Les imprécisions de Pap Ndiaye sur les hausses de rémunération des enseignants


Les imprécisions de Pap Ndiaye sur les hausses de rémunération des enseignants

Publié le mercredi 26 avril 2023 à 09:39

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(LUDOVIC MARIN / POOL)

Auteur(s)

Gaëlle GEOFFROY / AFP France

Le ministre de l'Education Pap Ndiaye a indiqué le 21 avril 2023 que les enseignants bénéficieraient d'une hausse de leur rémunération de 10% en moyenne en septembre 2023, reprenant une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Mais le ministre n'a pas précisé sur quelle base était calculée cette progression.

Or un document du ministère de l'Education nationale obtenu par l'AFP permet de nuancer fortement cette affirmation puisque la hausse moyenne des rémunérations n'atteindra à la rentrée, selon ces projections, que 5,5% par rapport à septembre 2022.

C'est en fait par rapport à 2020 qu'elle dépasserait les 10% pour atteindre près de 12%.

Le document, rendu public depuis par le ministère, montre aussi de fortes disparités : pour une majorité d'enseignants, la hausse à la rentrée prochaine sera inférieure à 5% sur un an, et donc à l'inflation. Le ministère a confirmé le 26 avril à l'AFP que les rémunérations progresseraient en moyenne de 5,5% en septembre sur un an et que la hausse atteindrait 10% "jusqu'à 12 ans de carrière". .

Depuis Ganges, dans l'Hérault, Emmanuel Macron a comme attendu annoncé (lien archivé ici) le 20 avril 2023 des augmentations de rémunération pour les enseignants. Elles comporteront une part versée à tous, une "hausse inconditionnelle" de "100 à 230 euros" nets mensuels, et une part pour ceux qui accepteront de nouvelles missions rémunérées "jusqu'à 500 euros par mois" dans le cadre d'un "pacte", a-t-il expliqué. L'augmentation pourrait atteindre jusqu'à 3.750 euros bruts par an.

C'est ce que résume le ministère de l'Education sur son site (archive) dans son dossier de presse dont est extraite la page ci-dessous:

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Capture d'écran, réalisée le 24 avril 2023, du dossier de presse du ministère de l'Education nationale diffusé le 20 avril 2023

 

Mais pour les syndicats, hors de question (archive) de "travailler plus pour gagner plus" alors que la profession alerte depuis des années sur ses conditions de travail et de rémunération dégradées. Quant aux augmentations promises, "le compte n'y est pas"  selon eux.

Le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye a précisé le lendemain les modalités de cette hausse. Interrogé sur France Inter, il a indiqué que "c'est 10% en moyenne: ça peut dépasser 10% dans certains cas, on est même à plus de 11% dans les premières moitiés de carrière". "Ensuite c'est moins", a-t-il ajouté, évoquant des hausses "de 3 à 4%", tout en faisant valoir qu'"initialement, les secondes moitiés de carrière ne devaient pas connaître d'augmentation".

C'est ce qu'il détaille à 7 minutes 05 secondes dans la vidéo ci-dessous:

Mais 10% par rapport à quand ? Le ministre ne le précise pas.

Comme nous le verrons, ce taux n'étant qu'une moyenne, il recouvrirait aussi logiquement des progressions très variables, parfois supérieures, mais aussi dans la majorité des cas bien inférieures à ces 10%.

C'est ce qui ressort des chiffres d'un document du ministère que l'AFP a obtenu et authentifié auprès de plusieurs sources les 20 et 21 avril 2023, et mis en ligne ensuite par le ministère.

Ce document, composé de tableaux Excel, n'apparaissait pas sur la page du site du ministère intitulée "ce qui change à la rentrée 2023" pour les enseignants à la date du 24 avril (lien archivé). En revanche, le document y était bien visible le 26 (lien archivé).

