Non, les farines d'insectes autorisées par la Commission européenne ne sont pas dangereuses


Publié le lundi 17 février 2025 à 18:04

902876acdfb2c6d481bf8b5177d27989224caeb7-ipad.jpg

Le drapeau européen exposé à côté de l'ombre de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le 26 octobre 2024.

(ARMEND NIMANI / AFP)

Auteur(s)

Chloé RABS / AFP France

Le 20 janvier 2025, la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché d'un nouvel aliment : la poudre de ver de farine. Très vite, cette autorisation a fait ressurgir sur les réseaux sociaux des publications affirmant qu'il est dangereux pour l'homme de manger des insectes. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a toutefois écarté tout danger pour la santé humaine et - contrairement aux inquiétudes des internautes - la présence d'insectes sera bien spécifiée sur les emballages.

La Commission européenne a autorisé fin janvier la mise sur le marché d'une poudre de larves : le Tenebrio molitor ou "ver de farine" (lien archivé ici). Depuis le 10 février, il est donc possible d'utiliser ce nouvel aliment pour la fabrication de certains produits alimentaires comme le pain, le fromage ou encore la compote.

Sur une page "questions et réponses", la Commission européenne précise que l'autorisation concerne "la poudre traitée aux ultraviolets (UVB) obtenue à partir de larves entières de Tenebrio molitor  (ver de farine jaune), traitées thermiquement et broyées" (lien archivé ici).

En fonction du produit concerné, son utilisation est limitée à 4 grammes pour 100 grammes pour le pain et les gâteaux, à 1 gramme pour 100 grammes de fromage et à 3,5 grammes pour 100 grammes de compote.

Cette décision permet à un exploitant du secteur alimentaire précis - qui avait demandé ces autorisations - de mettre le produit sur le marché de l'Union européenne. Dans ce cas, la demande a été formulée par la société Nutri'Earth.

"Suite à une demande de la société Nutri'Earth sur de la poudre traitée aux UV de larves entières de Tenebrio molitor, le nouvel aliment a fait l'objet de l'évaluation scientifique rigoureuse par l'EFSA (Autorité européenne de sécurité alimentaire), qui a conclu que le nouvel aliment est sûr dans les utilisations et les niveaux d'utilisation proposés par le demandeur", explique la Commission européenne sur son site.

Plusieurs autorisations similaires ont déjà été délivrées ces dernières années par l'exécutif européen pour "le ver de farine jaune, le criquet migrateur, le grillon domestique, le petit ver de farine, ainsi que pour la poudre partiellement dégraissée obtenue à partir d'Acheta domesticus (grillon domestique) entier".

Mais, comme à chaque fois, cette nouvelle actualité a fait ressurgir sur les réseaux sociaux des publications affirmant qu'il y a un "danger" à manger des insectes. Parmi celles-ci, l'affirmation que la chitine - un composé présent dans les carapaces des insectes - "ne peut pas être traitée par nos intestins".

"Les insectes contiennent des chitines qui ne peuvent pas être traités par nos intestins. La chitine est un polysaccharide très appétissant pour le cancer, les parasites, les champignons et tout ce qui cause la maladie. La chitine fait partie de leur construction. Les insectes contiennent également des stéroïdes métamorphiques, en particulier l’ecdisterone. Ce n’est pas une nourriture de mammifère. Seuls les oiseaux peuvent transformer en toute sécurité la nourriture des insectes. Le système digestif des oiseaux est complètement différent du nôtre", peut-on ainsi lire sur les réseaux sociaux (1, 2, 3).

b08a572780d5f693c8e523bd62fc886db3cc90d9-ipad.jpg

Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 14/02/2025.

Cette même affirmation circule largement depuis l'été 2022 et a déjà fait l'objet de plusieurs articles de vérification de l'AFP ici et ici.

Contrairement à ce qui est partagé, la consommation de chitine n'est pas dangereuse pour l'homme, expliquent les experts interrogés par l'AFP.

La chitine équivalent des fibres

La chitine est le second biopolymère le plus abondant sur Terre après la cellulose (lien archivé ici). On en trouve dans les carapaces des insectes, mais aussi dans les crustacés, les champignons, les bactéries, les levures et les algues, et elle peut être utilisée comme engrais, comme additif alimentaire ou à des fins médicales, comme expliqué ici.

