Le glacier Petermann plus menacé de disparition ? Gare à cette interprétation trompeuse d'images satellite
Le glacier Petermann plus menacé de disparition ? Gare à cette interprétation trompeuse d'images satellite
Publié le jeudi 22 août 2024 à 13:19
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Alexis ORSINI / AFP France
Le réchauffement climatique et la fonte des glaciers liés aux émissions de CO2 d'origine humaine sont établis par les scientifiques. Pourtant, dans des publications partagées sur les réseaux sociaux depuis juillet 2024, des internautes soutiennent que le glacier Petermann, au Groenland, s'est agrandi "de près de 16 kilomètres" depuis 2012, alors que sa disparition aurait été annoncée comme "imminente" dans les médias. Ils s'appuient, pour étayer leurs propos, sur un comparatif entre des images satellite d'une partie du glacier datant d'août 2012 et de juillet 2024, dans lequel elle apparaît plus étendue à la date la plus récente. Mais le regain de glace connu par le glacier Petermann, lié à un phénomène naturel, n'est pas significatif, soulignent plusieurs glaciologues à l'AFP, tout en rappelant que ce glacier montre plusieurs signes importants d'affaiblissement, détaillés dans de multiples études scientifiques récentes.
"Le glacier Petermann, au Groenland, s'est agrandi de près de 16 kilomètres depuis 2012, année où les médias ont annoncé de manière hystérique la disparition imminente du glacier. Pour une raison ou une autre, les médias n'en parlent plus...", affirment des internautes dans des publications partagées sur Facebook (1, 2, 3, 4) et sur X (5, 6) depuis fin juillet 2024.
Pour étayer cette assertion, ils recourent à un comparatif d'images satellite du glacier en question, avec, à gauche, une prise de vue du glacier Petermann à la date du 14 août 2012 et, à droite, une image datant 28 juillet 2024.
On y constate qu'une partie spécifique de ce glacier - l'un des plus grands du Groenland - est un peu plus étendue en 2024 qu'en 2012.
Mais cette prétendue démonstration, réalisée à partir d'images satellite de la Terre consultables sur un site de la NASA (National Aeronautics and Space Administration, l'agence spatiale américaine ; lien archivé) est trompeuse, ont expliqué plusieurs experts en glaciologie à l'AFP.
Ainsi que l'a notamment pointé Eric Rignot (lien archivé), professeur à l'université américaine de Californie à Irvine et chercheur affilié à la NASA, joint par l'AFP le 19 août 2024, il est inexact d'évoquer un gain de 16 kilomètres depuis 2012 : "Le front [du glacier, qui marque la limite entre celui-ci et l'eau avoisinante] a avancé d'à peu près 10 km."
Surtout, ainsi que le pointe le spécialiste, ce "regain de glace n'est pas significatif" car il concerne "la partie flottante du glacier qui est déjà en mer", connue sous le nom de langue glaciaire.
Or, "ce qui compte vraiment c'est la ligne d'échouage du glacier, la jonction océan-glace, 30 km plus haut", car "la glace qui dépasse cette ligne contribue à faire monter le niveau des mers". Et cette ligne d'échouage "a reculé de 7 km depuis 2014".
De plus, les internautes partageant le comparatif visuel du glacier à douze ans d'intervalle omettent de préciser que les images d'août 2012 montrent le glacier quelques semaines seulement après qu'un iceberg deux plus fois grand que Paris s'en soit détaché (lien archivé).
Un phénomène impressionnant, que l'on peut observer étape par étape sur les différentes images satellitaires de la NASA compilées dans un article (lien archivé) ainsi que dans la vidéo YouTube ci-dessous (lien archivé).
A cette période, il venait donc de perdre un important morceau, qui s'est en partie reconstitué depuis, conformément à un phénomène naturel "lié à la fréquence de formation d'icebergs, qui est irrégulière", ainsi que le souligne Eric Rignot, et qui n'entraîne pas pour autant une extension globale du glacier. "Petermann produit des icebergs [...] qui sont énormes (10 km x 20 km), mais sur des fréquences faibles, [environ] tous les 10-20 ans", pointe le spécialiste.
Des "instantanés" du glacier décontextualisés
Egalement joint par l'AFP le 19 août 2024, Steff Lhermitte (lien archivé), maître de conférences à l'Université catholique de Louvain et glaciologue spécialiste de la détection par images satellitaires, a abondé en ce sens : "Il est exact que la langue glaciaire s'est agrandie depuis août 2012, mais elle reste plus petite qu'en 2010."
Les images satellite du glacier Petermann compilées par l'Institut américain de géophysique (USGS) permettent d'observer son évolution au fil du temps, et notamment les changements liés à la perte d'icebergs massifs à deux années d'écart, en 2010 et 2012 (lien archivé).
