Non, la France n'a pas "violé le protocole de Minsk" en livrant des armes à l'Ukraine


Non, la France n'a pas "violé le protocole de Minsk" en livrant des armes à l'Ukraine

Publié le mardi 16 août 2022 à 22:16

5b77f1d5778dcaa8979988c5eea5a88633cbdc1d-ipad.jpg

(AFP)

Auteur(s)

Chloé RABS, AFP France

Dans une vidéo partagée plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux depuis le 6 août, Gabriel Attal, alors porte-parole du gouvernement français, met en avant le fait que "la France a été le premier fournisseur d'arme en direction des Ukrainiens" depuis 2014 et le début du conflit en Ukraine. Pour les internautes qui partagent la vidéo, c'est la preuve que la France "viole" le protocole de Minsk, conclu en 2014 pour tenter de mettre un terme aux combats dans le Donbass. Rien pourtant, dans ce protocole ou dans les accords de Minsk II qui ont suivi, n'interdit explicitement à la France de fournir ou de vendre des armes à l'Ukraine, expliquent des experts à l'AFP. Paris n'est par ailleurs pas signataire direct de ces accords mais simple "garant" au même titre que l'Allemagne.

"Depuis 2014 et le début de ce conflit [en Ukraine], la France a été le premier fournisseur d'armes en direction des Ukrainiens", déclare Gabriel Attal, dans une vidéo datant du 13 avril 2022 - à l'heure où l'actuel ministre délégué des Comptes publics était porte-parole du gouvernement français - et partagée plus de 7.000 fois sur Twitter et Facebook (1, 2, 3) depuis le 6 août 2022.

8cf00248e055e3f26efae7d2d2e421c4159e3416-ipad.jpgCapture d'écran d'une publication Twitter, réalisée le 10/08/2022

La preuve, pour les internautes qui partagent la vidéo, que la France viole le protocole de Minsk, conclu en 2014 pour tenter de mettre fin aux combats entre séparatistes pro-russes et forces ukrainiennes, dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine. "L'énorme gaffe de G. Attal qui voulant toujours en faire trop, avoue stupidement qu'en violation du protocole de Minsk, la France a continué à armer l'Ukraine depuis 2014", affirme l'un des internautes. 

Le protocole de Minsk, et les accords de Minsk II qui ont suivi, ne mentionnent pourtant explicitement aucune interdiction de vente ou de livraison d'armes à l'Ukraine par un autre pays, soulignent plusieurs experts auprès de l'AFP.

"Il n'y a aucune disposition dans les accords de Minsk I ou Minsk II concernant une limitation de vente d'armes à l'Ukraine", affirme Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), contacté le 9 août 2022. 

"Les accords de Minsk n'incluent pas d'interdiction de vente d'armes. Ce n'est pas du tout l'objet de ces accords", abonde Alexandra Goujon, politologue spécialiste des pays d'Europe de l'est, le 12 août 2022 à l'AFP.

Le protocole de Minsk, ultérieurement appelé Minsk I, a été signé le 5 septembre 2014 par les représentants de l'Ukraine, de la Russie et des "républiques populaires" autoproclamées de Donetsk et Lougansk, réunis sous les auspices de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Le but : mettre fin à la guerre du Donbass qui a éclaté en février 2014. Cet accord (disponible ici) comporte douze points, dont la cessation immédiate et bilatérale du recours aux armes, la surveillance de la frontière, la libération des otages ou encore l'amélioration de la situation humanitaire.

e17301ee651926062cf8baf13f847233bb97391e-ipad.jpgCapture d'écran du protocole de Minsk I disponible sur le site du ministère des Affaires Etrangères, réalisée le 09/08/2022

"La seule disposition concernant les armes dans l'accord de Minsk est le retrait des armes lourdes, de part et d'autre", ajoute Jean de Gliniasty, mentionnant le point numéro 10 : "Procéder au retrait du territoire ukrainien des formations armées et du matériel militaire illicites, ainsi que des combattants irréguliers et des mercenaires."

"C'est ce qu'on a appelé plus tard la démilitarisation, qui concerne les troupes sur le territoire ukrainien", ajoute Alexandra Goujon.

Cet accord a été complété le 19 septembre 2014 par un Mémorandum de paix, signé par les mêmes parties. Le document en neuf points prévoit notamment un arrêt de l'usage des armes et un retrait de 15 km des artilleries lourdes des deux camps depuis leur "ligne de contact", précisait à l'époque l'émissaire de Kiev et ancien président ukrainien Leonid Koutchma.