Ces tableaux récapitulent les niveaux de rémunération des enseignants avant la mesure, en septembre 2020 et septembre 2022, puis ceux attendus pour septembre 2023, d'une part pour la hausse de la rémunération dite "socle", d'autre part en cas de souscription aux trois niveaux successifs du "pacte" prévoyant de nouvelles missions.

La hausse de la rémunération "socle" se fera via une hausse de la prime d'attractivité et des indemnités que touchent les enseignants pour le suivi des élèves (réunions de parents, conseils de classe...): l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae) dans le premier degré et l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (Isoe) dans le second degré.

Le document décline des chiffres en deux tableaux : un pour les seuls enseignants du public, un second additionnant rémunérations des enseignants du public et du privé.

Une hausse moyenne de 5,5% entre septembre 2022 et septembre 2023

A partir de ces tableaux Excel, peut-on savoir sur quelle période la hausse des rémunérations de "10% en moyenne" évoquée par le ministre a été calculée ?

Dans le tableau concernant les seuls enseignants du public, l'évolution de la rémunération "socle", qui n'est conditionnée à aucune nouvelle mission et s'appliquerait donc à tous, affichera une hausse moyenne de 5,46% entre septembre 2022 et septembre 2023, selon les calculs de l'AFP (5,5% selon l'arrondi apposé au bas de la colonne encadrée de rouge par nos soins ci-dessous). 

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Capture d'écran, réalisée le 21 avril 2023, d'un tableau Excel obtenu par l'AFP récapitulant les hausses de rémunération des enseignants du public prévues par le gouvernement

 

On constate que les hausses de rémunération seront plus élevées pour les enseignants en début de carrière, entre 8% et 11% avant 11,5 ans d'ancienneté, mais de seulement 3 à 6% au-delà. C'est conforme à l'objectif d'Emmanuel Macron, qui souhaite revaloriser le métier en début de carrière pour le rendre plus attractif, en faisant que plus aucun enseignant ne puisse débuter en dessous de 2.000 euros nets par mois.

Ce sera donc désormais bien le cas à partir de septembre 2023 selon ce document : un enseignant avec moins de deux ans d'ancienneté percevra 2.076 euros mensuels, contre 1.926 en septembre 2022 et 1.698 en septembre 2020.

Sur une période bien plus longue, par rapport à septembre 2020, la hausse moyenne est de 11,79% (11,9% selon l'arrondi en bas de tableau).

Les évolutions sont les mêmes dans un second tableau qui les récapitule à la fois pour les enseignants du public et du privé:

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Capture d'écran, réalisée le 24 avril 2023, d'un document récapitulant les évolutions de rémunération des enseignants entre septembre 2020 et septembre 2023

 

Confirmation du ministère

Dans son interview, le ministre évoque aussi des hausses qui pourraient être "même à plus de 11% dans les premières moitiés de carrière".

On retrouve bien cet ordre de grandeur dans les deux tableaux, notamment 11% pour les enseignants du public/privé avec une ancienneté de 4 à 6 ans et 11,2% pour ceux avec une ancienneté de 6 à 8,5 ans. Des chiffres calculés pour la période entre septembre 2022 et septembre 2023.

Or, la moyenne de toute la colonne dans laquelle ils apparaissent fait ressortir une hausse globale de 5,46%. Les 10% de moyenne évoqués par le ministre ne correspondent donc pas à cette période.

Pap Ndiaye évoquait-il alors une évolution sur trois ans ? Mais selon le document, aucun échelon ne connaît de hausse de 11% sur cette période: les augmentations varient entre 9,5% (18 à 22 ans d'ancienneté) et 23,6% (2 à 4 ans d'ancienneté).

Le ministère de l'Education nationale a finalement précisé le 26 avril 2023 dans un mail à l'AFP que la revalorisation annoncée "représente 5,5% de hausse de rémunération en moyenne, à l'échelle de l’ensemble des enseignants, entre septembre 2022 et septembre 2023".