Mais Steff Lhermitte souligne que ces "instantanés" du glacier pris à un moment T ne permettent pas toujours de dresser un tableau complet de l'état du glacier.
"Une structure glaciaire comme [le glacier Petermann] s'étend toujours lentement avant de perdre un énorme iceberg et de diminuer. C'est le même principe que les ongles de nos doigts : ils poussent constamment et sont uniquement coupés [...] de temps en temps. Dans ce contexte, il est important de prendre en compte les changements globaux observés sur Petermann, et ceux-ci montrent que la langue glaciaire s'est réduite (comparé à 2000 notamment), que la ligne d'échouage a reculé et que la structure glaciaire est plus fracturée", poursuit le spécialiste.
Un glacier qui montre des "signes dramatiques d'affaiblissement"
C'est ce que montrent plusieurs travaux scientifiques récents autour du glacier Petermann.
En 2017, Stef Lhermitte avait repéré, sur des images satellite (lien archivé), une fissure longue de plusieurs kilomètres sur le glacier Petermann.
Comme le démontrait notamment une étude publiée en août 2022 (lien archivé), à laquelle a contribué Eric Rignot, des observations menées par des chercheurs du monde entier (parmi lesquels des chercheurs de l'Institut des géosciences de l'environnement - IGE - de Grenoble) à partir de différentes données d'imagerie satellitaire ont montré un "recul spectaculaire" du glacier Petermann.
"Le glacier Petermann était considéré comme stable car il avait très peu réagi au réchauffement de l'océan et de l'atmosphère, qui a largement affecté les autres glaciers groenlandais. [...] Entre 2014 et 2015, le flux du glacier a commencé à s’accélérer de manière significative. Après cet événement, deux grandes fissures se sont ouvertes, ce qui a divisé la plateforme de glace en trois parties différentes. [...] Depuis 2017, le glacier est à nouveau actif et sa ligne d'échouage a reculé de 5 km", précisait le site du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dans un article accompagnant la publication de cette étude (lien archivé).
Et le CNRS de pointer que "ce retrait spectaculaire dépasse de loin la variabilité naturelle observée pour le glacier", l'équipe de recherche suggérant ainsi fortement que ces événements "sont les conséquences d'un affaiblissement à long terme de la plateforme de Petermann, dû en partie au réchauffement des eaux océaniques."
"Tout cela montre que le glacier n'est absolument pas dans un état stable et sain et que, comme presque tous les glaciers de la région, il s'affaiblit en raison de la fonte accrue de la surface et de la base", relève pour sa part Stef Lhermitte.
Dans une étude publiée en mars 2023 (lien archivé), Eric Rignot et ses confrères montraient qu'une partie du glacier Petermann s'érode dans des proportions très élevées, et que sa ligne d'échouage a reculé de 3,4 km entre 2016 et 2022.
"[Le glacier Petermann] diminue de taille, la ligne d'échouage se retire et une nouvelle cavité vient de se créer au centre du glacier", résume l'expert.
Une perte d'environ 280 milliards de tonnes de masse de glace par an au Groenland
La glace des calottes et des glaciers provient d'une accumulation d'eau (douce) provenant des précipitations, comme expliqué dans un lexique disponible sur le site du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Comme nous l'expliquions dès août 2022 dans un article de vérification, la NASA précise, sur une page dédiée (lien archivé) aux "indicateurs clés" sur la masse des glaciers, que "l'Antarctique perd de la masse de glace (par la fonte) à un rythme moyen d'environ 150 milliards de tonnes par an, et le Groenland perd environ 280 milliards de tonnes par an, ce qui contribue à l'élévation du niveau de la mer".
"Le changement climatique est causé par l'Homme et à mesure que l'Arctique se réchauffe, ses glaciers vont fondre, ce qui aura une incidence globale sur le niveau des mers", avait rappelé auprès de l'AFP Antti Lipponen (lien archivé), membre de l'Institut finlandais de météorologie (lien archivé), en août 2022.
Comme déjà détaillé dans cet article de vérification de l'AFP de janvier 2023, la superficie de la banquise arctique est, de façon générale, en déclin depuis les années 1980, comme le montrent d'ailleurs bien les données (lien archivé) du NSIDC.
Des scientifiques ont conclu dans plusieurs études (liens archivés ici et là) que cette tendance générale à la diminution de la banquise arctique ces dernières années.
Dans un article (lien archivé) publié en 2016 sur la plateforme spécialisée dans les enjeux liés au dérèglement climatique Carbon Brief (financée par la Fondation européenne pour le climat), la chercheuse du NSIDC Florence Fetterer (lien archivé) déplorait qu'il n'y avait jamais eu "dans les 150 dernières années, de moment où les glaces (de l'Arctique) ont recouvert aussi peu de surface que ces dernières années".
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