silvia mentionne le réchauffement des océans et les changements dans les milieux de vie des cétacés comme des causes possibles du nombre élevé de baleines récemment échouées.
"C'est une addition de facteurs, causés notamment par le changement du climat qui entraîne le réchauffement des eaux dans certains endroits. Ce dernier a un impact sur l'habitat du poisson dont les cétacés se nourrissent : le menhaden de l'Atlantique", développe-t-elle.
Les poissons modifient leurs lieux de vie pour s'adapter aux changements de température. Or, il y a eu une augmentation du nombre de menhaden de l'Atlantique au cours des dernières années, notamment grâce à des quotas de pêche (lien archivé) établis en 2012. Cela a aussi attiré d'autres espèces, dont le bar rayé et le thon.
En conséquence, les baleines ont suivi leur nourriture, jusque dans des lieux parfois très fréquentés par des navires de pêche.
"Les habitats et milieux de vie, et la régularité avec laquelle il est possible d'observer des baleines sont bien en train de changer", déplore Regina Asmutis‑Silvia. "Malheureusement, les baleines se déplacent et restent plus longtemps dans des lieux très fréquentés par des bateaux - dont le port de New York qui est particulièrement une zone à très haut risque pour les baleines".
L'impact des bruits sur les cétacés
Les forts bruits sous-marins peuvent désorienter les baleines, selon plusieurs études (lien archivé). Mais de telles perturbations peuvent provenir de nombreuses sources différentes des éoliennes, comme des essais militaires, l'exploration pétrolière et gazière, ou encore des navires océaniques.
En 2008, la marine américaine avait reconnu (lien archivé) devant la justice que ses sonars militaires pouvaient causer des "perturbations comportementales" et une perte auditive à court terme chez les dauphins et les baleines. Des scientifiques avaient auparavant accusé (lien archivé) la marine américaine de minimiser l'impact de ces bruits.
Une loi, la "Marine Mammal Protection Act de 1972", propose un cadre à la protection des mammifères aux Etats-Unis et considère certains bruits causés par des sonars militaires comme du "harcèlement" envers les cétacés.
L'impact des bruits sur les animaux marins varie selon plusieurs facteurs, dont la température de l'eau. Il est néanmoins difficile d'évaluer l'impact du bruit sur des cadavres de cétacés qui ont déjà été décomposés, explique Regina Asmutis-Silvia à l'AFP.
C'est particulièrement vrai pour les baleines, selon la spécialiste, car ces dernières sont "remplies de graisse", ce qui fait que si la température de l'eau est chaude, "leurs cadavres se réchauffent, et les tissus se décomposent presque immédiatement".
Fiche sur la baleine à bosse. 180 x 174 mm (AFP / GILLIAN HANDYSIDE, THOMAS SAINT-CRICQ)
Données sur la baleine franche de l'Atlantique Nord, espèce menacée (AFP / GAL ROMA, LAURENCE CHU)
Douglas Gillespie (lien archivé), chercheur de l'Université de St Andrews en Écosse, qui réalise des recherches sur les impacts potentiels des éoliennes off-shore, a déclaré à l'AFP le 5 mars qu'il est "vrai que les bruits de construction des parcs éoliens off-shore sont suffisamment élevés pour que les mammifères marins se trouvant à proximité puissent en souffrir".
De tels bruits peuvent causer des pertes auditives chez les mammifères dans des circonstances extrêmes, mais cela ne signifie pas selon lui que l'on peut lier le fonctionnement général des éoliennes à des décès de cétacés.
"Il est faux d'associer la mort d'une baleine à une technologie simplement parce qu'elle est nouvelle", estime le chercheur.
"De nombreuses baleines s'échouent chaque année sur la côte américaine", rappelle-t-il. "Certains des décès ont des causes inconnues, mais beaucoup sont causés par des phénomènes que nous connaissons bien : l'enchevêtrement dans des filets de pêche et les collisions avec les navires."
Yanis Souami (lien archivé), un expert étudiant les bruits sous-marins (lien archivé), confirme que la construction de structures d'éoliennes en mer peut produire un bruit important. Mais "pendant la phase d'exploitation, aucun impact significatif n'a été remarqué", a-t-il déclaré le 9 mars à l'AFP.
Le Bureau of Ocean Energy Management (BOEM), un organisme sous tutelle du département de l'Intérieur des Etats-Unis, surveille et gère les activités de production d'énergie au large des côtes américaines.
Erica Staaterman (lien archivé), chercheuse en bioacoustique au BOEM, avait déclaré lors d'une conférence de presse (lien archivé) en janvier que, comparativement à l'exploration pétrolière et gazière, l'équipement éolien est relativement petit et produit peu de bruit.
L'AFP vérifie régulièrement des allégations fausses ou trompeuses liées à l'environnement et au dérèglement climatique. Nos articles peuvent être consultés ici.
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- Texte de la déclaration :
Depuis l'installation des éoliennes, les dauphins et les baleines meurent. Dans les derniers jours 8 dauphins se sont échoués et depuis l’installation des éoliennes, 23 baleines et 11 dauphins. Ils savaient forcément que ça allait arriver...
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