Sur TikTok, attention à la folie "Ozempic" qui pousse des millions de personnes à prendre un antidiabétique pour perdre du poids


Sur TikTok, attention à la folie "Ozempic" qui pousse des millions de personnes à prendre un antidiabétique pour perdre du poids

Publié le lundi 27 février 2023 à 10:40

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Photo prise à Paris le 23 février 2023 de l'antidiabétique "Ozempic" produit par le laboratoire danois "Novo Nordisk".

(AFP / JOEL SAGET)

Auteur(s)

Julie PACOREL, AFP France

L'Ozempic, un antidiabétique en stylo injectable, est très efficace pour réguler la glycémie, mais aussi pour faire perdre du poids. Cette propriété amaigrissante lui vaut un succès mondial auprès de personnes non-diabétiques, qui l'utilisent donc hors de son indication, et en font une promotion effrénée sur TikTok. Un phénomène qui a produit des pénuries dans certains pays, et inquiète les médecins, d'autant que dans certains pays sa molécule est aussi autorisée à la vente pour traiter l'obésité. Car l'Ozempic a aussi des effets secondaires potentiellement graves, mettent en garde les experts interrogés par l'AFP. Des risques qui selon eux sont trop importants pour ceux qui veulent juste perdre quelques kilos superflus et n'en tirent donc aucun bénéfice thérapeutique.

"Perdre 40 kilos en moins de trois mois, c'est possible grâce à la peptide sémaglutide (...) mieux connu sous le nom de Ozempic", vante un usager de TikTok français en décembre sur une vidéo vue près de 50.000 fois. "C'est un miracle", "Ozempic, ne retenez que ce nom": sur TikTok la promotion de l'Ozempic, ou sémaglutide (sa molécule) pour perdre du poids fait un carton. Fin février, le #Ozempic avait généré plus de 500 millions de vues.

Dans le monde entier, des hommes et femmes décrivent des pertes de poids spectaculaires: 7 kilos en une semaine, 24 kilos en 4 mois... Dans cette vidéo par exemple, la tiktokeuse explique: "j'ai toujours eu tendance à prendre du poids et après mes deux grossesses j'en ai pris 30 [kilos, ndlr], j'arrive pas à les perdre". Elle poursuit, face caméra: "donc je vais au docteur [sic] pour qu'il me donne un médicament pour maigrir et il me donne ça", en montrant une boîte d'Ozempic, un antidiabétique en stylo injectable.

Comme beaucoup d'autres internautes, elle s'est lancée dans un "Ozempic challenge" aussi nommé "Ozempic journey", consistant à documenter semaine après semaine sa perte de poids. Elle apparaît tout sourire quelques semaines plus tard: "cette jupe, après la naissance de ma fille, je ne pouvais plus la mettre, aujourd'hui je la mets avec une ceinture, donc je suis trop contente, les effets ils se voient vraiment jour après jour!".

4c1e73413f6868b430cf796827e2429f60b61e9a-ipad.jpgCapture d'écran de Tiktok le 24 février

Qu'est-ce qu'Ozempic ?

Ozempic est un antidiabétique injectable à base de sémaglutide, une molécule qui agit en se fixant sur les récepteurs de l'hormone appelée glucagon-like peptide-1 (GLP-1), qui a un rôle dans le contrôle de la glycémie.

Le diabète se caractérise par une hyperglycémie chronique, c’est-à-dire un excès de sucre dans le sang et donc un taux de glucose (glycémie) trop élevé. 

Selon le Vidal, le dictionnaire des médicaments, Ozempic "stimule la libération d'insuline lorsque le taux de glucose dans le sang est élevé. Il ralentit également la vidange de l'estomac et diminue la sécrétion du glucagon". Il est utilisé dans le traitement du diabète de type 2 chez l'adulte, en association avec d'autres hypoglycémiants, y compris l'insuline, "lorsque ces antidiabétiques associés au régime alimentaire et à l'exercice physique se sont montrés insuffisants pour contrôler le diabète". 

Selon Jean-François Thébaut, vice-président de la Fédération française des diabétiques, interrogé par l'AFP le 20 février, le sémaglutide fait partie d'"une nouvelle classe thérapeutique de médicaments extrêmement efficaces pour équilibrer le diabète". Par rapport aux précédents traitements du diabète, selon M. Thébaut, "pour la première fois on a une diminution des complications cardio-vasculaires liés au diabète, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent".

