Cette ancienne vidéo sur des températures d'une carotte de glace du Groenland ne prouve pas que le réchauffement climatique est naturel
Cette ancienne vidéo sur des températures d'une carotte de glace du Groenland ne prouve pas que le réchauffement climatique est naturel
Publié le mercredi 31 mai 2023 à 09:56
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Claire-Line NASS / AFP France
Le réchauffement climatique et son origine anthropique font aujourd'hui l'objet d'un consensus scientifique. Pourtant, des publications ont circulé sur les réseaux sociaux prétendant à tort que les mesures de températures d'une carotte de glace du Groenland prouveraient que le climat a toujours varié et que réchauffement climatique est naturel, exhumant un extrait vidéo tourné il y a vingt ans dans lequel s'exprimait un scientifique affilié à l'université de Copenhague.
Les connaissances scientifiques sur le réchauffement du climat ont depuis évolué : il est aujourd'hui avéré que les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine sont responsables du réchauffement récent du climat, ont souligné plusieurs climatologues, dont le chercheur figurant dans la vidéo, auprès de l'AFP. Par ailleurs, l'étude d'une carotte de glace du Groenland ne permet pas de retracer à elle seule l'évolution du climat terrestre.
L'analyse d'une carotte de glace du Groenland par un scientifique aurait montré qu'il est impossible d'établir l'origine humaine du réchauffement climatique, car "il y a toujours eu une alternance de périodes chaudes et froides", causée par des phénomènes naturels et non anthropiques, prétendent des publications virales sur les réseaux sociaux depuis mi-mai, vidéo à l'appui.
Les mesures telles qu'elles ont été réalisées rendraient "très difficile de prouver si l'augmentation de la température du 20e siècle est due aux activités humaines ou s'il s'agit d'une variation naturelle", y assure un chercheur.
La vidéo associée à des descriptions remettant en cause l'origine humaine du réchauffement climatique a récolté des milliers de partages et dizaines de milliers de vues sur Twitter (1, 2, 3), Telegram (1, 2, 3, 4), Facebook (1, 2) et des plateformes de partages de vidéos comme Odysee (1, 2). Des allégations similaires circulent aussi en anglais depuis plusieurs années.
Mais ces assertions sont trompeuses : elles sortent de son contexte une vidéo tournée il y a vingt ans. Les connaissances scientifiques ont depuis évolué, et il existe aujourd'hui un consensus scientifique sur le réchauffement climatique et son origine humaine. Par ailleurs, les mesures des températures d'une carotte de glace du Groenland ne suffisent pas à elles seules à tirer des conclusions sur le climat en général.
Une vidéo datant d'il y a vingt ans
Le chercheur qui s'exprime dans la vidéo est Jørgen Peder Steffensen (lien archivé), un chercheur du Niels Bohr Institute (lien archivé) de l'université de Copenhague.
Contacté par l'AFP, il a expliqué le 22 mai que "la vidéo est un extrait d'un documentaire réalisé par Lars Oxfeldt Mortensen il y a plus de 20 ans". Il est possible de retrouver trace de ce film en ligne, intitulé "Doomsday Called Off" (lien archivé) ou "L'apocalypse annulée" en français et sorti en 2004.
Son réalisateur Lars Oxfeldt Mortensen (lien archivé) y questionnait l'origine humaine du réchauffement climatique. Il a depuis produit un autre documentaire dédié à l'hypothèse selon laquelle l'activité du soleil est majoritairement responsable du réchauffement climatique, assertion trompeuse vérifiée à plusieurs reprises par l'AFP comme ici ou là.
Au début des années 2000, le troisième rapport du Groupement international d'experts sur le climat (GIEC), référence mondiale sur le climat, avait conclu que le fait que les activités humaines soient à l'origine du réchauffement climatique était "probable".
Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), le GIEC réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, des océanographes, des glaciologues, des économistes ; et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007 (lien archivé).
