Non, cette photo ne montre pas un homme politique brésilien corrompu ligoté à un poteau par ses concitoyens


Non, cette photo ne montre pas un homme politique brésilien corrompu ligoté à un poteau par ses concitoyens

Publié le jeudi 9 juin 2022 à 16:44

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(AFP)

Auteur(s)

Claire Line NASS, Stavros MALICHUDIS, AFP Grèce, AFP France

Un homme politique brésilien accusé de corruption aurait été attaché à un poteau par ses concitoyens, prétend la légende d'une image partagée plus de 13.000 fois sur Internet depuis 2015 et relayée à plus de 5.000 reprises depuis le 4 juin. C'est faux : la photo n'a pas été prise au Brésil mais en Australie, dans le cadre d'une campagne publicitaire pour une banque en 2011, a confirmé l'agence de publicité qui l'a créée à l'AFP.

"Au Brésil, un conseiller municipal corrompu, attaché à un poteau par la population", assure la légende un tweet partagé le 4 juin 2022, assorti d'une photo sur laquelle on peut voir la silhouette d'un homme vêtu d'un costume-cravate, ligoté à un poteau et dont la tête a été floutée.

La même image assortie d'une légende identique figure dans une publication Facebook, relayée à plus de 13.000 reprises depuis 2015, dont au moins 5.000 partages ont eu lieu depuis le 4 juin 2022, bien que l'auteur du post original ait entre temps précisé, en commentaire, qu'il "s'agissait bien d'un hoax", ajoutant être "désolé pour l'erreur".

"En France ont va manquer de poteaux", et "Macron et sa clique méritent la même chose", assurent certains des internautes francophones relayant l'image à moins d'une semaine du premier tour des élections législatives.

5c011cbc2315d56a492c85fb9565874064ea834d-ipad.jpgCapture d'écran Twitter, prise le 07/06/2022

14db52e3f6e852fa8ae5b773add7b6e5a18f569c-ipad.jpgCapture d'écran Facebook, prise le 08/06/2022

Elle avait aussi été reprise dans d'autres publications sur les réseaux sociaux, ainsi que dans des articles de blog en français diffusés par des internautes basés en France mais aussi au Tchad, aux Comores, au Sénégal ou encore au Cameroun depuis 2014, certains assurant que l'homme figurant sur la photo serait "Mendes da Costa", un "parlementaire de l'État de Alagoas". 

La même image, avec des légendes similaires, a également circulé sur les réseaux sociaux en grec, en anglais et en allemand. L'équipe arabophone de l'AFP avait déjà consacré un article de vérification à ce sujet en 2020.

La scène photographiée ne se déroule pourtant pas au Brésil, mais en Australie. Et elle ne montre pas la vengeance de citoyens envers un homme politique corrompu, mais provient d'une campagne publicitaire de la Banque nationale d'Australie, diffusée en 2011.

Une affirmation provenant à l'origine d'un site satirique

Une recherche d'image inversée (dont le principe est détaillé dans la vidéo en dessous) à partir de l'image permet d'en retrouver des occurrences antérieures sur Internet.

On peut notamment retrouver de nombreuses occurrences de l'image, publiées en 2014 en plusieurs langues sur les réseaux sociaux, avec des légendes similaires à celles partagées en 2022. Dans les commentaires des posts, des internautes renvoient vers un article du site brésilien G17 publié en mars 2014. 

Ce site n'est plus actif en juin 2022, mais il est possible de retrouver des versions archivées de l'article en ligne, dans lequel figure effectivement la photo et des allégations similaires.

dfa512b2da0450e4bb79e60a50cd96eee8933e87-ipad.jpgCapture d'écran d'une archive du site parodique brésilien "G17", prise le 08/06/2022

On peut ainsi voir dans les versions archivées de la page d'accueil du site que celui-ci se présentait comme un "espace pour l'humour, la satire et le divertissement".  "Nous publions des satires et des histoires fictives humoristiques, qui ne doivent pas être prises au sérieux ni servir de source d'information !", indiquait par ailleurs clairement le site en bas de page.

La page Facebook associée au site, toujours en ligne en juin 2022, précise elle aussi que "G17.com.br fait la satire des portails d'information brésiliens avec des informations fictives et fantaisistes qui ne doivent pas être prises au sérieux".

1ce32ed2a2249b417b7a87e8ad4e045afc5ed562-ipad.jpgCapture d'écran d'une archive du site parodique brésilien "G17", prise le 08/06/2022

45a21afcd9f2b5cb22e912c386626521651fea4f-ipad.jpgCapture d'écran d'une archive du site parodique brésilien "G17", prise le 08/06/2022

Une campagne publicitaire pour une banque australienne

Les premières occurrences en ligne de la photo remontent à 2011, et mènent notamment à un article du média The Financial Brand, qui se présente comme "un média numérique spécialisé dans les questions de marketing stratégique dans le secteur des banques de détail".

L'article, publié le 25 juillet 2011, fait référence à une campagne publicitaire de la National Bank of Australia (NAB). À l'époque, l'établissement avait mené une campagne publicitaire provocatrice, qui avait fait le "buzz" selon l'article du Financial Brand, au travers de plusieurs photographies et actions spécifiques.