En 2022, Mareike Janiak - auteure d'un article scientifique sur les gènes des chitinases (les enzymes dégradant la chitine) publié en 2018 dans Molecular Biology and Evolution - expliquait déjà à l'AFP que même si la chitine n'était pas intégralement digestible, cela ne la rendait pas pour autant dangereuse pour la santé (lien archivé ici).

"Les biologistes ont longtemps pensé que les mammifères ne produisaient pas d'enzyme capable de décomposer la chitine, mais cela ne signifie pas qu'un insecte ne peut pas être traité par l'intestin", soulignait-elle.

Affirmer que les insectes ne sont "pas un aliment pour les mammifères" est ainsi "catégoriquement faux", avait expliqué la chercheuse. Selon ses recherches, "les humains possèdent un gène fonctionnel pour cette enzyme, il est donc possible que nous puissions réellement traiter la chitine dans nos intestins. Ceci dit, même si nous ne le pouvions pas, la chitine passerait simplement à travers notre organisme, tout comme la cellulose du céleri et d'autres légumes", avait-t-elle assuré.

En effet, la chitine "n'est que l'équivalent de fibres alimentaires que l'on retrouve dans les végétaux et qui peut s'apparenter à la cellulose", ajoute Patrick Borel, directeur de recherche à l'Inrae (lien archivé ici), interrogé le 13 février 2025 par l'AFP.

La cellulose, qui compose la paroi cellulaire de nombreuses plantes, ne peut pas être dégradée par le corps humain faute d'enzyme adéquate. Mais bien que certaines parties des légumes ne soient pas digestibles, les fibres insolubles qu'ils contiennent sont néanmoins bénéfiques (lien archivé ici).

"Dire que la chitine est dangereuse parce qu'on ne la digère pas, ce n'est pas un argument. C'est pareil pour les fibres alimentaires qui sont essentielles pour notre tube digestif, notre microbiote", ajoute Patrick Borel.

Une revue de la littérature publiée en 2021 dans le Journal of Functional foods indique de son côté que "la chitine contient 90,6 % des fibres alimentaires totales et peut être définie comme un composant alimentaire fonctionnel apportant des avantages particuliers aux aliments, par exemple en contribuant à la santé du côlon, des artères coronaires et à la réduction du cholestérol, entre autres" (lien archivé ici).

"Nous avons examiné les études sur la chitine et constaté que la consommation de chaque insecte évaluée jusqu'à présent ne soulevait pas de problème de sécurité", déclarait également en janvier 2023 à l'AFP l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui est responsable de l'évaluation de la sécurité de chaque produit avant sa mise sur le marché.

L'ecdystérone pas toxique

Les ecdystéroïdes sont les hormones stéroïdes des arthropodes, chez lesquels ils régulent la mue, la métamorphose et la reproduction. L'ecdystérone peut être utilisée pour améliorer les performances sportives et des recherches ont montré qu'elle inhibait la croissance de cellules cancéreuses.

René Lafont, professeur à l'Institut de biologie Paris-Seine de l'Université Sorbonne (lien archivé ici), expliquait déjà en 2022 que si "ces molécules sont effectivement présentes en petite quantité chez lesinsectes", elles le sont "en quantité bien plus importante chez des plantes (phytoecdystéroïdes) - dans certaines que nous consommons (épinards, quinoa) et qui représentent dans ce cas des quantités d’ecdystéroïdes bien plus importantes".

"Ces composés ne sont pas toxiques pour l’homme et possèdent même des propriétés anabolisantes et antidiabétiques intéressantes", soulignait-il.

"C’est effectivement une hormone qui est présente dans les insectes, mais il n'a jamais été démontré une toxicité de cette molécule chez l'homme. Il y a même des travaux qui suggéreraient qu'elle pourrait être bénéfique", ajoute de son côté Patrick Borel.

Le chercheur rappelle également que pour que l'autorisation de marché soit délivrée, les industriels doivent remplir un cahier des charges "extrêmement difficile", et fournir entre autres "des informations sur la consommation de l'insecte chez l'homme, que ce soit en Europe ou dans d'autres pays".

