Fin de l'anonymat des parrainages pour la présidentielle ? Les critiques trompeuses de certains candidats en difficulté


Fin de l'anonymat des parrainages pour la présidentielle ? Les critiques trompeuses de certains candidats en difficulté

Publié le lundi 28 février 2022 à 11:10

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Eric Zemmour et Marine Le Pen, au siège de Radio France, le 21 février 2022

( AFP / Eric Piermont)

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Baptiste PACE, AFP France

Plusieurs candidats à la présidentielle rencontrant des difficultés dans la quête des 500 parrainages incriminent une loi de 2016, adoptée durant le mandat de François Hollande, qui aurait mis fin à l'anonymat de ces signatures d'élus. Ce qui est inexact : la loi a en réalité modifié les conditions de leur publicité. Reste que le nombre de parrainages accordés s'oriente à la baisse, sur fond de violences croissantes contre les élus.

Depuis plusieurs décennies, chaque élection présidentielle est précédée de son feuilleton sur la collecte des parrainages.

Pour concourir à l'élection suprême, les candidats doivent recueillir 500 "présentations" (le terme officiel) parmi les quelque 42.000 élus habilités à parrainer : principalement les maires mais également les députés, sénateurs, députés européens, conseillers régionaux, départementaux, etc...

Les parrainages doivent provenir d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents, sans dépasser un dixième, soit 50, pour un même département ou une même collectivité.

La barre avait initialement été fixée à 100 signatures. Mais le filtre n'avait pas empêché, dès la première élection au suffrage universel en 1965, l'improbable présence d'un impétrant, Marcel Barbu, qui se présenta à la télévision comme "le candidat des chiens battus" (voir sur le site de l'INA).

2022022816-d8f7ceb08a3eacfe4b697135bbe3a601.jpegMarcel Barbu, le 17 novembre 1965 à Paris ( AFP / -)

Le seuil a donc été sensiblement relevé par une loi de 1976. Et depuis lors, singulièrement depuis 2002, la collecte des "présentations" donne lieu aux mêmes scènes de candidats prenant eux-mêmes leur téléphone pour tenter de convaincre les maires, comme l'illustre ce reportage de France 2 consacré à Jean-Marie Le Pen il y a vingt ans.

L'élection de 2022 n'échappe pas à la règle. Mais cette année, plusieurs candidats en difficulté pour la collecte des parrainages mettent en cause une loi de 2016 sur les modalités de l'élection présidentielle, adoptée pendant le quinquennat de François Hollande.

C'est le cas notamment du candidat d'extrême-droite Eric Zemmour (parti Reconquête).

"A partir du moment où M. Hollande a rendu publics tous les noms des maires, il les a mis sous la pression de leurs partis politiques, des communautés de communes, des régions, des départements qui font pression, qui leur disent : si tu choisis Zemmour, il n'y a pas de subvention pour ta piscine, si tu parraines Zemmour, tu vas voir, on va casser ta majorité municipale. C'est ça qui se passe aujourd'hui", a déclaré M. Zemmour le 20 février sur Europe 1 et CNEWS.

L'argument est également régulièrement brandi dans les rangs du Rassemblement national de Marine Le Pen.

"Il y a un problème c'est qu'en 2014, François Hollande avait pris une mesure, une révision de la loi, qui fait que les parrainages n'étaient plus anonymes. Donc il faut revenir sur l'anonymisation des parrainages. Le vote est secret, il n'y a pas de raison que la présentation que font les maires d'un candidat à l'élection présidentielle ne le soit pas également", a par exemple soutenu le président du parti, Jordan Bardella, le 23 février sur Europe 1.

En réalité, la loi mentionnée, qui ne date pas de 2014 mais de 2016, n'a pas supprimé l'anonymat de ces parrainages. Elle a modifié les conditions de leur publicité, qui existait déjà.