"Pour les professeurs ayant jusqu’à 12 ans de carrière, la hausse de rémunération moyenne sera de 10% entre septembre 2022 et septembre 2023" et "atteindra 20% s’ils effectuent trois missions complémentaires dans le cadre du pacte enseignant", a ajouté le ministère.

Il souligne aussi qu'une page du site du ministère consacrées aux "étapes et (les) avancées du cycle de concertations" ces derniers mois mentionne bien 2020 et le chiffre de 10% : "comparé en 2020 [sic], les professeurs gagneront au 1er septembre 2023 en moyenne 10% de plus" (lien archivé).

Des éléments qui n'apparaissent toutefois pas sur la page évoquée au début de cet article et qui détaille les annonces d'Emmanuel Macron du 20 avril 2023.

Il faut noter que si l'on retient comme base de comparaison 2020, cela permet de faire ressortir une hausse plus importante que sur un an, et il convient alors d'apporter un autre élément de contexte, qui lui aussi permet de nuancer.

Ces trois dernières années ont en effet vu la création en mars 2021 d'une prime d'attractivité (archive) pour les enseignants en début de carrière dans le cadre d'un Grenelle de l'éducation et l'augmentation (archive) à l'été 2022 du point d'indice des fonctionnaires. Une partie de l'augmentation prévue à la rentrée comprend donc des revalorisations qui étaient déjà en place.

Interrogés le 21 avril par l'AFP, plusieurs syndicats n'ont pas souhaité commenter ces tableaux.

L'inflation engloutit la revalorisation moyenne

Reste que selon ce document, une majorité d'enseignants du public et du privé connaîtront une hausse de rémunération comprise dans une fourchette de 2,7% à 6,5% selon leurs échelons en septembre 2023 par rapport à septembre 2022, comme on le voit dans le tableau ci-dessous.

La revalorisation ne compenserait alors pas l'inflation, qui a atteint 5,2% en 2022 sur un an et 5,7% encore en mars 2023 sur un an, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (archives ici et ici).

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Capture d'écran, réalisée le 24 avril 2023, d'un document récapitulant les évolutions de rémunération des enseignants

 

Une année de promesses

On est également loin de la revalorisation de "10% pour tous les enseignants" promise par Emmanuel Macron lors du débat télévisé du 21 avril 2022 dans l'entre deux tours de la présidentielle face à la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen.

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Capture d'écran, réalisée le 24 avril 2023, d'un article du quotidien Le Monde sur le débat d'entre deux tours de la présidentielle publié le 21 avril 2022

 

Le lendemain sur France Inter, le président candidat confirmait son propos en évoquant le fait que le gouvernement avait "commencé une revalorisation des professeurs" qui n'était "pas conditionnée à quoi que ce soit" et était "autour de 10%".

Sur quelle période et à quelle échéance ? Il ne le précisait pas:

Puis en détaillant sa feuille de route pour l'école (archive) le 25 août 2022, le chef de l'Etat réélu avait évoqué un objectif de ne voir aucun enseignant débuter sa carrière "à moins de 2.000 euros nets" par mois, ce qui permettrait "environ 10% d'augmentation de la rémunération par rapport au statu quo" - comprendre: pour les débuts de carrière, et non pour tous les enseignants. La hausse à 2.000 euros s'effectuera à la rentrée 2023, avait précisé le soir même Pap Ndiaye sur France 2. 

Le 2 février 2023, le ministre de l'Education s'exprime ensuite sur la seule partie "pacte" de la mesure et précise que souscrire à de nouvelles missions dans ce cadre permettrait de "gagner 10% de plus par rapport au salaire moyen" (archive).

Le 11 avril 2023, il précise encore. Trois milliards d'euros de budget seraient débloqués pour l'ensemble des revalorisations: "deux milliards versés de manière inconditionnelle, pour tous les enseignants", et un milliard finançant jusqu'à 3.650 euros de plus par an - bruts ou nets, ce n'est pas précisé - pour un enseignant acceptant de réaliser jusqu'à 72 heures de tâches supplémentaires, cette dernière partie représentant "10% supplémentaires par rapport au salaire moyen".

