"La guerre est fausse", affirme sur Twitter Stew Peters, un activiste d'extrême droite américain, dans une publication partagée plus de 14.000 fois depuis le 26 février 2023 - quelques jours après le premier anniversaire de l'invasion russe en Ukraine.

La publication inclut deux photos du même immeuble : la première, datant de février 2022, où l'on peut voir que le bâtiment a subi de graves dommages, et la seconde, datant de février 2023, où ces dégâts ont disparu. 

Ce montage des deux photos a ensuite été partagé par de nombreux utilisateurs en français, en anglais ou en allemand, affirmant à leur tour que la guerre - entre l'Ukraine et la Russie - est "fausse".

Stew Peters a déjà été épinglé plusieurs fois par l'AFP pour diffusion de fausses allégations, notamment concernant le coronavirus et les vaccins, dans des podcasts du "Stew Peters Show".

Un an de désinformation autour de la guerre en Ukraine

Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes le 24 février 2022, de nombreuses fausses informations, en majorité pro-russe, circulent sur la guerre et les combats qui se déroulent dans le pays.

Un récit récurrent, et qui a déjà fait l'objet d'articles de vérification de l'AFP, est que l'Ukraine ne ferait que mettre en scène les dommages de la guerre ainsi que les victimes, notamment après la découverte de cadavres de civils à Boutcha, près de Kiev, début avril. Deux séquences d'une vidéo de mauvaise qualité ont alors été utilisées pour affirmer que deux figurants jouaient les morts, ce que l'AFP a pu contredire grâce à ses équipes sur place.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses autres vidéos partagées massivement pour faire croire à des horreurs "mises en scène" ont été en réalité sorties de leur contexte : elles montrent en réalité les tournages d'un clip de rap, d'un film de science-fiction, d'une série TV russe...

Le gouvernement russe a d'ailleurs participé à la diffusion de ce récit. Le 27 juin 2022, la Russie avait ainsi nié avoir détruit un centre commercial de la ville ukrainienne de Krementchouk, causant la mort de 21 personnes, et avait en outre affirmé qu'il était fermé au moment des frappes. Cependant, des témoignages directs et des éléments recueillis par l'AFP ont montré que le centre commercial était bien ouvert.

Témoignage d'une survivante de l'immeuble

Le 25 février 2022, des médias (comme ici ou ici) ont annoncé, citant le ministère ukrainien de la Défense, que les troupes russes avaient attaqué Kiev.

Le lendemain, un immeuble résidentiel, situé avenue Lobanovski, à proximité d'un aéroport, avait été frappé par un missile et en partie détruit. Cet immeuble, très reconnaissable, est celui partagé dans les publications que nous examinons. 

L'AFP était sur place et avait pris en photo les dégâts engendrés par cette frappe.

L'origine du missile n'a toutefois pas pu être clairement établie.

Le gouvernement ukrainien affirme qu'il s'agit d'un missile russe, tandis que le ministère russe de la Défense conteste et affirme, de son côté, qu'il s'agit d'un missile de défense aérienne ukrainien. Aucune des deux parties n'a cependant nié les destructions causées par ce missile. 

D'après Kateryna Ivachchenko-Stadnik, une ancienne habitante de l'immeuble - que l'AFP a retrouvé et interrogé le 28 février 2023 - le missile s'est abattu entre le 18e et le 22e étage. Kateryna vivait seulement deux étages en dessous.

"Nous étions tous dans l'appartement au moment de l'attaque. Honnêtement, je n'ai pas entendu d'alarme. C'était le 26 février. Le bombardement a duré moins d'une minute", raconte-t-elle.

En raison de l'invasion russe, les habitants de Kiev avaient été invités, la veille, à se cacher dans des abris comme dans l'école voisine. "Nous n'y sommes pas allés parce que nous nous sentions plus en sécurité chez nous. J'ai sous-estimé les risques pour les civils. Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir des tirs dans notre quartier, avec une école et une maternité à côté", poursuit Kateryna. 

L'équipe allemande de l'AFP Factuel a pu récolter auprès d'habitantes de l'immeuble d'autres photos des conséquences de la frappe, que l'on peut voir dans cette publication Instagram.

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L'impact a été suivi d'une vague de fumée, de poussière, et de bris de verre. "Je voulais juste voir ma famille en vie. Je ne pensais à rien d'autre", se remémore Kateryna.

Tout de suite après, elle a préparé un sac, pris ses documents importants, de l'argent, et a quitté l'immeuble avec toute sa famille, avant de s'enfuir du pays.