Même si ce n'est pas sa première fonction, le sémaglutide fait aussi maigrir, confirme M. Thébaut, "même si c'est dû à des effets secondaires pas très agréables comme les nausées, le manque d'appétit, les difficultés de digestion". C'est aussi le cas d'autres antidiabétiques comme le Trulicity (duaglutide), avec lequel il a lui-même "perdu 15 kilos", "mais surtout, pour le sémaglutide, cette perte de poids a été confirmée par des études", explique M. Thébaut.

C'est bien cet effet amaigrissant qui intéresse de nombreux influenceurs et internautes, qui le mettent en avant comme "révolutionnaire", même si certains avertissent tout de même: "ne prenez pas ce médicament sans l'avis de votre médecin".

Des ordonnances falsifiées

Interrogé par l'AFP le 8 février, la filiale française du laboratoire danois Novo Nordisk, qui commercialise Ozempic en France, s'est dit "conscient de la mise en avant par des tiers sur les réseaux sociaux d’un usage d’Ozempic en dehors de son autorisation de mise sur le marché". "Novo Nordisk n’encourage pas et ne promeut pas l’utilisation de ses médicaments en dehors des indications pour lesquelles ils sont autorisés".

La communication du siège de Novo Nordisk, au Danemark, a elle aussi répondu à l'AFP le 23 février en indiquant que le groupe ne "promeut, ne suggère ou n'encourage pas d'utilisation hors indication de ses médicaments, même si nous reconnaissons que les médecins ont la liberté de prescrire au-delà de la population visée".

En France, l'Ozempic ne peut être délivré en pharmacie qu'avec une ordonnance d'un médecin. Il est ensuite remboursé à 30% par l'Assurance maladie, et même à 100% si le patient est diabétique, car le diabète est une affection longue durée (ALD).

C'est d'ailleurs l'objet de beaucoup de commentaires des vidéos TikTok: "Bonjour, juste 1 question, comment as tu aborder [sic] ton médecin pour ce traitement stp?" demande une tiktokeuse, tandis qu'une autre déplore : "J'ai demandé à mon médecin cet APM de m'en marquer. J'ai eu un refus catégorique. Il n'y a pas suffisamment de recul pour lui".

Un médecin soulève justement cette question de la prescription sur Twitter le 22 février, sans nommer l'Ozempic: "La semaine dernière une patiente est venue me voir avec ces mots: 'Je voudrais perdre du poids, j'ai besoin d'une prescription pour X' (...) X est un médicament contre le diabète qui coûte cher. Il a comme effet secondaire notable de faire perdre quelques kilos". Le médecin raconte son "dialogue de sourds" avec la jeune patiente, qu'il interroge sur ses habitudes alimentaires mais qui "n'est intéressée par aucune autre proposition: c'est X ou rien".

9eb0f59513ef548d9e92bbdc4b224f41340f6d27-ipad.jpgCapture d'écran de Twitter le 23 février

Les autorités de santé se sont emparées du sujet fin 2022 et ont alerté les médecins: l'ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a demandé en septembre aux prescripteurs de  "respecter strictement l'indication de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) et de ne prescrire ces médicaments qu’aux patients atteints de diabète de type 2" et aux pharmaciens: "conseillez aux patients qui disposent d’une prescription d’Ozempic ou Trulicity que vous ne pouvez délivrer de se rapprocher de leur médecin. Si nécessaire, celui-ci pourra leur proposer une alternative adaptée à leur profil". 

Le professeur en pharmacologie médicale Jean-Luc Faillie, en charge de la pharmacovigilance - le suivi de la sécurité - du sémaglutide,  assure à l'AFP lors d'une interview le 10 février que des pharmaciens ont aussi vu passer "des ordonnances falsifiées, utilisées par plusieurs personnes". "Ca été le cas notamment en Occitanie, et ça peut faire évoquer une sorte de trafic", pointe-t-il. Selon un article du quotidien régional La Manche Libre, la police a interpellé mi-février un homme suspecté de revendre de l'Ozempic dans les pays de l'Est.

Malgré ces remontées du terrain, dans un mail à l'AFP le 9 février, l'ANSM assure que "à ce stade et dans le cadre du suivi des données de vente par l'ANSM, les ventes d'Ozempic augmentent de façon progressive depuis sa commercialisation (mi-2019), les courbes sont cohérentes avec une mise sur le marché d'un nouveau médicament".