Après plusieurs violations du cessez-le-feu et l'échec de l'application de ces résolutions, un nouveau sommet en format dit de Normandie (Ukraine, Russie, Allemagne, France) a lieu le 11 février 2015 et aboutit à la signature des Accords de Minsk II.

Ces accords reprennent les dispositions précédentes, fournissent davantage de précisions sur les mesures à prendre pour parvenir à la paix et donnent des délais précis de mise en œuvre. Par exemple, l’échange des prisonniers doit avoir lieu dans les cinq jours qui suivent le retrait des armes.

Une nouvelle fois, aucune disposition ne concerne spécifiquement les livraisons d'armes.  

Par ailleurs, Paris n'est pas à proprement parler signataire de ces accords, soulignent les spécialistes interrogés par l'AFP. "Les accords ont été négociés entre des représentants de l’Ukraine, de la Russie, de l’Allemagne et de la France mais nous ne sommes pas des signataires directs, juste des garants de l'application des accords de Minsk", indique Jean de Gliniasty.

"La France et l'Allemagne sont des intermédiaires mais pas des signataires", renchérit Alexandra Goujon. Pour elle, cette rhétorique "participe à la propagande russe qui chercher à montrer que les occidentaux ne sont pas neutres mais sont depuis 2014 du côté de l'Ukraine".

18 canons Caesar livrés depuis février

Selon le rapport 2021 du Parlement français portant sur les exportations d'armement, la France a livré 56 millions d'euros de matériel à l'Ukraine entre 2011 et 2020.

bc9ea9ff8482b8fa3df6047b815fa220f7fe438d-ipad.jpgCapture d'écran du rapport du Parlement de 2021 sur les armes, réalisée le 10/08/2022

En détail : 23,7 millions de matériel en 2011, 2,2 millions en 2021, 3,3 millions en 2013, 1,6 million en 2014, 1 million en 2015, 8,1 million en 2016, 0,5 million en 2017, 8,1 millions en 2018, 7,8 millions en 2019 et 0,1 million en 2020.

Depuis le début de l'offensive militaire lancée par Moscou en Ukraine le 24 février 2022, Paris a indiqué avoir livré à Kiev dix-huit canons Caesar, des missiles anti-chars Milan et des missiles anti-aériens Mistral.

Mi-avril, Florence Parly, alors ministre des Armées, avait chiffré à plus de cent millions d'euros les équipements militaires livrés par la France à l'Ukraine. 

Fin juin, son successeur Sébastien Lecornu a annoncé que la France allait, en plus, envoyer dans des "quantités significatives" des véhicules blindés de transport de troupes. 

Les Etats-Unis ont quant à eux annoncé début août une nouvelle aide militaire à l'Ukraine d'un montant d'un milliard de dollars, comprenant notamment des missiles supplémentaires pour les systèmes américains d'artillerie de précision Himars.

Cette nouvelle aide porte à 9,8 milliards de dollars le montant total de l'assistance militaire des Etats-Unis à l'Ukraine depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden, et 9,1 milliards depuis le début de la guerre, selon Colin Kahl, secrétaire à la Défense adjoint chargé des questions politiques, 

Le 11 août, 1,5 milliard d'euros pour l'équipement et la formation des troupes ukrainiennes ont par ailleurs été collectés lors d'une conférence internationale rassemblant 26 pays à Copenhague.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/dragonduclos/stat...
  • Texte de la déclaration :

    L'énorme gaffe de G. Attal qui voulant toujours en faire trop, avoue stupidement qu'en violation du protocole de Minsk, la France a continué à armer l'Ukraine depuis 2014... lui permettant de pilonner le Donbass !
    Le conflit Ukraine-Russie est-il vraiment initié par la Russie ?

  • Nombre de retweets : 9316

© AGENCE FRANCE-PRESSE | 2024 | Tous droits réservés. L’accès aux contenus de l'AFP publiés sur ce site et, le cas échéant, leur utilisation sont soumis aux conditions générales d'utilisation disponibles sur : https://www.afp.com/fr/cgu. Par conséquent, en accédant aux contenus de l’AFP publiés sur ce site, et en les utilisant, le cas échéant, vous acceptez d'être lié par les conditions générales d'utilisation susmentionnées. L’utilisation de contenus de l'AFP se fait sous votre seule et entière responsabilité. 


Republication
Si vous êtes un média et souhaitez publier ce Fact-check de l’AFP sur votre site officiel, vous pouvez le faire en acceptant et dans le respect de ces Conditions générales d'utilisation. Après avoir accepté ces Conditions générales d'utilisation, vous pourrez télécharger le Fact-Check de l’AFP pour le publier sur votre site officiel.