L'une d'entre elles est nommée "Doug se retrouve ligoté à un poteau", et on peut y retrouver la même image que celle qui a été partagée sur les réseaux sociaux comme peuvent en attester plusieurs éléments visibles sur les images (comme les feux et les personnes présentes en arrière-plan), mais son sens a été inversé, et le visage de l'homme attaché y est bien visible et non flouté.

cfe093cb2024942b99ac82263ac38a233087cd6b-ipad.jpgCapture d'écran Twitter, prise le 08/06/2022

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"Les grandes banques australiennes ripostent à la popularité croissante de la NAB en kidnappant 'Doug G', l'un des employés de la NAB, puis en l'attachant avec du ruban adhésif à un poteau électrique dans le centre-ville de Melbourne. La NAB est, bien sûr, à l'origine de cette farce", indique la description de l'image, qui ajoute que "Doug" aurait profité de la situation pour vanter les mérites de la NAB auprès des passants.

"Dans l'ensemble, la blague du 'poteau électrique' est une idée amusante, ludique, créative et relativement peu coûteuse à réaliser. Les coups publicitaires de ce genre peuvent générer de fantastiques opportunités de communication", note encore l'article du Financial Brand.

Une campagne publicitaire primée

 Un autre article publié le 23 juin 2011 dans le Sydney Morning Herald, l'un des principaux journaux diffusés en Australie, relate la même histoire, avec une photo semblable, prise sous un angle différent. On peut y reconnaitre l'homme ligoté à ses vêtements et à la position des liens sur son corps.

7c63867d0ce30e8326babbff54c88eab59b81a75-ipad.jpgCapture d'écran du site de the Sydney Morning Herald, prise le 08/06/2022

L'article indique que la scène se déroule à Melbourne,  et que ce "faux banquier" ligoté à un poteau fait partie du "dernier coup de pub de la campagne marketing de la NAB, qui met en avant le fait que la banque est si différente que ses compétiteurs que ces dernières la détestent", et précise que cette campagne a été créée par "Clemenger BBDO Melbourne".

Cette entreprise se présente sur son site comme "la plus grande, et la plus florissante entreprise de communication et marketing d'Australie-Asie". 

Contactée par l'AFP en septembre 2021 au sujet des photos de l'homme attaché au poteau, l'entreprise a confirmé qu'elles provenaient bien de sa campagne publicitaire pour la banque australienne."L'image a bien été créée pour la campagne Break Up de la banque NAB".

En 2011, comme le précise l'article du Sydney Morning Herald, cette même campagne publicitaire a par ailleurs remporté un Grand Prix de "relations publiques" au festival international de la créativité de Cannes.

La corruption au Brésil

Lors des élections présidentielles de 2018, Jair Bolsonaro, représentant de l'extrême droite, avait été élu notamment sur sa promesse d'éradiquer la corruption, endémique au Brésil.

Pourtant, son mandat, qui prend fin cette année, a été émaillé de plusieurs scandales liés à des soupçons de corruption. En 2021, la commission d'enquête du Sénat brésilien (CPI) a par exemple enquêté sur des irrégularités dans l'achat par le ministère de la Santé du vaccin indien Covaxin.

Un haut fonctionnaire avait alors fait état de "pressions atypiques" pour approuver l'achat de doses du Covaxin qu'il jugeait surfacturées. Aucune mesure n'aurait alors été prise par le président, bien qu'il aurait été mis au courant de l'affaire. À la demande de plusieurs sénateurs, le parquet brésilien avait ainsi ouvert une enquête contre le chef de l'Etat pour "prévarication".

316c883a8caff9a3de4f0420c1e432ce1d0f567a-ipad.jpgLe président brésilien Jair Bolsonaro donne un discours lors d'un événement promu par le mouvement anti-avortement à Brasilia, le 7 juin 2022 (AFP / EVARISO SA)

En outre, fin mars 2022, le ministre de l'Education, Milton Ribeiro, avait présenté sa démission, alors qu'il était visé par une enquête pour trafic d'influence en faveur d'alliés politiques de pasteurs évangéliques.

Un quotidien local avait alors dévoilé que le ministre aurait affirmé accorder en priorité des subventions aux écoles de municipalités gérées par des "amis" de deux influents pasteurs évangéliques, à la demande du président Jair Bolsonaro. Ces révélations avaient poussé la Cour suprême à ouvrir une enquête contre le ministre. 

Le départ du ministre de l'Education est intervenu en plein lancement de la pré-campagne pour la présidentielle d'octobre 2022, où Jair Bolsonaro est candidat à sa propre succession. 

Il sera opposé à Luiz Inacio Lula da Silva, vétéran de la gauche brésilienne, connu sous le nom de Lula, qui a annoncé en mai se lancer dans la course à la présidence.

Cette candidature, qui sera sa sixième, signe le retour en politique de cet ex-président (2003-2010) que beaucoup estimaient fini lorsqu'il avait été emprisonné, précisément pour corruption, deux ans et demi auparavant. Mais la Cour suprême avait annulé ses condamnations en 2021.

0d17d247acc689b1c9ff72a844aaffb7a2269f93-ipad.jpgInfographie sur Luiz Inacio Lula da Silva, ancien président du Brésil, de nouveau autorisé à se présenter à des élections après qu'un juge a annulé ses condamnations

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