Pour l'agence nationale, "il n'existe pas de pic particulier ou hausse brutale ces derniers mois de la consommation en France ni de variations saisonnières pouvant suggérer une utilisation hors AMM pour amaigrissement".

Des "tensions d'approvisionnement" dues à l'engouement

Même si le mauvais usage d'Ozempic en France semble encore marginal, l'ANSM remarque toutefois des "tensions d'approvisionnement" depuis la mi-septembre, "dues à une augmentation de la demande mondiale et notamment de la demande aux USA".

Des tensions confirmées à l'AFP par le laboratoire, dont la filiale française admet que sa "capacité d'approvisionnement actuelle ne répond pas toujours à cette demande excédentaire", déplorant "une disponibilité intermittente et des ruptures de stock périodiques".

Si la France ne connaît pas encore à proprement parler de "pénurie", d'autres pays en ont été victimes, comme l'Australie, qui manque d'Ozempic depuis début 2022. De nouvelles doses commencent de nouveau à être livrées début 2023, selon le gouvernement australien, qui communique sur son site internet à ce sujet.

L'Australie impute la pénurie qu'elle a subie "à une hausse inattendue de la demande en raison de prescriptions hors indication pour perdre du poids". "Fabriquer l'Ozempic requiert un processus complexe pour produire du sémaglutide, aux moyens d'un équipement unique dans une seule usine, ce qui signifie que le rétablissement de l'approvisionnement pour une pénurie mondiale prend du temps", précise le gouvernement australien. Le principe actif du sémaglutide est fabriqué au Danemark, confirme le laboratoire.

Début février, Novo Nordisk, qui est aussi numéro un mondial de l'insuline, a publié un bénéfice net pour 2022 en hausse de 16%, qu'il doit notamment à l'Ozempic, dont les ventes ont enregistré une hausse de 61% en 2022. En 2023, Novo Nordisk a investi 3,6 milliards de dollars pour augmenter ses capacités de production, a indiqué le groupe à l'AFP. 

Car outre la forte demande d'Ozempic à travers le monde, le laboratoire doit aussi produire du semaglutide pour un autre médicament, le Wegovy, pour lequel il a déposé des demandes d'autorisation dans le traitement de l'obésité (une autorisation obtenue en 2021 aux Etats-Unis). "Bien qu'Ozempic et Wegovy contiennent tous les deux du semaglutide, ils ne sont pas le même produit et ne sont pas interchangeables", a assuré Novo Nordisk à l'AFP. Selon toutes les sources interrogées par l'AFP, la principale différence entre les deux spécialités tient dans son dosage (plus fort pour Wegovy).

Wegovy est actuellement commercialisé aux Etats-Unis, en Norvège et au Danemark. Bien qu'en théorie, il soit réservé, en complément d'un régime alimentaire et d'une activité physique accrue aux personnes obèses avec un IMC (indice de masse corporelle) de plus de 30 et avec au moins une maladie associée à cette obésité, il est largement promu lui aussi sur les réseaux sociaux, notamment américains, pour perdre quelques kilos "superflus".

7b750b3dc7f02d5a6fa1553be055a8921482ff38-ipad.jpgCapture d'écran de TikTok le 24 février

Le milliardaire Elon Musk en a lui-même fait la promotion sur Twitter, quand une internaute lui demandait quel était son secret pour mincir: "Faire un régime + Ozempic/Wegovy + pas d'aliment appétissant près de moi".

En France, Wegovy a aussi obtenu une autorisation de mise sur le marché fin décembre, "dans l'obésité avec un IMC sup à 30 ou sup à 27 si associé à un facteur de comorbidité, mais n'est pas encore commercialisé", précise l'ANSM à l'AFP. Pour le moment, il est uniquement délivré de manière exceptionnelle, avec une procédure dérogatoire contraignante, pour les patients très obèses (IMC supérieur à 40) avec une maladie associée (hypertension, apnée du sommeil, maladie cardio-vasculaire).

Pour la spécialiste de l'obésité Karine Clément, de l'Inserm,  interrogée par l'AFP le 22 février, "Wegovy a montré lors des effets cliniques une efficacité assez intéressante, avec une perte de poids de 10% sur un an". Pour elle ce médicament constitue "une nouvelle corde à l'arc de la lutte contre l'obésité", mais ne peut en aucun cas suffire: "La prise en charge de l’obésité doit être globale, comportementale, parfois psychologique". 

