Non, un document au logo de Pfizer ne prouve pas que ses vaccins anti-Covid contiennent du graphène


Non, un document au logo de Pfizer ne prouve pas que ses vaccins anti-Covid contiennent du graphène

Publié le mardi 11 avril 2023 à 11:13

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(AFP)

Auteur(s)

Manuela SILVA, Charlotte STEENACKERS, Gaëlle GEOFFROY, AFP Uruguay, AFP Pays-Bas, AFP France

Le laboratoire pharmaceutique américain Pfizer a réaffirmé que ses vaccins anti-Covid ne contenaient pas d'oxyde de graphène, après que des internautes ont prétendu le contraire en partageant des milliers de fois, dans plusieurs langues, un document estampillé du logo du groupe. Mais celui-ci, qui date de 2020 et vient d'être rendu public par l'agence sanitaire américaine FDA, ne fait que détailler l'expérience utilisée pour étudier le SARS-Cov-2, virus à l'origine du Covid. Cette expérience n'a rien à voir avec la composition du vaccin, elle-même déjà publique par ailleurs, ont souligné des experts auprès de l'AFP.

Des publications relayées en français sur Facebook affirment que la Food and Drug Administration (FDA), l'agence sanitaire américaine, "confirme que l’oxyde de graphène est dans les vaccins COVID-19 à ARNm après avoir été contraint de publier des documents confidentiels de Pfizer sur ordre de la Cour fédérale américaine [sic]", comme ici et ici. Certains relaient à l'appui un document estampillé du logo de Pfizer, comme dans cette publication.

Sur Twitter, ces affirmations infondées étaient relayées plusieurs milliers de fois à la date du 7 avril 2023:

df898af079185985791e79d9d47cf4ab8d01d039-ipad.jpgCapture d'écran d'un tweet réalisée le 7 avril 2023

ca8d6a5d18d566bb9d9868c642ac52f7e6f10288-ipad.jpgCapture d'écran d'un tweet réalisée le 7 avril 2023

Elles ont été partagées dans de nombreuse langues depuis la mi-mars, notamment en néerlandais, comme dans ce tweet renvoyant sur le site NineforNews. D'autres sites, comme le site Frontnieuws, se réfèrent au site suisse-allemand Uncutnews. Trois sites qui ont déjà fait l'objet d'article de vérification de l'AFP en néerlandais et en allemand, à lire ici, ici et ici.

Tous ces sites publient des articles similaires montrant un document au logo de Pfizer censé prouver que les vaccins anti-Covid du laboratoire pharmaceutique contiendraient de l'oxyde de graphène.

De telles affirmations infondées circulent aussi en anglais et ont été vérifiées par l'AFP en espagnol.

d5fdb4fec920433886e6d89fde40edd237d229bc-ipad.jpgCaptures d'écran de tweets néerlandais réalisées le 30 mars 2023

Qu'est-ce que le graphène ?

Composé de carbone pur, le graphène se présente sous forme de feuilles aussi fines qu'un atome, ce qui en fait le matériau le plus mince au monde, explique sur son site le programme européen consacré à ce matériau innovant Graphene Flagship (lien archivé ici). Il est pourtant 100 fois plus résistant que l'acier, est très flexible et le meilleur conducteur électrique connu. Il a été identifié en 1947, mais isolé pour la première fois en laboratoire en 2004 par le Russo-Britannique Konstantin Novoselov et le Russo-Néerlandais Andre Geim, récompensés par le prix Nobel de Physique pour leurs travaux.

Souvent qualifié de "matériau miracle", le graphène fait l'objet de recherches pour la fabrication de capteurs de très haute sensibilité, de dispositifs électroniques souples, notamment pour les voitures, avions, satellites. Il stocke très facilement l'énergie, ce qui en fait un matériau de choix pour les batteries de voitures. Il pourrait aussi avoir des débouchés dans la construction et la médecine, notamment comme vecteur pour les thérapies géniques, la médecine moléculaire et les vaccins.

L'oxyde de graphène est "une forme oxydée du graphène, dont la composition n'est pas clairement définie et varie beaucoup en fonction de la manière dont il a été préparé", a expliqué à l'AFP le 5 mars 2023 Emmanuel Flahaut (lien archivé ici), directeur de recherche au CNRS au Centre interuniversitaire de recherche et d'ingénierie des matériaux (Cirimat) à Toulouse.

