Un drapeau noir symbolisant "un appel à la guerre" hissé "pour la première fois de l'histoire" en Iran ? C'est faux


Publié le lundi 23 octobre 2023 à 15:19

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Juliette MANSOUR / AFP France

La frappe meurtrière sur l'hôpital Ahli Arab de la ville de Gaza le 17 octobre 2023, dont Israël et les Palestiniens se rejettent la responsabilité, a soulevé un vent de colère au Moyen-Orient. Dans ce contexte, de nombreux internautes ont soutenu qu'un drapeau noir hissé par l'Iran sur un mausolée de la deuxième ville du pays au lendemain du tir serait "une première dans l'histoire" et signifierait un "appel à la vengeance ou à la guerre" annonçant un embrasement du conflit dans la région. Mais ce fanion noir est régulièrement arboré lors de fêtes religieuses chiites et occasionnellement hors de ces festivités, et symbolise une période de deuil, ont expliqué trois iranologues à l'AFP.

Le 17 octobre 2023, un tir a visé l'enceinte de l'hôpital Ahli Arab de la ville de Gaza, dont Israël et les Palestiniens se rejettent la responsabilité, provoquant un tollé international.

Cette frappe a fait au moins 471 morts parmi des déplacés du conflit qui s'abritaient dans l'enceinte de l'hôpital, selon le ministère de la Santé du territoire palestinien contrôlé par le Hamas. Probablement beaucoup moins, a toutefois affirmé un haut responsable européen du renseignement à l'AFP, qui évalue à "quelques dizaines" le nombre de morts. Un porte-parole de l'armée israélienne a également contesté le nombre de 471 morts avancé par le Hamas.

Les photos et vidéos de l'AFP montrent des dizaines de corps dans des draps, des sacs mortuaires noirs ou sous des couvertures.

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Des personnes se rassemblent le 18 octobre 2023 près des corps des victimes décédées lors d'une attaque nocturne sur l'hôpital Ahli Arab, dans la ville de Gaza.

Mahmud Hams / AFP

 

Israël pilonne la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 en riposte à l'attaque sanglante lancée sur son sol par le mouvement islamiste palestinien Hamas, qui a tué plus  1.400 personnes, en majorité des civils fauchés par balles, brûlés vifs ou morts de mutilations au premier jour de l’attaque des combattants à partir de Gaza. 

L'Iran avait applaudi cette attaque d'une ampleur sans précédent, tout en soutenant ne pas être impliqué dedans.

Selon l’armée israélienne, environ 1.500 combattant du Hamas ont été tués dans la contre-offensive ayant permis à Israël de reprendre le contrôle des zones attaquées.  

Dans la bande de Gaza, plus de 3.700 Palestiniens, majoritairement des civils, ont été tués dans les bombardements incessants menés en représailles par l’armée israélienne, selon le ministère de la Santé du Hamas à Gaza.

Un million de Gazaouis, selon l'ONU, ont aussi fui les bombardements, gagnant pour beaucoup le sud de la bande de Gaza, après l'appel à évacuer le nord lancé par l'armée israélienne.

Au lendemain de la frappe sur l'hôpital et malgré le démenti d'Israël, des milliers de personnes ont manifesté à travers le monde arabe exprimant leur indignation. Dans ce contexte, des publications virales ont assuré que l'Iran aurait lancé en réponse un appel à la guerre à travers un geste symbolique.

"FLASH : Pour la première fois dans l'histoire, un drapeau noir est hissé sur le sanctuaire de l'Imam Reza en #Iran. Symbolisme dans la tradition historique islamique de guerre ou de vengeance", a affirmé un message en français sur X (ex-Twitter) publié le 18 octobre 2023.

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Montage composé de captures d'écran prises par l'AFP sur différents comptes X (ex-Twitter) le 19/10/2023

 

Des affirmations similaires ont circulé en anglais et en espagnol

Que signifie ce drapeau ?

Au lendemain du tir sur l'hôpital de la ville de Gaza, l'agence de presse iranienne Tasnim rapporte, dans un article en anglais, que le gouvernement iranien a déclaré le 18 octobre comme un jour de "deuil public", "suite aux crimes commis par Israël contre les civils palestiniens". 

A cette occasion, l'agence a également précisé , dans un article en persan, que la fondation caritative Astan Quds Razavi, qui entretient le mausolée de l'imam Reza situé dans la ville de Mashad, dans le nord-est de l'Iran, a hissé un drapeau noir sur le haut de sa principale coupole. Il n'est pas précisé combien de temps le drapeau restera suspendu.

