Ces photos de la Statue de la Liberté ne remettent pas en cause la hausse du niveau de la mer


Ces photos de la Statue de la Liberté ne remettent pas en cause la hausse du niveau de la mer

Publié le mercredi 29 mars 2023 à 15:14

37172687b91cafda191e6ce7680cbe2b0ebb40da-ipad.jpg

(AFP)

Auteur(s)

Nathan GALLO, Manon JACOB, AFP Etats-Unis, AFP France

La hausse du niveau de la mer à l'échelle mondiale est un phénomène scientifiquement reconnu, qui s'aggrave et s'accélère avec le réchauffement climatique. Pourtant, plusieurs publications sur Twitter prétendent que la comparaison de deux clichés de l'île de la Statue de la Liberté à New York en 1898 et 2017 montre qu'il n'y a pas de hausse du niveau des océans. Mais les spécialistes interrogés par l'AFP explique que comparer ces clichés sans les replacer dans leur contexte, en particulier en tenant compte des cycles des marées, ne dit rien de la hausse du niveau de la mer à New York ni sur le globe en général. Les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), qui observe la hausse des océans aux Etats-Unis, montrent bien une hausse du niveau de la mer à New York de près de 30 cm en un siècle.

"Voici à quoi ressemble une élévation catastrophique du niveau de la mer" : ironise un internaute, en anglais, sur Twitter le 15 mars, en partageant deux photos de Liberty Island, l'île où se situe la Statue de la Liberté à New York. Sur les deux clichés, le niveau de la mer semble identique. 

Relayées plus de 17.000 fois sur Twitter, ces photos avaient déjà été reprises en français sur Facebook dès mai 2022. Ce type d'affirmation avait aussi déjà circulé en espagnol en 2021. 

c5c644a2691dfc7e0ea4e581de6d364d7d30f04b-ipad.jpgTweet partagé en ligne depuis le 15 mars (capture d'écran du 21 mars 2023)

Une hausse de près de 30 cm en un siècle

Mais ces images ne disent rien de la montée des eaux actuelle sur la côte new-yorkaise, comme le décrivent les données d'observation du niveau de la mer dans la région et l'ont aussi rappelé plusieurs spécialistes à l'AFP.

Les données (lien archivé ici) du National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l'organisme américain qui observe le niveau de la mer, montrent en effet une hausse constante du niveau des eaux sur la côte new-yorkaise depuis un siècle. 

Avec une hausse de 2,9 mm par an depuis 1856, l'observatoire précise que cette hausse équivaut à une montée des eaux de près de 30 cm sur un siècle (0,95 pied).

ec15cf78bc15200fa4128856dfebfba13f4380ea-ipad.jpgGraphique du NOAA, illustrant la hausse constante du niveau de la mer à New York depuis 1856

"Ces messages viraux essayent de discréditer la montée du niveau de la mer en montrant ce type d'image", explique Catherine Walker, océanographe au Woods Hole Oceanographic Institution (lien archivé ici) interrogée par l'AFP le 16 mars.

"Mais des marégraphes mesurent le niveau de la mer plutôt précisément - ce que ces personnes ignorent. Et ces outils ont montré que le niveau de la mer montait. Il n'y a pas de question là-dessus", explique-t-elle. 

Des photos prises à 100 ans d'intervalle

Les photos utilisées dans les publications ont en tout cas bien été prises à plus de 100 ans d'intervalle. Grâce à une recherche d'image inversée, il est possible de retrouver la photo en noir et blanc sur le site (lien archivé ici) du musée de la ville de New York, qui précise que la photo a été prise "environ en 1900". 

aac9fb450e1f959d730dfa8ff8dbd5ca7f70cb5d-ipad.jpgL'image utilisée dans le tweet, issue de la collection du musée de la ville de New York

La photo  récente, décrite comme datant de 2017, date en fait de 2012. Grâce à une recherche d'image inversée sur internet, l'AFP a retrouvé la photo (lien archivé ici) originelle, dans un billet de blog de tourisme à New York (ci-dessous à droite) de la  publiée dès 2012. Selon les métadonnées, le cliché a été pris le 17 avril 2012.

7541df38147eba4d983aa178bda4e83deba8ee05-ipad.jpgIndications de métadonnées principales de la photo retrouvée sur la note de blog, grâce à l'outil ExifViewer. En bas à gauche, la date de prise de la photo est indiqué (17 avril 2012). (Capture d'écran du 22/03/2023)

Les travaux visibles sur la photo de la publication corroborent cette date puisqu'un projet de rénovation avait débuté en octobre 2011 pour une durée d'un an, comme l'avait indiqué le site de Liberty Island à l'époque. Les bâches bleues sur les photos (au centre) ainsi que les grilles vert foncé (en bas à droite) sont aussi observables sur d'autres photos prises entre mars et juin 2012 et disponibles dans des banques d'images, comme ici,  (lien archivé ) ou ici (lien archivé là)). 

ad86aeed59f939b2d75b0493cf3c7c852d9002cb-ipad.jpgCapture d'écran de la photo supposément de 2017 partagée dans les publications (capture d'écran du 21 mars 2023)

952ffc5a5c0214ec5ae5d436bbba34c9500763af-ipad.jpgCapture d'écran du blog "Gray Line New York Sightseeing" faite le 20 mars 2023

Aucune indication des cycles de marées

Mais partager ces deux photos sans contexte est trompeur aux yeux de Catherine Walker, du fait de la variation des niveaux de la mer liée aux marées. "On ne sait pas quand ces photos ont été prises pendant les cycles de marée", indique-t-elle, qui précise que "les marées journalières sur le port de New York font plus d'1m50 chaque jour". 