Dernières déclarations en date, le 21 avril 2023: Pap Ndiaye évoque donc une hausse moyenne de 10% pour l'ensemble des enseignants, hausse inconditionnelle, qui ne concernerait donc que la partie "socle".

"Gloubi-boulga à géométrie variable"

Les syndicats ont étrillé les annonces d'Emmanuel Macron du 20 avril 2023.

Interrogés le 21 avril par l'AFP pour savoir si une revalorisation inconditionnelle moyenne de 10% avait bien été discutée pendant les négociations avec le gouvernement, et si oui, sur quelle période, ils se sont montrés très critiques.

"Depuis le début, les 10% sont un gloubi-boulga à géométrie variable", a dénoncé Stéphane Crochet, secrétaire général de SE-Unsa.

"On nous a toujours dit que la hausse serait de 10% en moyenne depuis la rentrée de 2021 et nous l'avons dénoncé", car cela intègre la hausse du point d'indice intervenue à l'été 2022, a-t-il aussi expliqué.

Au final, "on est loin de la promesse d'une hausse de 10% inconditionnelle" d'Emmanuel Macron, critique-t-il.

Pour Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU, premier syndicat dans le primaire, "à aucun moment en négociations on a parlé de ces 10%. On parlait en chiffres absolus, pas en pourcentage" - tandis que le ministre Pap Ndiaye communiquait dans les médias sur le taux de 10%.

Revalorisation de 95 euros pour la majorité des enseignants

Pour les syndicats, le compte n'y est pas, ni en pourcentage de progression, ni en espèces sonnantes et trébuchantes.

L'enveloppe budgétaire annoncée pour la hausse de la partie "socle" est de 635 millions d'euros en 2023 pour une revalorisation au 1er septembre, et de 1,905 milliard d'euros en année pleine en 2024, quand "il aurait fallu 3,6 milliards d'euros pour augmenter tout le monde de 10%", a souligné Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire (collège et lycée), auprès de l'AFP le 20 avril 2023 (archive).

Les montants de revalorisation mensuelle annoncés par Emmanuel Macron le même jour vont selon lui de "100 euros", jusqu'à "230 euros" pour certains en début de carrière.

Le document obtenu par l'AFP évalue les revalorisations en euros par rapport, cette fois, à... janvier 2023.

Elles atteindraient selon lui 151 euros par exemple par rapport à janvier 2023 pour un enseignant ayant d'un à deux ans d'ancienneté (cela concernerait 17.692 enseignants selon ce document) et 222 euros pour ceux ayant 6 à 8,5 années d'ancienneté (31.503 enseignants).

Mais à partir de 14,5 ans d'ancienneté, c'est-à-dire pour 545.430 des 809.092 enseignants et stagiaires du public et du privé additionnés, la hausse est évaluée à 95 euros quels que soient les échelons: deux tiers (67%) des enseignants toucheraient donc un peu moins de 100 euros nets mensuels supplémentaires.

Le SNUipp-FSU a mis en ligne le 21 avril un simulateur qui permet à chaque enseignant de calculer le montant de revalorisation dont il bénéficiera (archive).

De nombreux chercheurs ont largement documenté le "déclassement" du corps enseignant et sa perte de pouvoir  d'achat.  

"En 1980, le salaire d'entrée des profs de collège était de près de 2.2x le SMIC, il est est de 1.1x le SMIC en 2023", a rappelé Lucas Chancel, économiste et professeur à Sciences Po, dans un tweet publié le 20 avril, après les annonces d'Emmanuel Macron.

Ainsi, "une prime de 100€/mois ne compenserait même pas leur perte de pouvoir d'achat liée à l'inflation depuis 2020", a-t-il calculé.

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Capture d'écran, réalisée le 25 avril 2023, d'un graphique diffusé par l'économiste Lucas Chancel dans un tweet le 20 avril

 

 

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