Le mausolée de l'Imam Reza est un complexe religieux sacré pour les musulmans chiite - l'un des deux principaux courant de l'islam ompniprésent en Iran - et un haut-lieu de pélerinage religieux.  Il a été construit sur la tombe du huitième imam des Douze Chiites, l'imam Reza. 

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Rassemblement au sein du mausolée de l'imam Reza, le 1er octobre 2023.

ATTA KENARE / AFP

 

Mais contrairement à ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, ce n'est pas la "première fois de l'histoire" que ce drapeau est hissé en haut du mausolée et il n'appelle pas "la vengeance ou la guerre". 

"Factuellement, le fanion noir n'équivaut pas à une déclaration de guerre, c'est un signe de deuil. Il est très important pour les Chiites duodécimains, c'est-à-dire l'immense majorité des Iraniens. Il est normalement hissé chaque année sur le mât de la mosquée de l'imam Reza pendant l'Achoura [événement religieux en islam] et en particulier dans le contexte du Muharram, mois de deuil, un moment clé pour la fondation de la branche chiite de la religion islamique", a expliqué le 17 octobre à l'AFP Pierre Pahlavi, directeur adjoint du Département des études de la défense du Collège des Forces canadiennes, spécialiste de politique étrangère et des stratégies d'influences de la République islamique d’Iran.

"Habituellement, le drapeau noir est hissé dans les mosquées et brandi dans les processions pendant la cérémonie du Muharram, qui en Iran, commémore le martyr de l'Imam Hussein", petit-fils de Mahomet et l’une des figures saintes les plus vénérées dans l’islam chiite, a encore précisé auprès de l'AFP le 19 octobre Thierry Coville chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'Iran.

La presse iranienne a régulièrement raconté que le drapeau avait été hissé selon cette tradition, comme en 2019 dans cet article

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Capture d'écran d'un article d'août 2019 de l'agence de presse iranienne irna prise le 20/10/2023

 

Sur Google Maps, des photos, comme celle ci-dessous, montrent également le drapeau noir flotter en haut de la coupole du mausolée de l'Imam Reza.

En revanche, voir ce drapeau flotter comme actuellement, hors des festivités du Muharram et l'Achoura terminées en août 2023, est beaucoup plus rare, soulignent les spécialistes.

L'agence de presse iranienne Tasnim expliquait dans son article que c'est "suite à la tragédie humaine et au deuil de tous, en particulier des musulmans du monde" que  le sanctuaire a pris le 18 octobre 'une couleur de deuil, et dans quelques jours, une cérémonie d'intercession y aura lieu" alors que, selon l'agence, "les crimes commis par le régime israélien ces derniers jours ont atteint leur paroxysme mardi soir, et des centaines de Palestiniens réfugiés à l'hôpital Al-Ahli, au centre de Gaza, ont été visés par des attaques sionistes".

L'Iran continue ainsi d'imputer la frappe de l'hôpital à Israël, malgré son démenti.

"Le fanion peut être hissé en dehors de ces festivités, dans des périodes exceptionnelles et dramatiques pour marquer une période de deuil, et c'est précisément la signification qu'il faut y voir aujourd'hui. C'est un message à la fois de solidarité envers les victimes civiles de l'hôpital de Gaza et politique pour dire que l'Iran est le porte-étendard de la cause palestinienne", estime Pierre Pahlavi.

"Mais on est dans le registre symbolique et rhétorique, il n'y a pas un processus institutionnel qui est enclenché par le hissage de ce drapeau. En pleine guerre des mots et des images, c'est un message de plus destiné aux Musulmans et aux Arabes à travers le monde pour dire qu'avec cet acte qui déroge de la tradition normale, ils lancent un message de solidarité", ajoute l'iranologue.

Les spécialistes soulignent que si ce fanion noir venait à être remplacé par un fanion rouge, il prendrait alors une autre signification.

Un drapeau rouge (couleur du sang des martyrs), également hissé très fréquemment en Iran lors du mois de Muharram, avait ainsi été utilisé de manière exceptionnelle après la mort en janvier 2020 du commandant le plus populaire d'Iran, le général Qassem Soleimani, par une frappe aérienne américaine. " Il pouvait alors y avoir une signification de vengeance par rapport à Soleimani mort en martyr", indique Thierry Coville. 