Un point confirmé par Dianna Padilla, professeur en écologie à la Stony Brook University de New York : "selon le jour et l'heure de la photo, on pourrait faire dire ce que l'on veut [à ces photos]", explique-t-elle à l'AFP le 17 mars.

Par exemple, si le cliché de 1898 et la photo des années 2010 ont été pris respectivement à marée haute et à marée basse, "dès lors cela va bien sûr masquer la montée moyenne du niveau de la mer", décrit Iris Moeller, géographe du Trinity College de Dublin, à l'AFP le 17 mars.

"Même si les images étaient une indication du niveau moyen de la mer sur plusieurs années - et elles ne le sont clairement pas - elles seraient liées à ce que nous appelons le 'niveau relatif de la mer '", développe-t-elle.

Ce terme fait référence à la façon dont la hauteur de l'océan change par rapport à la côte voisine. Iris Moeller explique notamment que la terre "peut monter ou descendre pour diverses raisons". C'est pourquoi le niveau de la mer est mesuré via des marégraphes et ajusté pour tenir compte de cet effet, ce que montre la carte (lien archivé ici) de l'agence de protection environnementale américaines (EPA) (ci-dessous).

307b15751758d747a4f86576aad6899a3fbc1304-ipad.jpgMontée "relative" du niveau de la mer sur la côté Est des Etats-Unis, selon l'agence de protection environnementale américaine (EPA) (1inch = 2,54cm)

Une accélération de la hausse du niveau de la mer à New York

Plus globalement, le niveau moyen de la mer en absolu à l'échelle mondiale a augmenté dans les mêmes ordres de grandeur qu'à New York.

Les océans n'ont ainsi augmenté "que d'environ 20 à 30cm au cours du siècle", a notamment déclaré Jayantha Obeysekera , directeur du Sea Level Solutions Center de la Florida International University. Il explique toutefois que mettre ces deux images côte à côte ne peuvent en aucun cas illustrer ce changement.

"Le problème avec l'élévation du niveau de la mer est que même une 'petite' quantité a un impact important.", explique Catherine Walker.

Mais cette hausse tend surtout à s'accélérer. Le long de la côte américaine, les océans devraient augmenter en moyenne de 25 à 30 cm entre 2020 et 2050, ce qui équivaut à l'augmentation observée sur un siècle entre 1920 et 2020, selon un rapport de la NOAA de 2022.

Dans une étude (lien archivé ici) de 2020 publiée dans Urban Climate, des climatologues ont aussi déclaré que la ville de New York pourrait connaître des niveaux de la mer plus élevés que la moyenne mondiale en raison des eaux plus chaudes du centre de l'océan Atlantique et de la perte lointaine de la calotte glaciaire.

Une accélération aussi visible à l'échelle mondiale

A l'échelle mondiale, la hausse du niveau de la mer s'est aussi accélérée ces dernières décennies, comme l'avait déjà expliqué des scientifiques à l'AFP en février 2023.

Les observations des données satellitaires, disponibles depuis 1993 et accessibles (lien archivé ici) en ligne via l'outil Aviso du Centre national d'études spatiales (Cnes), indiquent que "l'élévation globale du niveau de la mer augmente, en moyenne sur le globe, de 3,6 millimètres par an" depuis 1993. Soit près de deux fois la hausse annuelle moyenne de 2 mm observée tout au long du 20e siècle.

Au-delà de cette moyenne à l'échelle mondiale, les scientifiques interrogés soulignent aussi les nombreuses disparités géographiques, avec des régions bien plus affectées par la montée des eaux que d'autres.

"La variabilité régionale est très différente de la moyenne globale", avait expliqué l'océanographe William Llovel à l'AFP le 9 mars. Si la hausse du niveau de la mer sur les côtes américaines est plus ou moins similaire à la moyenne mondiale, d'autres régions subissent beaucoup plus fortement cette évolution.

C'est le cas de la zone Pacifique Ouest, où le CNES a observé des hausses de 10 millimètres par an entre 1993 et 2021, soit une augmentation de 30 cm du niveau de la mer en 30 ans.

a2a47ae8a1b66b15fca9e9b8187ad194ff0cde51-ipad.jpgLe niveau moyen global des mers (GMSL) de référence de janvier 1993 à aujourd'hui, observé par satellite, selon le site Aviso Altimetry

Un réchauffement climatique "sans équivoque"

Dans le premier volet de son rapport d'évaluation d'août 2021, le Groupe international d'experts pour le climat (GIEC) affirme que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".

Un point aussi confirmé par son dernier rapport publié le 20 mars 2023, dans lequel le GIEC a indiqué que le réchauffement climatique atteindra 1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle dès les années 2030-2035, alors que la température a déjà grimpé de près de 1,2°C en moyenne.

L'existence du changement climatique causé par l'Homme est pourtant régulièrement remise en question, notamment par des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant les modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

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