Depuis 1981 et jusqu'en 2016, le Conseil constitutionnel publiait déjà, une fois achevée la période de collecte, une liste des élus ayant apporté leur parrainage, mais dans la limite du nombre requis par candidat, c'est-à-dire 500.

Si, pour un candidat ayant recueilli plusieurs milliers de parrainages, cette liste non exhaustive, établie par tirage au sort, ne révélait qu'une fraction de ses soutiens, en revanche un candidat dépassant péniblement la barre fatidique des 500 paraphes voyait donc la quasi-intégralité de ses soutiens publiée.

Par exemple, une liste de 500 élus ayant parrainé Jean-Marie Le Pen en 2007, ou bien Marine Le Pen en 2012, soit la très grande majorité des paraphes recueillis par ces deux candidats, fut rendue publique dès la proclamation de la liste officielle des candidats, plusieurs semaines avant le premier tour de la présidentielle. On peut la retrouver au Journal officiel, ici pour 2007, ici pour 2012.

La loi de 2016 n'a donc pas introduit la publicité des parrainages. Elle en a en revanche modifié les modalités sur deux aspects: depuis 2017, le Conseil constitutionnel, après la période de collecte, publie l'intégralité des parrainages pour tous les candidats. Deuxième changement: l'institution de la rue de Montpensier publie également des listes d'étapes, deux fois par semaine, qui permettent de suivre l'évolution de la collecte, candidat par candidat.

Cet aspect est également critiqué par Jean-Luc Mélenchon.

"Cette difficulté (de rassembler les 500 signatures, NDLR) a été brutalement et volontairement aggravée par M. Hollande et M. Valls qui ont décidé que les parrainages étaient rendus publics à mesure qu'ils arrivaient au Conseil constitutionnel. Ce qui était le moyen, évidemment, d'opérer un frein considérable et un contrôle par des pressions plus ou moins ouvertes, sur les élus", a déclaré le candidat de la France insoumise lors d'une conférence de presse le 10 janvier 2022.

"Le résultat a été le suivant: c'est qu'en 2017, sur 42.000 élus qui pouvaient parrainer, à peine un tiers l'ont fait. C'est-à-dire que tous les autres n'ont parrainé personne, alors que c'est pourtant leur devoir", a poursuivi M. Mélenchon.

En réalité, le nombre de parrainages accordés a été relativement stable entre l'élection de 2012, avant l'adoption des nouvelles règles, et 2017, pour la première application de la réforme.

En 2017, 14.296 parrainages avaient été validés par le Conseil constitutionnel, selon des chiffres de ce dernier. Soit environ un tiers des 42.000 élus habilités à parrainer, comme l'affirme Jean-Luc Mélenchon. Mais en 2012, avant la publication au fur et à mesure de ces parrainages, le nombre de sésames validés s'était élevé à 14.790.

La loi de 2016 n'a donc pas inventé la publicité des parrainages, et sa première application, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017, n'a pas entraîné un effondrement du nombre de signatures.

Ce chiffre a été fluctuant de 1981 à 2002, année du record du nombre de parrainages enregistrés (17.815) qui correspond assez logiquement au record du nombre de candidat présents sur la ligne de départ (16). Et depuis 2002, le nombre total de parrainages est en baisse. Avant, donc, l'entrée en vigueur de la réforme critiquée de 2016.

A noter également que, depuis cette loi, les "parrains" doivent envoyer leur document uniquement par voie postale. Les candidats ne peuvent plus les collecter dans les mairies et les porter eux-mêmes au Conseil.

Violence contre les élus

L'élection présidentielle de 2022 laisse cependant augurer d'une baisse de "participation" plus significative. Jeudi 24 février, à une semaine de la fin de la période de collecte, le Conseil constitutionnel avait validé 10.265 parrainages.