Nadia Prystupa, directrice générale du Cambridge English Centre, qui se trouvait aussi dans l'immeuble, a également confirmé à l'AFP le 28 février 2023 que celui-ci a été frappé par un missile. 

Contacté par l'AFP le 27 février 2023, Oksana Zinovyeva, porte-parole de la mairie de Kiev, a, à son tour affirmé, que "le missile a bien touché cet immeuble de l'avenue Lobanovski le 26 février 2022".

Fin février 2022, d'autres médias (comme Le Figaro et le Monde) avaient également rapporté en vidéo cet événement.

Une guerre largement documentée

La guerre en Ukraine - qui a commencé il y a plus d'un an - les victimes, les dégâts et certains crimes ont été largement documentés par les médias locaux et internationaux tels que l'AFP.

Le gouvernement ukrainien et le gouvernement russe en font d'ailleurs régulièrement rapport, même si ce dernier la décrit comme étant une "opération militaire spéciale".

Contrairement aux affirmations que nous examinons, il n'y a donc aucun doute sur le fait qu'une guerre ait bien lieu actuellement en Ukraine. 

L'immeuble a simplement été rénové

Une recherche d'image inversée à partir de la photo partagée dans les publications que nous examinons, nous conduit à un tweet du gouvernement ukrainien datant du 21 février 2023. 

"En février 2022, un missile russe a frappé un immeuble résidentiel situé sur l'avenue Lobanovski, à Kiev, dont une photo déchirante a horrifié le monde entier et a montré les vraies intentions de la Russie. Près d'un an plus tard, l'immeuble est rénové."

L'AFP a pu interrogé le 28 février 2023 Olena Chumakova, une résidente actuelle de l'immeuble, au sujet de ces rénovations.

Olena a quitté Kiev au premier jour de la guerre. Selon elle, seules trois familles sont restées habiter dans l'immeuble en ruine, sans électricité, ni eau ou chauffage.

Lorsqu'elle est rentrée un mois plus tard, son appartement était toujours inhabitable. 

"Il faisait froid, et c'était effrayant. Mais je venais tout de même tous les jours dans mon appartement", raconte-t-elle.

Avec l'aide d'autres résidents, ils ont nettoyé les lieux, ont collecté des dons et ont commencé à renforcer les sols.

Depuis mai 2022, elle habite de nouveau au 14e étage de l'immeuble. Au cours de l'automne, des employés municipaux ont terminé la reconstruction de huit étages.

Durant l'été 2022, le mari de Kateryna Ivachchenko-Stadnik est également revenu habiter dans son appartement du 16e étage, qui se situe sur le côté le plus endommagé de l'immeuble, sans eau, électricité ou fenêtres. Un générateur d'électricité a été installé tandis que l'eau doit être récupérée dans un grand magasin voisin. 

Pendant la rénovation, la guerre était toujours bien présente, a déclaré Olena Chumakova : "Il y avait des raids aériens jours et nuits. On a eu des coupures de courant. Une fois, nous sommes restés sans électricité pendant trois jours, c'était très difficile. Quand il n'y a pas d'électricité, il n'y a pas d'eau, pas de chauffage, et nous ne pouvons pas cuisiner. Il faisait très froid. Mais nous l'avons supporté."

Olena a également affirmé que le maire de Kiev, Vitali Klitschko était venu visiter le chantier de rénovation. Sur sa page Facebook, on retrouve d'ailleurs des photos et vidéos de ses visites en septembre et décembre 2022. 

La porte-parole de la mairie de Kiev, Oksana Zinovyeva, a également déclaré à l'AFP que les rénovations de l'immeuble ont été achevées en décembre 2022.

L'AFP s'est rendue sur place le 28 février 2023 et a photographié le bâtiment rénové.

Le 16 octobre 2022, le ministère ukrainien de la Défense a également publié une vidéo montrant d'autres bâtiments rénovés.

Mykola Boyko, le chef adjoint de l'administration militaire de Kiev, a déclaré sur Telegram le 27 février 2023 : "La reconstruction de la région est une priorité. [...] Nous rassemblons toutes les sources possibles de financement pour ces reconstructions - non seulement les fonds de l'Etat et des budgets locaux, mais également les fonds des organisations internationales. Le plus important est de permettre aux gens de rentrer chez eux." 

Plus de 10.000 bâtiments (résidentiels, scolaires, sociaux, sanitaires) ont été entièrement ou partiellement rénovés.

La porte-parole de la mairie de Kiev a affirmé que les bâtiments détruits et inhabitables de Kiev seront tous rénovés. Actuellement, six autres immeubles résidentiels sont en pleine rénovation. Ils doivent être terminés d'ici le printemps.