Il est divisé en trois groupes d'experts, nommés par les différents gouvernements et organisations internationales : le premier étudie les preuves scientifiques du réchauffement, le deuxième ses impacts et le troisième présente les solutions envisageables pour l'atténuer.
Depuis 1990, les scientifiques du GIEC ont publié six rapports résumant les connaissances sur le climat. Ces dernières ont évolué au fil des recherches, tout comme les conclusions des experts.
C'est pourquoi en 1990, les spécialistes restaient prudents en concluant qu'il n'était pas possible d'affirmer que les activités humaines étaient responsables du réchauffement climatique. C'est en 2007 qu'il ont considéré comme "très probable" que ce soit le cas ; puis "extrêmement probable" en 2013.
Dans le premier volet du dernier rapport en date, publié en août 2021, les experts du GIEC ont conclu que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".
Or, "le film a été réalisé il y a plus de vingt ans, et à cette époque, il était très difficile de convaincre les politiques - sans parler des électeurs - que nous étions - et sommes - confrontés au réchauffement climatique causé par l'Homme", se défend Jørgen Peder Steffensen auprès de l'AFP.
"J'avais décidé à l'époque, et j'en ai discuté avec Lars [Oxfeldt Mortensen], qu'en tant que scientifique, je ne devrais pas filtrer auprès de qui j'allais m'exprimer sur la base d'un jugement personnel à propos des idées politiques de la personne", abonde-t-il, précisant : "Je maintiens ce que j'ai dit dans le film de Lars Oxfeldt il y a vingt ans, mais je n'étais pas et je ne suis toujours pas d'accord avec ses interprétations".
"Cette vidéo tournée il y a vingt ans n'est pas représentative des connaissances actuelles. En 2001, le GIEC écrivait qu'il était 'probable' que le réchauffement soit causé par les activités humaines. Il pouvait y avoir lieu d'être prudent pour un scientifique. Mais la science a fortement évolué, il n'y a plus de doute aujourd'hui", confirme Xavier Fettweis (lien archivé), climatologue à l'Université de Liège, auprès de l'AFP le 23 mai.
Une carotte pas représentative du climat de la Terre
Dans la vidéo, Jørgen Peder Steffensen commence par expliquer son travail d'analyse des températures à partir d'une carotte de glace, c'est-à-dire un cylindre de glace foré dans un glacier, étudié pour connaitre des informations sur le climat.
"Lorsque l'on extrait une carotte de glace, on laisse un trou. En insérant un thermomètre dans ce trou, nous pouvons enregistrer les températures à travers ces 3 km de couche de glace. Cette température, si nous la mesurons avec assez de précisions, à des millièmes de degrés près, la glace n'a pas oublié la température à la surface, au moment où la neige est tombée. En utilisant ces températures, nous avons donc pu reconstituer les températures des 10.000 dernières années", explique-t-il.
L'explication présentée dans la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux simplifie la façon dont il est possible de reconstituer des températures, note la glaciologue Heidi Sevestre (lien archivé) auprès de l'AFP.
"On peut aussi tout à fait mesurer les variations des ratios d'isotopes (lien archivé) de l'oxygène dans les molécules d'eau pour reconstruire la température de la glace très ancienne", précise-t-elle. La température n'est pas mesurée directement mais déduite à partir de paramètres présents dans la glace qui sont ensuite analysés par les chercheurs, comme expliqué dans cet article (lien archivé) du magazine de vulgarisation scientifique Scientific American.
Pour déduire le climat passé de la Terre, les les chercheurs en paléoclimatologie (lien archivé), l'étude du climat des époques passées, s'appuient en effet sur ce qui est appelé des "archives climatiques", des éléments naturels présents depuis des milliers d'années. Les carottes de glaces en font partie, mais aussi les anneaux des troncs des arbres, les stalagmites ou encore les sédiments du fond des océans.
