Non, donner l'antibiotique azithromycine n'aurait pas "sauvé" des milliers de personnes mortes du Covid


Non, donner l'antibiotique azithromycine n'aurait pas "sauvé" des milliers de personnes mortes du Covid

Publié le vendredi 19 mai 2023 à 12:08

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Capture d'écran de Facebook le 12 mai

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AFP France

Comment soigner les patients atteints du Covid-19, et notamment les plus gravement malades ? Les médecins du monde entier se sont intéressés à cette question et, aujourd'hui, plusieurs traitements sont recommandés face à ces cas graves, de moins en moins nombreux avec la diffusion des vaccins. Mais sur les réseaux sociaux, des internautes prétendent que les morts du Covid sont décédés d'une infection secondaire et auraient pu être soignés avec un antibiotique. C'est faux, rappellent les experts interrogés par l'AFP, expliquant que l'administration d'antibiotiques n'est indiquée que pour une minorité de patients Covid.

"Voilà que trois ans plus tard, 'on' découvre que les malades de la Covid19 mouraient d'une pneumonie qu'on aurait pu prévenir et guérir avec un bête antibiotique, genre Azithromycine ou Amoxicilline, COMME ON LE FAISAIT D'HABITUDE (!!)", assure une internaute sur Facebook le 5 mai, dans un post partagé près de 150 fois.

"Au lieu de ça, les autorités et leurs experts leur ont dit de ne pas aller chez leur médecin, de ne pas se rendre à l'hôpital et, quand ils s'y rendaient quasi mourants, les médecins, croyant sur paroles les autorités et leurs experts leur ont dit qu'on ne pouvait rien leur donner car 'il n'existe aucun traitement'", poursuit-t-elle.

Les commentaires aussi déplorent que les "'vrais experts', pas ceux de plateaux, préconisaient ces traitements !". Un autre abonde: "Avec le temps on aura peut-être certaines vérités mais je doute, le lobby de Big Pharma est tellement puissant que les états en ont peur !".

Sur Twitter aussi, ces affirmations ont proliféré dès le 5 mai, notamment avec ce tweet partagé près de 1.800 fois. : "50% des décès Covid seraient dus à une infection bactérienne secondaire. Le refus de soigner à l'azithromycine aura bien été un déni de soins mortel. Des millions de morts évitables, tués par la raison d'état", affirme ainsi Jean-Dominique Michel, auteur de fausses affirmations sur le Covid déjà démystifiées par l'AFP Factuel

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Capture d'écran de Twitter le 12 mai

 

Un autre usager de Twitter, qui d'ailleurs fait référence au professeur Luc Montagnier, dont les fausses affirmations ont fait l'objet d'articles de l'AFP Factuel, dénonce lui aussi les décisions officielles sur le Covid: "Luc Montagnier vous l'avait dit... UN DECES COVID SUR DEUX S'EXPLIQUE EN REALITE PAR UNE INFECTION BACTERIENNE. L'interdiction des antibiotiques , une mesure idiote et criminelle?". Un tweet relayé aussi par l'ancien sénateur Yves Pozzo di Borgo, lui-même retweeté plus de 1.000 fois.

Une étude aux conclusions mal interprétées

Toutes ces publications citent une étude revue par des pairs parue dans The Journal of clinical investigation, une revue publiée par l'American society for clinical investigation par une équipe de l'hôpital américain du Northwestern Memorial hospital. 

Les auteurs de cette étude ont utilisé l'intelligence artificielle pour analyser les données de 585 patients placés en soins intensifs avec une pneumonie sévère et une insuffisance respiratoire, parmi lesquels 190 avaient été infectés par le Covid-19. Leur étude a montré que parmi les patients atteints du Covid, une surinfection bactérienne du poumon avait été un facteur-clé de mortalité (dans l'étude, parmi les patients Covid atteints d'une surinfection qui n'a pas pu être identifiée, 76% sont morts).

Selon l'Inserm, joint par l'AFP le 12 mai, contrairement à ce qu'affirment certains internautes, "L’article ne dit pas du tout que la moitié des patients Covid sont morts d’infection, mais montre que chez les patients sous respirateur en général, si l’efficacité (du traitement, NDLR) n’est pas d’emblée présente, ils évoluent vers un état clinique dans lequel la mortalité est plus élevée". 

L'étude s'intéresse en effet seulement aux personnes dans un état sévère, placées sous respirateur artificiel.

