Non, ces images ne montrent pas Bernard-Henri Lévy avec des "jihadistes" au Mali


Non, ces images ne montrent pas Bernard-Henri Lévy avec des "jihadistes" au Mali

Publié le lundi 8 août 2022 à 15:02

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(AFP)

Auteur(s)

Marin LEFEVRE

Une vidéo cumulant près de 650.000 vues depuis le 15 juillet affirme, photos à l'appui, que le philosophe français Bernard-Henri Lévy, surnommé "BHL", soutiendrait les "jihadistes" qui sévissent au Mali. Elle avait précédemment fait son apparition sur les réseaux sociaux en décembre 2021. L'écrivain qu'elle vise est connu pour son intérêt pour les zones de guerre notamment en Bosnie, en Libye ou en Syrie. Ces photos montrant BHL aux côtés d'hommes armés circulent dans un climat de haute tension entre Bamako et ses partenaires, dont la France. Attention cependant: ces images ont été prises au Soudan, en 2007, et n'ont rien à voir avec la situation au Mali.

"Vous n'allez pas croire l'information d'aujourd'hui", ânonne une voix aux accents robotiques, alors qu'un diaporama orné d'un badge "INFOS URGENT" défile en arrière-plan. On y aperçoit le philosophe français Bernard-Henri Lévy, entouré d'hommes noirs armés.

Selon l'auteur de cette vidéo de trois minutes, ces images sont la preuve que l'écrivain est un "espion français": il "fournit les armes aux jihadistes" au Mali, leur "donne la position de l'armée malienne" et transporte même "l'or de l'Afrique vers l'Europe", affirme-t-il.

ace137028a0dee52cd482581cdb4603da2a4350d-ipad.jpgCapture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 19 juillet 2022

Ces images ont été visionnées près de 650.000 fois depuis le 15 juillet sur Facebook. La publication a été partagée plus de 23.000 fois.

La vidéo était précédemment apparue sur ce même réseau social le 18 décembre 2021 - l'AFP l'avait déjà vérifiée à cette occasion. 

Elle circule alors que les relations politiques entre le Mali et ses partenaires n'ont cessé de se dégrader: le 14 juillet, Bamako a ainsi suspendu toutes les rotations des contingents militaires et policiers de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma).

Cette suspension intervient dans un contexte de bras de fer diplomatique qui dure depuis plusieurs mois entre le Mali et ses partenaires, notamment la France, que Bamako a poussée vers la sortie début 2022 après neuf ans de présence militaire dans le pays via l'opération Serval puis Barkhane.

Les infox se sont multipliées sur les réseaux sociaux maliens et plus largement ouest-africains depuis que la France a entrepris en juin 2021 de réorganiser son dispositif militaire, au terme de près de neuf ans de présence au Sahel. Ce plan prévoit une réduction des effectifs, de 5.000 actuellement, à 2.500/3.000 d'ici 2023.

Des photographies prises au Darfour en 2007

Pourtant, les deux photos montrant BHL aux côtés d'hommes armés n'ont rien à voir avec la situation actuelle au Mali. 

358d43b8797bbf9f38f325cb70bd16d2f244cd07-ipad.jpgCapture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 4 janvier 2022

a2f7ce8775d82bc6bc0223e4ce45f475152ced29-ipad.jpgCapture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 4 janvier 2022

La première, où Bernard-Henri Lévy est identifié par une flèche bleue et discute au milieu d'un groupe d'hommes armés, se retrouve sur le site de l'hebdomadaire français L'Obs. Elle est publiée au sein d'un diaporama mis en ligne en septembre 2015 et montre, selon la légende qui l'accompagne, "Bernard-Henri Lévy[qui] parle avec le commandant Tarrada de l'Armée de libération du Soudan (ALS) et ses soldats, au Darfour, région en guerre, en mars 2007". 

6268b6c9440aa314152cbbc32581696b6cb5b9aa-ipad.jpgCapture d'écran du site du magazine L'Obs, réalisée le 4 janvier 2022

La seconde, où le philosophe français apparaît en veste de costume accoudé sur un véhicule, aux côtés de plusieurs hommes eux aussi lourdement armés, a été publiée par le magazine Purpleen 2009, qui consacrait cette année-là un portrait à BHL sous forme d'entretien. L'image est utilisée pour illustrer ce texte, aux côtés de la première mentionnée ci-dessus.

70f02d90fbb76b53764ef8cb98d82b613405c671-ipad.jpgCapture d'écran du site du magazine Purple, réalisée le 4 janvier 2022

La légende de ce second cliché est plus concise et mentionne seulement qu'il a été pris lors d'un "reportage" au Darfour, en 2007. Mais le nom du photographe - Alexis Duclos - est mentionné. 

Contacté par l'AFP le 3 janvier, celui-ci a confirmé en être l'auteur.  "Ces photos sont extraites d'un reportage que j'ai effectué avec Bernard-Henri Lévy en mars 2007 au Darfour", une région de l'ouest du Soudan, a-t-il déclaré, précisant qu'ils étaient "rentrés clandestinement[dans ce pays] par le Tchad".