L'étude d'une unique carotte de glace permet ainsi de pouvoir tirer des conclusions sur le climat dans l'endroit spécifique où elle a été extraite, comme déjà détaillé dans un précédent article de vérification de l'AFP sur d'autres données mal interprétées. Mais pour déduire le climat passé de la Terre, les chercheurs s'appuient sur des mesures prises dans différentes parties du monde, rappelle Xavier Fettweis.
En l'occurrence, les données présentées dans la vidéo ont été collectées dans le cadre du "Greenland Ice Core Project" (GRIP), dont les forages ont commencé à la fin des années 1990, et qui se concentre sur l'étude des températures à partir du site "Dye 3", au Groenland.
Jørgen Peder Steffensen a par ailleurs précisé auprès de l'AFP que les mesures de carottes de glace prises sur ce site avaient été analysées et comparées par les chercheurs avec d'autres températures, prises sur un autre site dans l'Antarctique, le "Law Dome", ce qui n'est pas présenté dans l'extrait vidéo. Il a ainsi renvoyé vers le jeu de données (lien archivé) qui reprend toutes les mesures prises sur ces deux lieux.
"Lars Oxfeldt n'a pas inclu dans son film mon commentaire comparant le Groenland à l'Antarctique. Les courbes du Law Dome et du Groenland montrent toutes les deux une tendance globale au refroidissement qui va d'il y a 5.000 ans à la fin du XXe siècle ; mais elles divergent ensuite. Or, j'avais précisé que si les températures du Law Dome commençaient à augmenter en même temps que celles du Groenland, alors ce serait une forte indication de l'Homme est responsable du changement climatique. Et bien sûr, les données que nous avons aujourd'hui montrent qu'elles le font", regrette le chercheur.
Des particularités de températures locales
Si comme l'indique la vidéo circulant sur les réseaux sociaux, le climat a toujours varié au fil du temps (ce qui est documenté et bien connu des scientifiques, rappellent tous les experts contactés par l'AFP), cela ne remet pas en cause l'existence du réchauffement récent du climat, lié aux activités humaines.
Des variations climatiques ont toujours été observées au fil du temps, même il y a des millénaires, avant que l'Homme n'apparaisse sur Terre, en raison du cycle climatique naturel, du positionnement de la Terre par rapport au Soleil et de l'orbite terrestre, comme déjà détaillé dans cet article de l'AFP de juin 2022 ou encore dans cet autre d'août 2022.
"La Terre a subi bon nombre de périodes glaciaires, et de périodes interglaciaires", résume Heïdi Sevestre. Le rayonnement solaire influe également sur le climat et affecte toutes les couches atmosphériques confondues : l'atmosphère, la troposphère, et la stratosphère.
Le fait que le réchauffement qui intervient depuis environ 150 ans est lui induit par des activités humaines n'est pas contradictoire avec ces variations naturelles du climat, explique Gerhard Krinner (lien archivé), directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble.
Par ailleurs, les températures du Groenland ont été soumises à des phénomènes climatiques locaux, qui ne sont pas représentatifs des températures sur l'ensemble de la Terre. Le Groenland a par exemple connu des "épisodes de réchauffement très abrupts" et locaux, comme détaillé dans cette intervention (lien archivé) du chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement Xaver Faïn, disponible en ligne.
L'un d'eux, parfois nommé "optimum médiéval", est mentionné par Jørgen Peder Steffensen dans la vidéo. "Nous pensons qu'au Groenland, la période médiévale 'chaude' était plus chaude d'environ 1,5 degrés qu'aujourd'hui", précise-t-il.
"C'est un phénomène local connu et bien documenté, qui était particulièrement marqué au niveau du Groenland, mais qui est transposé de façon trompeuse au niveau global", précise Gerhard Krinner.