De multiples causes pour expliquer la mortalité liée au Covid

Le pneumologue Benjamin Singer, co-signataire de l'étude américaine récente, assure dans un mail à l'AFP le 5 mai: "Nos données sont contradictoires avec la thèse d'un orage de cytokine menant à la mort dans le Covid". L'orage de cytokine est un phénomène hyper-inflammatoire décrit depuis une vingtaine d'années seulement.  

Il a été pointé du doigt pour expliquer la dangerosité de deux autres maladies respiratoires provoquées par des coronavirus avant le Covid, le Sras et le Mers (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient). 

Pour les chercheurs interrogés par l'AFP, il faut relativiser les conclusions américaines, qui ne se basent par sur des autopsies de patients, mais sur des données informatiques. En effet, tandis qu'une autopsie permet de déterminer quels ont été les organes atteints, les données d'hôpital, cliniques ou administratives, prendront uniquement en compte ce qui a été renseigné pendant le séjour hospitalier. Les auteurs eux-mêmes admettent des "limites importantes de leur étude", soulignant "ne pas pouvoir exclure que des facteurs de morbidité n'aient pas été renseignés".

D'autre part, l'étude américaine est "monocentrique", c'est-à-dire qu'elle a analysé les données d'un groupe de patients tous issus du même centre hospitalier. Parmi ces patients, moins de 200 sont atteints du Covid-19.

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AFP

 

Le professeur Marc Leone, chef du service réanimation à l'Hôpital Nord de Marseille, explique le 9 mai à l'AFP que "pas mal d'études ont regardé la mortalité due au Covid dont une étude française (archive) et elles ont à peu près toujours le même résultat : c’est-à-dire que 50 % des personnes sont mortes de ce qu’on appelle un choc septique (ou "orage de cytokine", NDLR), quelques-unes sont mortes à cause de surinfections bactériennes. A peu près 15% de décès sont liés à une hypoxémie, c’est-à-dire un manque d’oxygène, et 10-15% à des embolies pulmonaires, des événements thrombo-emboliques". Une grande majorité des personnes mortes du Covid n'est donc pas décédée des suites d'une infection, et n'aurait pas été "sauvée" par un antibiotique.

L'étude américaine conclut que "les surinfections bactériennes pourraient contribuer à la mortalité des patients Covid", mais pour Nicolas Dauby, spécialiste des maladies infectieuses au Centre hospitalier universitaire Saint-Pierre de Bruxelles, il est difficile de tirer des conclusions avec une cohorte aussi peu nombreuses, et avec des patients bien spécifiques.

"On parle de patients en soins intensifs qui sont intubés pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines, remarque-t-il, mais on sait très bien que la surinfection bactérienne dans le Covid en ambulatoire ou au moment de l’admission aux urgences, c’est extrêmement peu fréquent, moins de 5% des cas contrairement à la grippe", souligne-t-il lors d'un entretien à l'AFP le 13 mai. 

"C'est l'inflammation du patient qui va dans la majorité des cas déterminer le pronostic, mais c’est pas pour ça qu'il ne peut pas aussi mourir d’une surinfection bactérienne", conclut le Pr Dauby.

Des antibiotiques surprescrits

Contrairement à ce qu'affirment les publications mensongères, les antibiotiques n'ont jamais été "interdits" pour soigner des patients Covid.

Mais ils ne sont pas recommandés pour la grande majorité d'entre eux, comme l'explique le 12 mai la Haute autorité de santé à l'AFP: "nous avons indiqué qu’il n’y avait pas d’indication à prescrire une antibiothérapie en dehors d'une infection respiratoire bactérienne diagnostiquée, pour les patients symptomatiques". La HAS a résumé ici (archive) la conduite à tenir pour les médecins devant des patients Covid.

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AFP

 

Au tout début de la pandémie au printemps 2020, rappelle le Dr Dauby, "il y a eu une sur-prescription d'antibiotiques au niveau mondial".  "En tant que spécialistes, on avait en mémoire la pandémie de grippe espagnole, et, dans les esprits, on ne mourrait pas du virus mais des surinfections bactériennes. Du coup, on prescrivait beaucoup d'antibiotiques", explique-t-il. "Et puis, on s'est évidemment aperçu que le Covid était associé à cette hyper inflammation...".

Pour le Pr Leone, les antibiotiques sont à manier avec prudence car "arriver à distinguer une infection bactérienne au milieu de l’infection virale n’est pas forcément facile, les signes diagnostics sont similaires à 95%". 