La seconde photo montre "l'écrivain français Bernard-Henri Lévy[s'entretenant] avec le chef de l'ALS (Armée de libération du Soudan), Rocco, dans la région de Beirmazza", au Soudan, a précisé Alexis Duclos à l'AFP.

"Ce reportageavait pour but de dénoncer et de montrer le massacre des tribus musulmanes de cette région et dans le pays voisin du Tchad par les milices Janjaweed", des miliciens arabes montés à cheval et envoyés par le pouvoir d'Omar El-Béchir, ex-président du pays, contre les différents groupes ethniques du Darfour, selon le photographe.

Cette vaste région est régulièrement secouée par des heurts, notamment provoqués par des disputes territoriales ou les difficultés d'accès à l'eau et a connu une longue guerre qui a fait depuis 2003 au moins 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés selon l'ONU.

De son passage dans cette région, le philosophe français a notamment tiré un article pour Le Monde Afrique, intitulé "Choses vues au Darfour" et publié en mars 2007, dans lequel Alexis Duclos est cité.

Né en 1948, BHL est un habitué des terrains de guerre (Bosnie, territoires palestiniens, Syrie, Libye...) et a fait de la défense des droits de l'Homme sa marque de fabrique. Philosophe, romancier, journaliste, dramaturge, éditeur, cinéaste, il a publié plusieurs livres et réalisé plusieurs films sur ces conflits. Très apprécié mais également très critiqué, ses détracteurs lui reprochent entre autres de se montrer plus sensible à la misère lointaine qu'à celle du coin de sa rue.

Cette information a également été vérifiée par Les Observateurs de France 24 et le site d'actualités malien Le Jalon

Vidéos "low cost"

Cette vidéo virale qui prétend que Bernard-Henri Lévy est un espion à la solde de la France dont la mission serait de défendre les intérêts français au Mali est un énième exemple d'un type de vidéos qui imitent l'information pour désinformer.

La recette de ces contenus est simple et déclinable à tous types de sujets: une voix off robotique à la syntaxe hasardeuse, un habillage imitant les chaînes d'info, le tout apposé à un diaporama d'images qui n'ont parfois rien à voir avec "l'information" que les auteurs de la vidéo prétendent révéler.

Ici, la voix off débite un texte qui vise à interpeller le spectateur ("Regardez ce Français. Vous l'avez bien vu?") et induire un doute quant aux raisons qui motivent Bernard-Henri Lévy à se rendre sur plusieurs terrains de conflit, notamment en Libye.

La suite du monologue évoque pêle-mêle des informations factuelles - sa biographie, les thèmes de ses travaux, la composition de sa famille - et des rumeurs invérifiables - BHL se serait marié pour accomplir des missions d'espionnage, aurait "permis la mort de Kadhafi" ou l'arrestation "du président ivoirien Laurent Gbagbo". Il transporterait même "des ressources minières par hélicoptère sous l'ordre des présidents français de chaque génération", et donc plus récemment d'Emmanuel Macron. 

Cette surabondance d'informations, mêlée aux images qui défilent, permet de "détourner votre attention", estimait en décembre 2021 pour l'AFP Shyam Sundar, de l'Université d'Etat de Pennsylvanie , qui voit dans ce format une "combinaison mortelle" en terme d'efficacité.

"Comme votre cerveau essaye d'intégrer toutes ces stimulations, vous n'allez pas vous concentrer sur l'audio spécifiquement et serez moins à même de repérer la désinformation(...), vous êtes mentalement submergé", poursuit-t-il. Et donc plus difficilement capables de repérer les rumeurs ou les fausses informations.

Faciles à fabriquer en masse car peu coûteuses, disséminées très largement via les réseaux sociaux, ces vidéos servent souvent à des fins propagandistes. Au Mali par exemple, ce genre de vidéos est abondamment publié sur des groupes opposés à la présence française dans le pays.

L'armée française quitte le Mali

Cette fausse information est l'une des dernières incarnations de la défiance d'une partie de la population malienne envers la présence militaire française sur son sol, qui est sur le point de prendre fin: les derniers soldats français doivent en effet quitter le Mali d'ici quelques semaines.

Pousssés vers la sortie par une junte malienne hostile, les Français ont entamé leur repli en février au terme de neuf ans de présence ininterrompue pour lutter contre les jihadistes. Après Gossi et Menaka, les militaires sont en passe de quitter courant août leur dernière emprise malienne. 

Au total, la France doit sortir du Mali quelque 4.000 containers et un millier de véhicules, dont des centaines de blindés. 

Ce retrait intervient en pleine flambée de violences au Sahel. Plus de 2.000 civils ont été tués au Mali, Niger et Burkina Faso depuis le début de l'année, soit déjà plus que les 2.021 recensés pour toute l'année 2021, selon les calculs de l'AFP à partir d'une compilation de l'ONG spécialisée Acled.

Au terme de ce repli titanesque, seuls 2.500 militaires seront maintenus au Sahel contre plus de 5.000 il y a encore deux ans. 
La France conservera notamment plus d'un millier d'hommes au Niger, où un groupement tactique continuera de travailler en partenariat avec les forces nigériennes.

20 juillet 2022Revoici après téléchargement des images

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