Emmanuel Macron, président "le plus mal élu" de la Ve République ?
Emmanuel Macron, président "le plus mal élu" de la Ve République ?
Publié le mardi 26 avril 2022 à 11:33
( AFP / THOMAS COEX)
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Jeremy TORDJMAN, AFP France
Emmanuel Macron est-il le président "le plus mal élu" de la Ve République? C'est ce qu'ont affirmé des responsables insoumis dès le soir du second tour, suscitant la riposte de LREM qui a crié à la "fake news". D'un point de vue purement arithmétique, tout dépend des critères retenus : avec 58,5% des suffrages exprimés, Emmanuel Macron a certes remporté une nette victoire à la présidentielle face à Marine Le Pen. Mais sa performance est nettement moins flatteuse si on prend en compte l'ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales : seules 38,5% d'entre elles ont choisi le président sortant, soit le plus faible résultat depuis le scrutin très particulier de 1969.
L'accusation a fusé avant même que ne soient connus les résultats définitifs : Emmanuel Macron serait le président "le plus mal élu"de la Ve République, a tranché Jean-Luc Mélenchon moins d'une heure après les premières estimations du second tour. Réélu avec 58,5% des suffrages exprimés(c'est-à-dire hors abstention, votes blancs et nuls), le président sortant "surnage dans un océan d'abstention, de bulletins blancs et nuls", a poursuivi le leader insoumis lors d'une brève allocution.
Pour ce second tour, Mme Le Pen et M. Macron représenent à peine plus du tiers des électeurs inscrits. Les urnes ont parlé. Mme #LePenest battue. M. #Macronest le président le plus mal élu de la 5e République. #Melenchon3eTourhttps://t.co/WrQTDbGJhA— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) April 24, 2022
L'assertion a été ensuite relayée et explicitée par plusieurs cadres de La France insoumise (LFI). Le député Alexis Corbière a ainsi souligné que le score de M. Macron tombait à "38%"si l'on prend en compte la part de ses électeurs dans l'ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales, qui inclut notamment les abstentionnistes.
#Macronest le Président le plus mal élu de la Vème République, ce sont seulement 38% des électeurs inscrits qui ont voté pour lui. Il est minoritaire dans le pays et seulement 53% de ses électeurs ont voté pour lui en soutenant son projet. #Presidentielles2022#BFMTV— Alexis Corbière (@alexiscorbiere) April 25, 2022
Cette affirmation a, toutefois, été très rapidement contestée par les cadres de La République en marche (LREM), leur chef de file à l'Assemblée nationale Christophe Castaner dénonçant une "fake news"et brandissant d'autres chiffres pour circonscrire tout procès en illégitimité.
D'un point de vue purement arithmétique, tout dépend des critères retenus :si l'on s'en tient aux suffrages exprimés, l'indicateur qui sert à départager les candidats, Emmanuel Macron a certes remporté une nette victoire à la présidentielle face à sa rivale d'extrême droite Marine Le Pen. Mais sa performance est nettement moins flatteuse si on prend en compte l'ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales : seules 38,5% d'entre elles ont choisi le président sortant, soit le plus faible résultat depuis le scrutin très particulier de 1969.
En pourcentage des inscrits, un plus bas depuis 1969
L'argumentaire des insoumis repose sur un double enseignement du second tour : l'abstention ayant atteint le niveau très élevé de 28,0% --au plus haut depuis 1969--, le pourcentage de voix obtenues par Emmanuel Macron est bien plus faible si on prend en compte l'ensemble des inscrits sur les listes électorales.
Le président sortant a ainsi recueilli, dimanche 24 avril, les votes de 38,5% des inscrits, contre 27,3% pour sa rivale d'extrême droite Marine Le Pen.
Sous la Ve République, en retenant ce critère, seul un autre président a obtenu un score plus faible :en juin 1969, Georges Pompidou avait réuni 37,5% des inscrits dans un scrutin très particulier qui avait été précipité par la démission quelques semaines plus tôt de Charles de Gaulle.
Après l'élimination au premier tour de son candidat Jacques Duclos, le PCF avait ainsi ouvertement appelé à s'abstenir lors du second tour qui opposait M. Pompidou au candidat de centre-droit Alain Poher. Force alors dominante à gauche, le parti communiste avait rangé les deux candidats sous la même étiquette dans une affiche de campagne restée célèbre: "Blanc bonnet, bonnet blanc".