Pour autant, même dans ce cas de figure, "ce fanion rouge n'avait pas enclenché une escalade et ouvert une guerre ouverte conventionnelle. l'Iran avait continué de mener une guerre de l'ombre", analyse Pierre Pahlavi.

Menaces de l'Iran

Téhéran a averti à plusieurs reprises qu'une invasion terrestre de la bande de Gaza entraînerait une riposte sur d'autres fronts, faisant craindre un embrasement régional.

L'Iran est un soutien de longue date du Hamas, pointent les experts. "Ils ont fourni des armes et entraîné le Hamas. Là où persiste un doute, c'est sur une implication directe des autorités iraniennes et des organisations paramilitaires iraniennes dans l'opération "Déluge d'Al-Aqsa" et jusqu'à preuve du contraire, on ne peut l'affirmer", pointe Pierre Pahlavi. 

"La position officielle des dirigeants est de saluer l'action du Hamas tout en disant qu'ils n'ont pas participé à cette attaque", souligne Thierry Coville.

Le 18 octobre, le président iranien Ebrahim Raïssi a estimé que la frappe sur un hôpital allait se retourner contre Israël et son allié américain."Les flammes des bombes américano-israéliennes, larguées ce soir sur les victimes palestiniennes blessées à l'hôpital (...) à Gaza, vont bientôt dévorer les sionistes", a-t-il déclaré, cité par l'agence Irna.

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Le président iranien Ebrahim Raïssi lors d'un discours de soutien aux Palestiniens le 18 octobre 2023.

ATTA KENARE / AFP

 

Dans son discours, il avait affirmé que "le monde musulman et l'opinion mondiale" réclamaient "la fin des bombardements le plus rapidement possible, la fin du blocus de Gaza et la rupture des relations politiques" établies par les pays arabes s'étant rapproché d'Israël ces dernières années. 

Le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian a pour sa part appelé dans un message sur X à "l'unité mondiale" contre Israël qualifié de "régime usurpateur plus détesté que l'Etat islamique". Des rassemblements sont aussi déroulés dans plusieurs villes d'Iran, comme Mashad ou Ispahan. 

L'iranologue et auteure du livre Iran, autopsie du chiisme politique (édition du Cerf) Amélie-Myriam Chelly a pointé pour l'AFP, le 18 octobre, l'importante propagande dans les médias iraniens pour s'engager à aider les Gazaouis.

Avec le site "Alaqsastorm.com ", créé le 7 octobre 2023, soit le jour des attaques du Hamas, selon les informations consultées par l'AFP,  une campagne officielle de recrutement de volontaires iraniens souhaitant être envoyés combattre "afin de soutenir la légitime défense de la nation palestinienne opprimée " a même été lancée.

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Capture d'écran prise sur le site Alaqsastorm.com le 20/10/2023

Juliette MANSOUR

 

"L'Iran a besoin du soft power anti-sioniste dont ils estiment être les derniers garants puisqu'avec l'avalanche de régularisation de la reconnaissance d'Israël par un certain nombre de pays arabes, ils sont les derniers à n'avoir aucun contact avec Israël", estime-t-elle.

"Ni les Israéliens, qui ont déjà les mains pleines, ni les Iraniens, qui n'ont pas les moyens d'une guerre conventionnelle, ne recherchent une confrontation directe. L'Iran gagne ainsi à rester à un niveau psychologique en jetant le discrédit sur Israël. Ils sont engagés dans une course à la rhétorique et à l'image parce qu'ils ne peuvent pas jouer à la fois le rôle du champion de la rue arabe et en même temps ne rien faire. Comme ils ne peuvent pas se permettre de déclencher un conflit direct avec Israël, surtout compte tenu de l'appui américain, ils vont faire de la surenchère au niveau de la communication et c'est dans ce contexte que le fait de hisser ce fanion sur la mosquée de l'imam Reza lance un message", juge Pierre Pahlavi.

Et de conclure : "C'est un peu comme un duel dans les westerns : tous les acteurs ont le doigt sur la gâchette et les badauds autours regardent tous les signes donc c'est légitime de scruter les actes symboliques comme le hissage de ce fanion, mais il ne représente pas le signe indubitable d'un embrasement prochain du conflit."

20 octobre 2023Corrige coquille à l'avant-dernier paragraphe 20 octobre 2023Mise en page du chapô rectifiée

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