"C’est comme pour l’hypertension artérielle : ça ne choque personne qu’il y ait une combinaison de médicaments agissant sur des facteurs biologiques différents mais qu’on demande aussi aux patients d’arrêter de fumer, de limiter la consommation ou sel ou d’essayer de perdre du poids", explique-t-elle.

Quand Wegovy sera accessible à un plus grand nombre de patients, insiste la spécialiste, "il faudra bien cadrer sa prescription, être vraiment prudent car il ne s’agit pas d’un médicament ‘magique’, comme toujours dans l’obésité il doit être accompagné d’une prise en charge globale".

Troubles biliaires, cancer de la thyroïde...

La prise de sémaglutide est en général de longue durée (plusieurs mois ou années), car son effet amaigrissant s'arrête avec l'arrêt du traitement, qui s'accompagne souvent d'une reprise de poids. "Dès qu’on l’arrête on regrossit", assure M. Thébaut de la Fédération des diabétiques.

De ce fait M. Thébaut craint, à l'arrivée sur le marché français de Wegovy, une "ruée" sur le sémaglutide qui compromettrait les chances des diabétiques de se le procurer.

Pour le Pr Faillie, en charge de la pharmacovigilance de la molécule, "le point crucial c’est que ce médicament est utilisé dans le diabète, avec des bénéfices sur la réduction des complications du diabète. Dans le cas de l’obésité pour l’instant on n’a pas encore les résultats sur la réduction des complications, c’est pour ça qu’il faudrait plutôt réserver ce médicament aux gens très obèses qui vont potentiellement bénéficier d’un effet thérapeutique important, dans ces cas-là on va accepter de courir des risques liés au médicament".

Car prendre du sémaglutide n'est pas anodin: sur TikTok, nombreux sont ceux qui se plaignent d'effets secondaires pénibles, essentiellement d'ordre digestifs: un dégoût pour certains aliments, des nausées, de la fatigue, des brûlures d'estomac, des "vertiges dès le réveil"...

Des effets secondaires "sous-notifiés" selon le Pr Faillie, qui consulte les déclarations des CRPV (Centres régionaux de pharmacovigilance), "c'est le problème [de l'usage] 'hors des clous': ni les patients ni les prescripteurs ne sont motivés pour déclarer" d'éventuels effets secondaires.

Selon lui, "il existe aussi des risques plus rares mais plus graves comme des pancréatites aigües, qui peuvent survenir même à doses faibles, des troubles biliaires, de rares cas de constipation sévère qui peuvent conduire à l'obstruction intestinale", relève-t-il, pointant aussi un "risque accru de cancer de la thyroïde" après plusieurs années de traitement.

"Dans l’attente de preuves d’un bénéfice clinique démontré au-delà de la simple perte de poids (qui ne perdure pas à l’arrêt du traitement) et des risques potentiellement graves d’un traitement prolongé, la SFPT ne peut recommander l’utilisation des agonistes des récepteurs au GLP-1 en tant que produit amaigrissant", conclut ainsi la Société française de pharmacologie et de thérapeutique 

Sur les réseaux, des internautes s'interrogent: et si l'Ozempic était "le nouveau Mediator"? Commercialisé comme antidiabétique en 1976 mais aussi prescrit indûment comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, le Mediator a entraîné de graves effets cardiovasculaires chez des milliers de patients, dont certains sont décédés.

Le professeur Faillie se veut rassurant: "On a tous en tête le Mediator, mais on n’est pas exactement dans la même configuration parce qu’on a plus de recul sur cette classe pharmacologique, qui a montré des effets bénéfiques dans le diabète et des risques maîtrisés, même s’il y a toujours des incertitudes notamment chez les patients obèses sur le long terme".

"Il faut être prudent sur les effets indésirables parce que ce sont des médicaments qui seront pris à une dose supérieure que dans le diabète, pour une durée longue, car on est sur un traitement chronique de l’obésité, et qui va être diffusé largement car l’obésité est un problème de santé publique majeur", redoute le Pr Faillie. 

"C’est pour ça qu’il faudrait plutôt réserver ce médicament aux gens très obèses qui vont potentiellement bénéficier d’un effet thérapeutique important, dans ces cas-là on va accepter de courir des risques liés au médicament, là où c’est très tendancieux c’est que si on l’utilise pour un petit surpoids ou pour perdre quelques kilos, là le bénéfice thérapeutique thérapeutique est nul, c’est juste de l’esthétique alors que les risques sont toujours présents".

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