Si l'entomophagie, à savoir la consommation d'insectes, en Europe est encore très limitée, environ deux milliards de personnes dans le monde mangent en effet des insectes dans leur régime alimentaire, rappelle l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

A la question "le produit est-il sûr ?", la Commission européenne répond sur son site : "Oui. Les nouveaux aliments ne peuvent être autorisés que s'ils ne présentent aucun risque pour la santé humaine, sinon leur approbation n'aurait pas été soumise par la Commission aux États membres". Elle ajoute que la nouvelle farine autorisée a fait l'objet "d'une évaluation scientifique rigoureuse par l'EFSA".

Mention explicite obligatoire

Comme en 2023, certains internautes craignent que cette autorisation ait pour conséquence la possibilité pour les consommateurs de manger des insectes "à leur insu", comme ici.

Toutefois, comme lors des autres autorisations de mise sur le marché, tous les produits commercialisés qui contiennent cette poudre dans leur composition doivent le spécifier de manière explicite sur les emballages, à travers la mention "poudre de larves entières de Tenebrio molitor (ver de farine) traitée aux UV", décrit la Commission.

47d1e3610cea60510d6671ab45226bfa0191b156-ipad.jpg

Capture d'écran du site de la Commission européenne, réalisée le 14/02/2025.

Un point aussi confirmé par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes  (DGCCRF) en 2023, qui expliquait que ce type de réglementation concernant la "novel food" possède un encadrement précis : "Lorsqu'une autorisation est accordée au titre de la réglementation 'novel food', elle précise notamment la façon dont il doit être désigné, avec, dans le cas d’espèce, identification de l’insecte autorisé (le nom de l’insecte et son espèce apparaissent en clair dans la liste des ingrédients)."

Cette mention est d'autant plus nécessaire que ce nouvel ingrédient - comme tous les produits issus d'insectes - peut provoquer des réactions allergiques chez les consommateurs souffrant d'allergies connues aux crustacés et à leurs produits, ainsi qu'aux acariens.

"L'EFSA a conclu que la consommation des protéines d'insectes évaluées peut potentiellement entraîner des réactions allergiques. Cela peut notamment être le cas chez les sujets souffrant d'allergies préexistantes aux crustacés, aux acariens et dans certains cas aux mollusques. De plus, des allergènes provenant de l'alimentation (par exemple le gluten) peuvent se retrouver dans l'insecte consommé. L’autorisation de ce nouvel aliment clarifie donc cette question et établit des exigences spécifiques en matière d’étiquetage concernant l'allergénicité", détaille la Commission européenne dans sa foire aux questions.

Dès 2015, en France, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) avait aussi recommandé "la prudence aux consommateurs présentant des prédispositions aux allergies", indiquant que "les insectes et de nombreux arthropodes (acariens, crustacés, mollusques, etc.) possèd[e]nt des allergènes communs" (lien archivé ici).

A l'heure actuelle, la filière de la consommation d'insectes comme aliments représente "un marché de niche très restreint dans l'UE", précise la Commission, ajoutant qu'il existe actuellement "5 demandes d'autorisation concernant des insectes destinés à être commercialisés sous différentes formes, qui font l'objet d'une évaluation de sécurité par l'EFSA".

L'exécutif européen précise également qu'il appartient "aux consommateurs de décider s'ils veulent manger des insectes ou non".


© AGENCE FRANCE-PRESSE | 2024 | Tous droits réservés. L’accès aux contenus de l'AFP publiés sur ce site et, le cas échéant, leur utilisation sont soumis aux conditions générales d'utilisation disponibles sur : https://www.afp.com/fr/cgu. Par conséquent, en accédant aux contenus de l’AFP publiés sur ce site, et en les utilisant, le cas échéant, vous acceptez d'être lié par les conditions générales d'utilisation susmentionnées. L’utilisation de contenus de l'AFP se fait sous votre seule et entière responsabilité. 


Republication
Si vous êtes un média et souhaitez publier ce Fact-check sur votre site officiel, vous pouvez le faire en acceptant et dans le respect de ces Conditions générales d'utilisation. Après avoir accepté ces Conditions générales d'utilisation, vous pourrez télécharger le Fact-Check pour le publier sur votre site officiel.