"Georges Pompidou avait été l'objet d'un très méchant procès de la part du parti communiste, qui avait réuni plus de 20% des voix à l'élection présidentielle à travers la candidature de Jacques Duclos. Et les communistes l'accusaient d'être monsieur tiers. Comme le tiers des électeurs inscrits, ce qui n'était pas tout à fait exact puisqu'il avait obtenu 37,5%", analyse le politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po, dans un entretien à l'AFP.
Affiche du PCF lors de l'entre-deux tours de la présidentielle de 1969.
L'initiative avait payé: l'abstention avait atteint le niveau record de 31,3%, faisant mécaniquement baisser la part des inscrits ayant choisi M. Pompidou, qui avait toutefois nettement distancé ses rivaux au premier tour (44,5% des suffrages exprimés, 34,0% des inscrits).
Pour sa réélection dimanche, le nombre d'inscrits réunis par Emmanuel Macron (38,5%) est certes très nettement inférieur au score établi par François Mitterrand en 1988 (43,8%) ou Nicolas Sarkozy en 2007 (42,7%) mais il est en revanche assez voisin des performances de Jacques Chirac en 1995 (39,4%) et surtout François Hollande en 2012 (39,1%).
Malgré ce faible étiage et un écart très serré avec son rival Nicolas Sarkozy, la légitimité du dernier président socialiste n'avait globalement pas été contestée dans le sillage de son élection de 2012, à l'exception d'une prise de position très isolée de la maire d'Aix-en-Provence de l'époque, Maryse Joissains-Masini.
Alors candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon avait lui-même assuré que le court avantage obtenu par François Hollande lui donnait toutefois "les moyens d'agir".
Un tableau différent en suffrages exprimés
Dénonçant des mensonges de LFI, les partisans du chef de l'Etat ont préféré mettre en avant d'autres mesures du score d'Emmanuel Macron, seul président de la Ve réélu sans sortir d'une période de cohabitation.
Chef de file des députés LREM, Christophe Castaner a accusé lundi les insoumis de jouer un "jeu dangereux"et de répandre des "fake news". "C'est factuellement faux, à la fois en pourcentage et en nombre de voix", a-t-il affirmé sur France 2, au sujet des affirmations de M. Mélenchon.
Si l'on se réfère aux suffrages exprimés, Emmanuel Macron et ses 58,5% de voixsurpassent de loin François Hollande (51,6% en 2012), Nicolas Sarkozy (53,1% en 2007) ou François Mitterrand en 1988 (54,0%). Il faut toutefois noter que ces prédécesseurs n'affrontaient pas un candidat d'extrême droite et n'avaient pas pu profiter d'un front républicain, même fissuré, comme celui dont a bénéficié Emmanuel Macron.
M. Castaner met également en avant le nombre d'électeurs en valeur absolue qui se sont portés sur le président sortant en 2022 par rapport à ses prédécesseurs. "Le président François Mitterrand par deux fois, a fait moins bien en nombre de voix et en pourcentage",a-t-il ainsi estimé.
Selon les chiffres officiels, 18,8 millions d'électeurs ont glissé dimanche un bulletin Emmanuel Macron dans l'urne, contre 16,7 millions ayant choisi Mitterrand en 1988.
M. Castaner omet toutefois une précision importante: du fait de la hausse de la population française au cours des trente dernières années, le nombre d'inscrits était bien plus important en 2022 (48,7 millions) qu'en 1988 où il s'établissait à 38,2 millions.
Cet indicateur est par ailleurs à double tranchant pour Emmanuel Macron qui a perdu quelque 2,1 millions de voix en valeur absolue entre le deuxième tour de 2017 et celui de 2022.
Selon le politologue Michel Offerlé, professeur émérite à l'ENS, cette polémique met en tout cas en lumière "l’inadaptation entre les pouvoirs exorbitants présidentiels et les conditions de l’élection du président de la République", de plus en plus affaiblies par l'abstention galopante et la contestation de la démocratie représentative.
"Peut-on sortir de ce piège, une légitimité électorale apparente qui ne repose sur aucune négociation ni compromis (...) et qui pourtant confère au vainqueur des pouvoirs présidentiels démesurés", s'interroge-t-il dans un courriel à l'AFP. "Une mise à plat du fonctionnement des institutions demandera du temps. Beaucoup de temps et une énergie démesurée".
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