"La solution facile dont sont adeptes certains utilisateurs des réseaux sociaux c’est de mettre des antibiotiques à tout le monde", critique le Pr Leone, "mais déjà on sait qu’on a une surmorbidité liée à ces antibiotiques…et deuxièmement, quand on donne des antibiotiques sans trop savoir ce qu’on fait on crée des antibiorésistances lors de la deuxième infection que va faire le patient et c’est à ce moment-là qu’on va être en échec thérapeutique". Les risques d'antibiorésistance chez des patients à fort risque de multiplier les infections sont aussi soulevées par la Société française de pharmacologie et de thérapeutique.

Benjamin Singer, de l'hôpital de Northwestern, explique: "nous avons observé que la mortalité était relativement faible (autour de 18%) chez les patients dont la pneumonie bactérienne secondaire (ndlr: une surinfection) était guérie et assez haute (autour de 76%) chez ceux dont la pneumonie n'était pas guérie".

Pour résumer, analyse le Dr Dauby, "Cette étude dit que, malheureusement, dans leur expérience, dans une certaine proportion de cas, on n’a pas réussi à identifier une surinfection bronchique associée au ventilateur (ce qu’ils appellent VAP) et ça a été associé à une plus grande mortalité. Un patient qui va séjourner longtemps aux soins intensifs, qui sera intubé, a un risque plus élevé de faire une surinfection".

Pour le médecin belge, l'étude américaine montre une fois de plus qu'il "est important d’identifier des surinfections bactériennes pour la prise en charge du patient et son pronostic". Mais, constate-t-il, "depuis deux ans on n'a pas vraiment évolué pour identifier quel patient va avoir une surinfection".

"Tous les marqueurs classiques qu’on a à notre disposition hors Covid ne sont pas des bons prédicteurs dans le Covid", regrette-t-il, ajoutant: "On n’a pas de facteurs cliniques de comorbidité qui puissent prédire non plus qui va faire une surinfection".

Une étude (archive) réalisée aux Pays-Bas montre que seuls 6% des patients Covid développent une surinfection bactérienne, et que parmi ces malades, 80% sont traités par antibiotiques.

L'azithromycine, pas indiquée chez les patients Covid

Parmi les auteurs de fausses informations sur cette étude américaine, certains prônent l'usage de l'antibiotique azithromycine pour soigner les patients Covid gravement malades. 

L'azithromycine est un antibiotique de la classe des azalides, souvent utilisé pour traiter des angines et des bronchites. L'agence française du médicament (ANSM) a particulièrement mis en garde contre les risques cardiaques liés à la combinaison hydroxychloroquine et azithromycine promue notamment par le Pr Raoult. Une étude menée dans 55 hôpitaux brésiliens et publiée le 24 juillet a observé également que l’hydroxychloroquine, combiné ou non à l'antibiotique azithromycine, était inefficace face au Covid-19.

Interrogé sur la pertinence ou non d'administrer cet antibiotique dans le Covid, le Dr Singer assure ne jamais avoir tiré cette conclusion: "notre étude montre qu'il faut insister sur des antibiotiques antibactériens en se basant sur des analyses réalisées dans les poumons".

Pour le docteur Leone, "l'azithromycine n'est vraiment pas adéquate pour ce type d’infection, ce n'est vraiment pas la bonne cible donc ça c’est un message politique, pas un message scientifique". C'est aussi la conclusion de cette étude (archive).

Les thérapies validées pour guérir les patients atteints de Covid

Le Dr Dauby rappelle que pour les patients traités à un stade précoce de la maladie, "Ce qui a changé le pronostic à un moment, c’était la thérapie antivirale avec les anticorps monoclonaux, qui en usage précoce permettait d'éviter les complications".

A l’inverse, pour les patients en soins intensifs "qui sont extrêmement malades", "ce qui a démontré une efficacité, c'est la dexaméthasone (un corticoïde, NDLR), les anti-Jak (des molécules régulant le système inflammatoire, NDLR) ou les interleukine (un type de cytokine, NDLR), c'est-à-dire vraiment des médicaments immunomodulateurs ou anti-inflammatoires, et pas des antibactériens ou des antiviraux".

Mais des interrogations demeurent sur le Covid et ses traitements, "il y a des patients qui ne répondent pas à ces traitements, montrant qu’il y a probablement plusieurs phenotypes de patients sévères Covid, dont certains chez qui l’inflammation n’est peut-être pas le principal élément-clé de la mortalité", comme le suggère cette autre étude.

"Le message à faire passer", résume le Dr Dauby, "c'est vraiment que la recherche doit continuer dans ce domaine pour traiter au mieux les patients Covid".

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