Non, la surmortalité observée par l'ONU n'est pas liée à la vaccination anti-Covid


Non, la surmortalité observée par l'ONU n'est pas liée à la vaccination anti-Covid

Publié le vendredi 28 avril 2023 à 11:41

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Auteur(s)

Julie PACOREL / Juliette MANSOUR / AFP France

De nombreuses publications sur internet soutiennent à tort que les vaccins anti-Covid auraient entraîné la mort de millions de personnes, ce qui a été démenti à de nombreuses reprises par la communauté scientifique à travers le monde. Certaines s'appuient par exemple sur des chiffres de l'ONU, montrant qu'il y a eu plus de décès qu'attendu entre 2019 et 2022, pour en déduire, sans preuve, que cela est dû au vaccin. Mais les chiffres de l'ONU ne montre pas cela, comme l'organisation l'a confirmé à l'AFP. Des experts interrogés par l'AFP soulignent que la surmortalité relevée par l'ONU s'explique principalement par les effets du Covid lui-même. En outre, les campagnes de vaccination anti-Covid n'ont débuté essentiellement que début 2021.

"L'ONU a annoncé une surmortalité de 23,6 millions en 3 ans dont 16,9 millions pour raisons 'inconnues'", titre un article publié par le site Réseau international le 28 mars.

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Capture d'écran prise sur Twitter le 27/04/2023

 

Une allégation reprise massivement sur les réseaux sociaux, de Twitter à Facebook notamment, où  l'outil d'analyse d'audience des réseaux sociaux CrowdTangle note plus de 4.000 interactions pour cet article au 25 avril. L'affirmation est aussi assez virale sur Tik Tok, relayée notamment dans cette vidéo vue près de 23.000 fois.

Les auteurs du blog Réseau international l'assurent: "Les données catastrophiques que nous publions ici sont des données publiques et officielles de l’ONU" et "ces montagnes de cadavres indicibles sont les cobayes sacrifiés d’une guerre avide déclenchée mais non déclarée contre la 'surpopulation'".

Ce blog habitué des infox (voir ici ou là) reprend une rhétorique anti-vaccination devenue récurrente consistant à nommer les personnes vaccinées contre le Covid "cobayes" et ainsi insinuer que le but de la pandémie est de réduire la population mondiale.

Sur les comptes Facebook et Twitter de Réseau international, ce narratif est plus direct encore: "Les données de l'ONU sont si politiquement incorrectes en ce qu’elles incriminent d'office non seulement la campagne vaccinale mais également toutes les mesures toxiques de confinement".https://www.facebook.com/hashtag/surmortalit%C3%A9?__eep__=6&__cft__[0]=AZW1cObDuw8Kjaz0XPNVmMH55bq29VWjnF2Sbze2AOoVV9JB23wGxfrvPqNWb_C34tL8X8uYOVLdpDGpBAjha-WaYqH14KinH1BvDfn8oWHRMTSr_arPGaXTz3vx58_j2cIxI1oI4cl-dWcuxABeDuRE&__tn__=*NK-R

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Un homme porte un masque à Pékin, le 11 avril 2023

AFP

 

Des chiffres 2022 non consolidés

Selon les chiffres que prétend révéler Réseau International, "au lieu de 175,9 millions de morts 'normaux' attendus en 3 ans de 2020 à 2022, il y en a eu 199,5 millions". 

Les chiffres de mortalité mondiale sont effectivement de 63,2 millions en 2020, 69,2 millions en 2021 et 67 millions en 2022, selon ce tableau de l'ONU, ce qui est égal à plus de 199 millions sur trois ans.

Mais attention, indique à l'AFP le 24 avril le responsable de la section des estimations démographiques de la division "population" (archive) de l'ONU, le Dr Patrick Gerland: les chiffres 2022 correspondent à des projections et sont donc à prendre avec prudence.

Un "excès de mortalité" difficile à calculer...

Réseau international assure aussi que sur ces 199,5 millions de morts sur trois ans, de 2019 à 2022, 23,6 millions sont "en trop".

A quoi correspond cette surmortalité? Dans les études épidémiologiques, on parle de "décès excédentaires". Le nombre de décès excédentaires correspond au nombre de morts en plus de ceux que l'on pourrait attendre dans des conditions "normales", donc en-dehors de toute crise majeure comme une épidémie ou une guerre.

Selon les tableaux de l'ONU, il y a eu 4,7 millions de morts excédentaires en 2020 et 10,6 millions en 2021.

"Pour l'année 2022, l’excès de mortalité calculé reste beaucoup plus hypothétique et sujet à une bien plus grande révision d’ici l’an prochain", explique aussi M. Gerland. "L’OMS n'a pas encore produit ces estimations pour l’année 2022, et donc les chiffres obtenus a partir du World Population Prospects pour 2022 sur cette question sont très hypothétiques, et sujet à révision d’ici l’année qui vient", a-t-il ajouté.

Selon les pays, obtenir des données chiffrées sur la mortalité reste très compliqué, ajoute-t-il, expliquant par exemple que l'ONU est, pour l'Inde "dans l'attente des résultats sur les taux de mortalité par âge et sexes bases sur le SRS (Sample Registration System) car les dernières disponibles n’étaient que pour 2019".

... qui n'a aucun rapport avec la vaccination

Réseau international assure que la surmortalité observée est due à la vaccination anti-Covid, en tous cas pour sa plus grande part, soit 16,9 millions de personnes, puisqu'ils estiment que sur les plus de 23,6 millions de morts excédentaires, 6,7 millions sont dus au Covid.

