Non, ce camion-remorque ne transporte pas un missile nucléaire russe


Non, ce camion-remorque ne transporte pas un missile nucléaire russe

Publié le lundi 7 novembre 2022 à 15:00

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(AFP)

Auteur(s)

SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire

Une vidéo montrant un camion-remorque transportant un long tube cylindrique a été visionnée plus d'un demi-million de fois sur Facebook. Selon la publication, il s'agirait d'un missile russe capable de raser un pays de la taille de la France. Mais c'est faux : cette vidéo ne montre pas le transport d’un missile nucléaire mais d'une pièce destinée à une raffinerie de pétrole en Ouzbékistan, comme l'a indiqué à l'AFP l'entreprise chargée de son transport.

La vidéo, qui dure environ une minute et demi, montre un camion-remorque de taille impressionnante avec plus d’une quarantaine de rangées de roues. Il porte un gigantesque tube cylindrique avec un embout conique. Le camion-remorque fait partie d’un convoi composé de plusieurs véhicules.

La vidéo a été publiée sur Facebook le 14 février 2022, dix jours avant l'invasion russe de l'Ukraine. Mais elle a depuis continué a être partagée, commentée et visionnée -- plus de 640.000 fois en tout. Elle est accompagnée d’un texte accusant la France de pousser l’Europe dans une guerre contre la Russie.

"La France pousse l'Europe dans le trou du cul, et si par bêtise ils font un faux pas, ils seront effacés de la planète terre. Poutine ne parle pas beaucoup, il agit et réagit. De kremlin à Bamako, la liberté des peuples suit son chemin (sic)", indique le texte. L’auteur écrit ensuite : "Voici le missile nucléaire russe pouvant rayer de la carte un territoire de la taille de la France".

0b04d0a10c0220b0144d716a8dcc617e811bdb3f-ipad.jpgCapture d’écran Facebook réalisée le 31 octobre 2022

Une vidéo de 2018

Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la menace nucléaire brandie plusieurs fois par Moscou, cette vidéo a suscité des commentaires hostiles aux pays membres de l’Otan.

Mais cette vidéo n’a rien à voir avec l’arsenal nucléaire russe ni la guerre en Ukraine.

Une recherche d’image inversée grâce au moteur de recherche Yandex nous a permis de retrouver de nombreuses images de camions-remorques portant de grandes structures. Parmi les résultats suggérés figurent quatre images identiques à des séquences de la vidéo publiée sur Facebook.

464804e5f77fc61b348bfb4c1247126f71c51653-ipad.jpgCapture d’écran Yandex réalisée le 31 octobre 2022

L’une des images suggérées par Yandex nous renvoie à une vidéo publiée le 13 décembre 2018 sur YouTube. Cette vidéo, dont les images sont identiques à celle publiée sur Facebook, est accompagnée du texte suivant : "Sularry [slurry, NDLR] hopper for natural gas station Kazakistan to uzbekistan (sic)" qui se traduit par "trémie à boue pour station de gaz naturel du Kazakhstan à l’Ouzbékistan".

Ces types de trémies sont des dispositifs industriels spécialement conçus pour le déchargement et la réception de boues ou autres produits pâteux, souvent utilisés lors de l’exploitation du pétrole ou généralement d’hydrocarbure. Fabriquées sur mesure et pouvant prendre différentes formes, elles peuvent être en acier inoxydable, galvanisé ou peint pour résister aux milieux corrosifs. Les trémies peuvent contenir des équipements de filtrage ou des pompes et être installées de façon horizontale ou verticale.

Bien que de forme cylindrique, la trémie sur la vidéo a une structure assez différente des missiles russes souvent photographiés lors de parades militaires. 

6fd85db863e29a8e03960630a03d53ad0159e2ff-ipad.jpgLe missile balistique intercontinental thermonucléaire RS-24 Yars sur la place rouge à Moscou, le 9 mai 2019 (AFP/ ALEXANDER NEMENOV)

17eddbd53fac316c4ec5cfc06cc772cc41d11894-ipad.jpgCapture d'écran de la vidéo montrant la trémie, réalisée le 2 novembre 2022

Une autre vidéo du même convoi a été publiée sur YouTube le 18 décembre 2018. Sur le flanc du camion-remorque, on peut voir un logo avec l’inscription "Çaba & Misnak". Il s’agit d’une entreprise basée à Istanbul et spécialisée dans les services de levage et de transport lourd en Turquie et dans les régions voisines. Des activités de transport similaire sont visibles sur le compte YouTube de l'entreprise.

Contacté le 2 novembre 2022 par l'AFP,  le service logistique de l’entreprise Çaba & Misnak indique que la "société de transport lourd basée en Turquie se concentre uniquement sur les projets pétroliers, gaziers, offshore et éoliens en Turquie, en Asie centrale et en Afrique du Nord".

"Çaba & Misnak a été créée en 1996 et n'a jamais participé à des projets militaires. La vidéo que vous avez envoyée est relative à un équipement d’une raffinerie de pétrole en Ouzbékistan. Son nom est CATALYST SLURRY HOPPER et il pesait 510 tonnes. Ce n'est pas un équipement militaire et il ne fait partie d’aucun projet militaire" a précisé l’entreprise.

Menace nucléaire

La vidéo refait surface dans un contexte de menace nucléaire dans le conflit russo-ukrainien, qui plane depuis des mois.

Les Etats-Unis sont devenus "au fil des mois" de "plus en plus préoccupés" par l'éventualité d'une potentielle frappe nucléaire de la Russie, a dit le 2 novembre un conseiller de la Maison Blanche tandis que les autorités russes font régulièrement des déclarations contradictoires sur le sujet.

La Maison Blanche a toutefois indiqué ne pas avoir d'indication de préparatifs concrets de la Russie en ce sens.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a pour sa part jugé "irresponsable" que les médias occidentaux "gonflent délibérément le sujet des armes nucléaires". Moscou n'a "pas la moindre intention de prendre part" à ce débat, a-t-il poursuivi.

"Dans la situation difficile et turbulente que nous traversons, qui est le résultat d'actions irresponsables et éhontées visant à saper notre sécurité nationale, la principale priorité est de prévenir tout affrontement entre puissances nucléaires", a affirmé le 2 novembre dans un communiqué le ministère russe des Affaires étrangères.

La veille pourtant, l'ex-président russe et actuel numéro 2 du Conseil de sécurité, Dmitri Medvedev, avait une nouvelle fois évoqué l'arme nucléaire. 

La volonté ukrainienne de reprendre tous les territoires occupés, dont la Crimée ou le Donbass, "menace l'existence de notre Etat" et offre "un motif direct" pour faire usage "des moyens de dissuasion nucléaire", avait-il déclaré.

 Confronté à une résistance ukrainienne tenace, alimentée par l'aide militaire occidentale, Vladimir Poutine avait lui-même fait une allusion à la bombe atomique dans un discours télévisé le 21 septembre.

Selon les experts, de telles attaques emploieraient probablement des armes nucléaires tactiques -- plus petites en charge explosive qu'une arme nucléaire stratégique.

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