Difficile cependant, dans ces conditions, d'attribuer cette tendance à la seule loi de 2016. "Je ne crois pas qu’il y ait pression des partis à ce point. Je crois qu’il y a pression de la société", estime le président du MoDem, François Bayrou, interrogé par l'AFP.

"La découverte du fait que leur nom serait publié a sûrement joué un rôle. Mais ce phénomène (d'élus qui s'abstiennent de parrainer) ne s'explique que par la violence qui s'exerce à l'égard des élus. Le sentiment de pouvoir être ciblé, poursuivi, agressé, a joué un rôle certain", selon le maire de Pau.

Selon le ministère de l'Intérieur, 1.186 élus ont été pris pour cible dans les onze premiers mois de 2021, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints victimes d'agressions physiques, soit une hausse de 47% par rapport à 2020. Plus de 300 plaintes pour "menace de mort" ont été déposées par des élus depuis juillet, dont 60 sur les dix premiers jours de 2022, selon le ministre Gérald Darmanin.

2022022816-048c4f2da58c9114e29e10f0f878568a.jpegPermanence du député LREM Romain Grau vandalisée à Perpignan, le 27 juillet 2019 ( AFP / RAYMOND ROIG)

2022022816-ef02e3298b63bd8e4c0000c8ae424711.jpegLe député LREM Sacha Houillé dans sa permanence parlementaire, vandalisée, le 20 août 2021 ( AFP / Elodie LE MAOU)

Sollicités par l'AFP, les présidents des grandes associations d'élus, David Lisnard (maires), François Sauvadet (départements) et Carole Delga (régions) n'ont pas donné suite.

Reste que, comme lors des scrutins précédents, la collecte des parrainages a viré au feuilleton. A une semaine du terme de la collecte, sept candidats ont dépassé la barre des 500 signatures : Valérie Pécresse (Les Républicains), Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), Anne Hidalgo (Parti socialiste), Jean Lassalle, Fabien Roussel (Parti communiste), Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise). Liste à laquelle il faut ajouter Emmanuel Macron, pas encore candidat déclaré mais déjà largement pourvu du nombre de sésames nécessaire par ses soutiens.

Jean-Luc Mélenchon, qui ne bénéficie pas, cette année, du soutien du Parti communiste, vient seulement, le 24 février, de dépasser la barre des 500 signatures. Deux candidats recueillant plus de 10% dans tous les sondages d'intention de vote ne l'ont toujours pas atteinte: Marine Le Pen et Eric Zemmour, à qui il manque respectivement 86 et 85 parrainages.

Nicolas Dupont-Aignan doit encore en recueillir 43 pour pouvoir concourir. Pour d'autres candidats tels Christiane Taubira (128 parrainages), Philippe Poutou (243 parrainages), François Asselineau (247) ou encore la représentante du Parti animaliste Hélène Thouy (97), la situation semble de plus en plus compromise, la date limite pour recueillir les signatures étant fixée au vendredi 4 mars à 18h00 par le Conseil constitutionnel.

Dans ce contexte, craignant un "tsunami démocratique", François Bayrou a lancé une initiative: une "banque des parrainages" destinés à fournir les sésames manquants aux candidats. Vendredi 25 février, M. Bayrou a indiqué à l'AFP avoir réuni 365 parrainages. "Un tel nombre devrait permettre à plusieurs des candidats concernés d'atteindre la barre des 500", a-t-il dit.

Comme à chaque présidentielle, une réforme des parrainages est réclamée. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a récemment mis trois scénarios sur la table: "la question de l'anonymat", "le parrainage obligatoire", ou bien "un mixte" entre le soutien de "collectifs citoyens et une part moins importantes d'élus".

Le rapport Jospin de 2012 préconisait de remplacer la procédure actuelle par un système de parrainage par 150.000 citoyens. Et La France insoumise, dans une récente proposition de loi reprise dans le programme de M. Mélenchon, propose d'ajouter cette procédure "citoyenne" à la procédure existante des 500 présentations d'élus.

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