Théories du complot

En raison de sa nouveauté et de ses potentialités, ce nanomatériau innovant fait régulièrement l'objet de théories du complot (lien archivé ici). L'AFP a déjà publié des articles de vérification sur des théories infondées à propos du graphène, dans plusieurs langues, comme ici, ici  ici ou encore ici.

Le graphène et ses dérivés sont-ils dangereux ? Les scientifiques planchent sur le sujet. Le programme européen Flagship Graphene (lien archivé ici), qui réunit 142 partenaires institutionnels dans 23 pays, est notamment chargé d'évaluer leurs risques potentiels sur la santé et l'environnement.

"Nos travaux ont démontré, au moins pour les échantillons sur lesquels nous avons travaillé, de la génotoxicité", a indiqué M. Flahaut. La génotoxicité est la capacité à provoquer des cancers et/ou des déficiences transmissibles au travers des générations.

Un article (lien archivé ici) paru dans le journal du CNRS en 2015, ainsi qu'un autre publié en 2022 dans l'Usine Nouvelle (lien archivé ici), faisaient le point sur l'état de la recherche et des connaissances sur la dangerosité possible du graphène.

Freedom of Information Act

Dans les publications relayées sur les réseaux sociaux est utilisé un document (lien archivé ici) présenté comme émanant de Pfizer et daté du 27 décembre 2020, téléchargé en février 2023 sur le site de l'ONG Public Health and Medical Professionals for Transparency (PHMPT) sous le titre "Structural and biophysical characterization of SARS-CoV-2 spike glycoprotein (P2 S) as a vaccine antigen" ("Caractéristiques structurelle et biophysique de la glycoprotéine 'spike' du SARS-CoV-2 comme antigène de vaccin"). Selon les internautes qui le relaient, il prouverait que les vaccins contre le Covid de Pfizer contiennent de l'oxyde de graphène. 

L'ONG a pu accéder à ce document dans le cadre du Freedom of Information Act (lien archivé ici),  une loi américaine de 1967 qui permet à tout citoyen de demander un accès aux documents des agences fédérales américaines. Initialement, lahttps://www.fda.gov/ FDA (lien archivé ici) - qui ne conteste pas cette législation - avait proposé de publier au rythme de 500 pages par mois, expliquant que cette opération à grande échelle prenait du temps, mais cela aurait voulu dire que rendre public l'ensemble des documents dont elle dispose aurait pris 75 ans. L'ONG PHMPT ayant réclamé une publication plus rapide, un juge du Texas a ordonné à la FDA début janvier 2022 qu'elle publie ces documents au rythme de "plus de 12.000 pages" avant le 31 janvier 2022, puis à celui de "55.000 pages tous les 30 jours" à partir du 1er mars 2022.

Document mal interprété

Contacté par l'AFP, un porte-parole de Pfizer a confirmé par email que "l'oxyde de graphène n'est pas utilisé dans la production du vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19", renvoyant à la "liste complète" de ses ingrédients (lien archivé ici) disponible sur le site de l'Agence européenne du médicament (EMA).https://perma.cc/M3JV-2X9N

L'information sur la composition des vaccins que Pfizer produit est aussi publique sur le site internet de la FDA (lien archivé ici).

Le laboratoire n'a toutefois ni confirmé ni infirmé l'authenticité du document relayé sur les réseaux sociaux: "Nous ne pouvons pas vérifier ou authentifier aucun document apparaissant en ligne/sur les réseaux sociaux", a déclaré le porte-parole.

Les fausses publications mettent en avant la présence du terme "oxyde de graphène" à la page 7 du document, après le sous-titre "Cryo-EM of P2 S", comme on peut le voir ci-dessous (nous avons encadré en rouge ce terme):

f37e27f5fe6394291ff5d723c9bd7be0d7ec16d7-ipad.jpgCapture d'écran, réalisée le 7 avril 2023, de la page 7 du document Pfizer mal interprété sur les réseaux sociaux

Il est écrit à cet endroit précis: "For TwinStrep-tagged P2 S, 4 μL purified protein at 0.5 mg/mL were applied to gold Quantifoil R1.2/1.3 300 mesh grids freshly overlaid with graphene oxide" ("Pour le P2 S marqué TwinStrep, 4 μL de protéine purifiée à 0,5 mg/mL ont été appliqués sur des grilles dorées Quantifoil R1.2/1.3 300 fraîchement recouvertes d'oxyde de graphène").