Mais ce raisonnement est erroné, et comporte plusieurs limites. Premièrement, il faut rappeler que la surmortalité, en-dehors de tout événement exceptionnel, est un phénomène naturel qui a précédé le Covid, comme on le voit sur le tableau copié ci-dessous.

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Capture d'écran de tableaux de l'ONU

 

"Le nombre de décès pour toutes causes augmentait avant la crise sanitaire, et va continuer à augmenter simplement du fait de la croissance mondiale de la population et le vieillissement de ces cohortes plus nombreuses", explique Patrick Gerland de l'ONU. Ce qui n'empêche pas, par ailleurs, que l'on "projette sur le long terme une amélioration continue de l'espérance de vie pour tous les pays, et donc pour plus de personnes une vie plus longue". 

Pour 2020, on voit bien dans le tableau de l'ONU une augmentation bien plus forte que les autres années, de 5,2 millions (contre 0,6 millions entre 2019 et 2018). La différence est encore plus frappante en 2021, avec 11,3 millions de morts excédentaires.

Les chiffres de 2022 n'étant pas consolidés et donc pas interprétables, on arrive à un total de 16,5 millions de décès excédentaires sur 2020 et 2021.

Les premières campagnes de vaccination contre le Covid-19 dans le monde ont commencé très timidement en décembre 2020, mais uniquement dans une poignée de pays et pour les personnes les plus vulnérables. La vaccination s'est vraiment étendue à la population générale mi-2021, en France notamment.

Dans le monde, selon l'OMS, au 31 décembre 2021, 3,6 milliards de personnes dans le monde étaient pleinement vaccinées (contre plus de 5 milliards aujourd'hui).

"S'appuyer sur la surmortalité déclarée par l'OMS à partir de données brutes,  non ajustées, toutes causes confondues et qui ne tiennent pas compte des facteurs-clés comme le sexe, l'âge et la présence de comorbidité n'est pas une méthodologie que l'on utiliserait pour mettre en avant des effets indésirables liés à la vaccination anti-Covid", a mis en avant le 25 avril Mouna Hocie, chercheure en prévention des risques sanitaires au Cnam et  spécialiste dans l'évaluation des effets indésirables liés aux vaccins.  

L'experte met en avant que depuis le début de la vaccination, les effets secondaires du vaccin sont étroitement surveillés par toutes les autorités sanitaires et notamment les unités de pharmacovigilance, qui sont, elles, en charge de relever d'éventuels effets indésirables de la vaccination.

Une étude américaine publiée en janvier 2023 dans la revue Vaccine conclut à une absence de risque accru de mortalité hors Covid-19 parmi les personnes vaccinées, quel que soit le vaccin (Pfizer, Moderna et Janssen), par rapport aux personnes non-vaccinées.

Cette étude a été menée à une plus grande échelle que les études précédentes sur le sujet, puisqu’elle a porté sur plusieurs millions d’individus, 3% de la population américaine, sur une durée de plusieurs mois, entre décembre 2020 et août 2021.

Le taux de mortalité huit mois après le début de l’étude était de 0,76% pour les personnes ayant reçu une dose de vaccin, 0,66% pour celles ayant reçu deux doses, et 1,76% pour les personnes non-vaccinées.

Une surmortalité due principalement au Covid

Contrairement à ce qu'affirme Réseau International, il est faux de dire que seuls 6,7 millions seraient dus au Covid.

"La division démographique de l'ONU a collaboré avec l'OMS pour estimer le nombre de morts directement et indirectement attribuables au Covid", explique l'ONU dans  ce rapport consultable en ligne.

D'après l'OMS justement, si 6,9 millions de morts du Covid-19 ont été comptabilisés dans le monde au 25 avril 2023 depuis le début de la pandémie, selon cette page du site web de l'organisation internationale, "9,49 millions de morts en plus de ceux directement attribués au Covid" ont été comptabilisés depuis début 2020. 

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Capture d'écran du site de l'OMS le 25 avril. En rouge, les décès excédentaires enregistrés entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021, et en bleu les morts rapportés directement au Covid.

 

Selon ce communiqué de l'OMS de mai 2022, 14,9 millions de morts sur la période 2020-2021 peuvent être associés à la pandémie directement ou indirectement, "des décès indirectement liés au Covid attribués à d'autres problèmes de santé pour des personnes qui n'ont pas eu accès aux soins car les systèmes de santé étaient débordés par la pandémie".

Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, les catastrophes naturelles expliquent quant à elles 17.616 morts supplémentaires en 2020 et 14.150 en 2021, et les autres épidémies comme le choléra 287 morts en 2020 et 2.689 en 2021.

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Des affirmations similaires concernant la surmortalité observée en France en 2022 avaient déjà été démystifiées par l'AFP Factuel en janvier. Cette surmortalité française s'explique, selon l'Insee, par la poursuite de la pandémie et les canicules ainsi que par le vieillissement de la population. 

Des morts du Covid probablement encore sous-estimés

Plusieurs équipes de chercheurs dans le monde, y compris l’OMS, "convergent pour estimer entre 18 et 20 millions le nombre de décès réels du Covid en 2020 et 2021, et ces chiffres sont peut-être encore sous-estimés", a ainsi déclaré à l'AFP en décembre l'épidémiologiste Antoine Flahault.

Le nombre de décès du Covid reste sous-évalué dans de nombreux pays, notent régulièrement les experts.

Comme l'explique aussi des chercheurs de l'OMS dans un article (lien archivé ici) publié dans la revue Nature, dans certains pays les données sont parcellaires, voire inexistantes: "Pour près de la moitié des pays du monde, le suivi de la surmortalité n'est pas possible avec les données disponibles."

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

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