Des chercheurs ont en effet montré dans une étude publiée dans la revue Science en 2009 que cette période plus chaude l'était uniquement dans une partie du monde, l'Atlantique Nord, et a pu être partiellement causée par des phénomènes climatiques régionaux, comme le précisait déjà un article de vérification (lien archivé) du Monde publié en 2015.
Par ailleurs, aujourd'hui, vingt ans après la vidéo, les températures du Groenland tendent à dépasser celles de cette période médiévale, soulignent les chercheurs interrogés par l'AFP.
"Pour ce qui concerne le Groenland, le réchauffement récent est désormais tout à fait clair et bien documenté", explique le climatologue Jean Jouzel, ex-vice-président du GIEC à l'AFP le 23 mai.
Il renvoie notamment vers une étude (lien archivé) publiée en janvier 2023 dans la revue Nature, qui a analysé des reconstructions de températures au Groenland de 1.000 à 2011. Sur sa première figure reproduite ci-dessous, on peut observer clairement que les températures mesurées ont augmenté
"Le réchauffement de la dernière décennie prise en compte dans notre étude dépasse a variabilité de température de l'époque préindustrielle du dernier millénaire", écrivent ses auteurs, concluant que "l'influence anthropique" sur le réchauffement "est désormais détectable dans le centre et le nord du Groenland".
Les années récentes pas considérées
Sur le graphique présenté dans le vidéo circulant sur les réseaux sociaux, les années ne sont pas précisées sur l'axe des abscisses, et les données les plus récentes commentées par Jørgen Peder Steffensen sont celles de 1875. Il précise que cette date "correspond au moment où les observations météorologiques ont commencé".
"Sa série climatique ne prend pas en compte les dernières années du réchauffement", relève Xavier Fettweis. Généralement, "les températures reconstituées à partir de carottes de glace s'arrêtent dans les années 1950", c'est-à-dire quelques années ou dizaines d'années avant le début des forages par les scientifiques, car "pour pouvoir mesurer les caractéristiques, il faut que la neige se tasse et donc on ne prend pas en compte les couches les plus récentes", explique le climatologue.
Or, le réchauffement climatique s'est accéléré ces dernières années, comme illustré sur ce graphique issu d'un rapport (lien archivé) du GIEC d'août 2021, qui montre que les températures ont fortement augmenté au cours des 150 dernières années.
"Bien que le 'changement climatique' soit neutre en lui-même, la vitesse à laquelle ce changement intervient ne l'est pas. Plus vite ce changement interviendra, plus cela nous nuira, parce que nous sommes tous des 'agriculteurs', nous dépendons tous de la Terre, et nous avons besoin d'un climat stable pour cultiver", Jørgen Peder Steffensen.
Dans "le pire des cas", "imaginons que nous réduisions tous nos émissions maintenant, et que les scientifiques dans 200 ans découvrent que cette réduction n'était pas nécessaire pour maintenir le climat stable. Pensez-vous que les gens diront 'quelle terrible erreur ?' Non, les humains seront au contraire très heureux parce qu'on leur aura laissé de précieuses ressources et un monde moins pollué. La réduction des émissions est maintenant une solution gagnante dans tous les cas", illustre le chercheur.
Consensus sur le réchauffement climatique d'origine humaine
Naomi Oreskes (lien archivé), professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique. En 2004, elle avait réalisé une étude sur les 928 articles scientifiques, évalués par des pairs, sur le changement climatique, publiés entre 1993 et 2003.
Ce processus de sélection est indispensable pour ne garder que les experts du climat, qui disposent donc d'une légitimité, et écarter l'opinion de personnes qui n'ont pas travaillé dans ce domaine.
"Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec la position consensuelle selon laquelle le réchauffement climatique des cinquante dernières années est principalement d'origine anthropique, écrivait-elle (lien archivé).
Depuis, de nombreuses autres études ont également corroboré ces conclusions, comme détaillé dans ce précédent article de vérification.
Pourtant, l'existence du changement climatique causé par les activités humaines est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant des modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.
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