Mais des experts ont expliqué à l'AFP que cette phrase ne concernait une technique utilisée pour étudier le virus SARS-CoV-2, et pas la composition du vaccin de Pfizer.

Gideon Kersten (lien archivé ici), professeur en développement des vaccins à l'université de Leyde, aux Pays-Bas, a confirmé à l'AFP dans un mail du 31 mars 2023 qu'"il n'y a pas d'oxyde de graphène dans les vaccins (ou n'importe quel vaccin que ce soit à ma connaissance)".

De même, pour Santiago Mirazo, docteur urugayen en biologie et virologue (lien archivé ici), cette partie du document détaille une méthodologie communément utilisé en biologie, biophysique et biochimie, dénommée cryomicroscopie électronique (lien archivé ici), une technique d'imagerie de très haute résolution (lien archivé ici), a-t-il expliqué à l'AFP.

Dans le cas précis de ce document, elle a été utilisée pour déterminer la structures de la protéine S, ou protéine spike, -encore appelée protéine de pointe- qui permet au SARS-CoV-2 de pénétrer dans les cellules (lien archivé ici) de l'organisme.

"De très petites grilles d'oxyde de graphène sont utilisées, sur lesquelles la protéine est placée puis la microscopie électronique utilisée. Il a été démontré que ce matériel améliore la capacité à définir cette structure, pas seulement la protéine Spike, mais n'importe quelle protéine", a expliqué M. Mirazo. 

Il souligne que l'étape de la caractérisation de la protéine en laboratoire "est éloignée de celle de la production de l'ARN messager, qui évidemment n'utilise pas ces grilles d'oxyde de graphène. Non seulement [les vaccins, NDLR] ne contiennent pas d'oxyde de graphène, mais ils ne peuvent même pas contenir de traces ou en contenir après une éventuelle contamination croisée issue de ce test. En d'autres termes, il s'agit de choses absolument indépendantes".

Nicolás Torres, du Laboratoire d'immunopathologie d'IBYME-CONICET en Argentine (lien archivé ici), confirme: joint le 21 mars 2023, il souligne qu'en plus de l'oxyde de graphène, des particules d'or ou d'autres composants peuvent être utilisés, "mais cela fait partie de la méthode et n'a rien à voir avec la composition du vaccin".

L'Agence européenne du médicament (EMA), basée aux Pays-Bas, n'a pas été en mesure de commenter auprès de l'AFP le document lui-même. Mais elle n'a "recensé à partir de ses évaluations ou des études en cours aucune preuve crédible du fait qu'un vaccin contre le Covid-19 soit contaminé avec de l'oxyde de graphène, qui n'est pas un excipient reconnu en médecine", a souligné le porte-parole de l'EMA Alessandro Faia dans un email du 29 mars 2023.

"La qualité, y compris la composition, des vaccins autorisés est établie de manière satisfaisante et est surveillée continuellement et avec attention en vertu de législation européenne", a-t-il ajouté. "Chaque lot de vaccin est soumis à un contrôle indépendant réalisé par un laboratoire de contrôle médical d'un Etat membre" (lien archivé ici), a ajouté M. Faia.

Protéine spike

Le document devenu viral sur les réseaux sociaux date "de 2020, ce qui montre les premières étapes de production du vaccin et c'est précisément l'étape primordiale de ce développement", explique en outre M. Mirazo, et il montre que la protéine spike est "correcte dans sa structure et sa fonction". Ce qu'a confirmé auprès de l'AFP le professeur Kersten aux Pays-Bas.

En France, neuf vaccins contre le Covid-19 sont autorisés à ce jour (lien archivé ici), dont quatre à ARN messager, parmi lesquels trois de Pfizer et BioNTech.

9165d97d23db1a4b49c7d6b69bccaaa06220b283-ipad.jpgInfographie de l'AFP du 18 février 2021 sur l'ARN messager

Alors que les vaccins classiques cherchent à habituer l'organisme à un virus, en introduisant directement celui-ci dans le corps, sous forme atténuée ou désamorcée, ceux à ARN messager, apparus avec la crise du Covid-19, fonctionnent différemment: ils se concentrent sur une petite partie du virus - dans le cas du SARS-CoV-2, la protéine spike - et visent à injecter dans l'organisme des instructions génétiques ordonnant au corps de fabriquer cette protéine.

Inoffensive en elle-même, cette "spicule" du coronavirus est ensuite détectée par le système immunitaire qui va produire des anticorps contre le SARS-CoV-2.

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