Vert Marine annonce la fermeture temporaire de certaines piscines municipales à cause du prix de l’énergie


Vert Marine annonce la fermeture temporaire de certaines piscines municipales à cause du prix de l’énergie

ILLEGAL

Publié le mardi 20 septembre 2022 à 15:41

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Piscine

(Pixabay License)

Auteur(s)

Guillaume Heim, Université Paris-Panthéon-Assas, et Sciences Po Paris

Relecteur/relectrice :  Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay  

Rien dans les textes ou la jurisprudence ne permet à l’entreprise Vert Marine de cesser l’exploitation de son propre chef, même si l’exploitation des piscines devient insoutenable économiquement. Mais elle a droit à une indemnisation à certaines conditions.

 

Face à la hausse du prix de l’électricité, l’entreprise Vert Marine, qui exploite environ 80 centres sportifs en France et notamment des piscines municipales, a annoncé la fermeture temporaire d’une trentaine d’entre elles. En cause, des coûts d’exploitation ayant été multipliés par six en quelques semaines, selon l’entreprise..

Plusieurs maires dont la commune est concernée par ces fermetures ont vivement contesté cette décision de Vert Marine, au motif qu’elle n’a pas le droit de suspendre de son propre chef l’ouverture des piscines qu’elle exploite. Qu’en dit le droit ?

Vert Marine est-elle totalement autonome dans sa gestion des piscines qu’elle exploite ?

Certainement pas ! Si l’entreprise a une certaine liberté de gestion et assume à ce titre aussi bien les bénéfices que les risques de l’exploitation de la piscine, la Mairie continue d’exercer un contrôle assez poussé : par exemple, c’est la Mairie, et elle seule, qui définit les tarifs.

Plus encore, ces contrats de délégation de service public doivent respecter certaines grandes règles, même si elles ne sont pas écrites dans le contrat de délégation en tant que telles. En particulier, le délégataire doit assurer la continuité du service public, en particulier pour les écoles. Cet impératif de continuité constitue une règle absolue sauf force majeure,  peu importe le coût d’exploitation pour le délégataire.

Il en résulte clairement que Vert Marine ne pouvait, juridiquement, arrêter son activité, qui plus est de son propre chef.

Vert Marine doit continuer à exploiter les piscines, même à perte, moyennant indemnisation

Le droit applicable à ces contrats de délégation de service public prévoit de longue date l’hypothèse où le contrat est bouleversé par un événement extérieur. En effet, selon la loi, « Lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité » : on parle de “théorie de l’imprévision”, une théorie imaginée en réalité dès 1916 par le juge, dans une affaire dite “Gaz de Bordeaux” qui présente une belle similitude avec le cas des piscines. Brièvement dans cette affaire, l’entreprise chargée d’éclairer- au gaz à l’époque – la ville de Bordeaux en 1916, avait cessé son activité car le prix du gaz issu du charbon (extrait dans le nord de la France) augmenta de façon insupportable à cause de la guerre. 

Le Conseil d’Etat en a déduit les conséquences suivantes, reprises par les textes : pour qu’il y ait imprévision, les événements qui affectent la poursuite du contrat doivent avoir trois caractéristiques. Ils doivent d’abord être imprévisibles au moment où le contrat de délégation est conclu, ce qui est assurément le cas de la guerre en Ukraine : les délégations de services publics sont des contrats de moyen ou long terme, conclus il y a parfois des années. Ces événements doivent aussi être extérieurs aux parties (la commune et l’entreprise), ce qui est ici évident. Enfin, et surtout, ces événements doivent entraîner ce qu’on appelle un “bouleversement de l’économie du contrat”, le rendre économiquement insoutenable pour l’entreprise. Cette dernière doit alors continuer à exécuter le contrat, mais elle a droit à une indemnité pour compenser en quasi-totalité le surcoût subi, et ce jusqu’au rétablissement d’une situation normale. Ce n’est que si le bouleversement du contrat dure indéfiniment, qu’on parle de force majeure, ce qui peut, et seulement dans ce cas là, permettre de résilier le contrat. 

En pratique, c’est la justice qui décidera s’il y a eu bouleversement de l’économie du contrat. Soit la hausse des coûts de l’énergie est telle qu’elle n’est plus soutenable par le délégataire, ce qui constitue bien un cas d’imprévision, alors Vert Marine devra avoir maintenu ouvertes les piscines, mais la commune devra lui verser une compensation totale ou presque. Si cette hausse est supportable compte tenu des autres coûts d’une piscine, le délégataire non seulement doit continuer l’exploitation, mais il n’a droit à aucune indemnité. Dans les deux cas, la fermeture des piscines par Vert Marine est illégale et peut faire l’objet d’une sanction sous forme de pénalités financières voire de résiliation unilatérale (c’est-à-dire d’office) par la commune du contrat (mais n’est-ce pas ce qu’attend Vert Marine ?…) 

Notons enfin que la théorie de l’imprévision a été très rarement appliquée depuis 1916, faute selon le juge de bouleversement de l’économie du contrat. Cette fois-ci, il est certain que les hausses constatées paraissent inédites et à comparer avec le choc pétrolier de 1973. Affaire à suivre donc. En tout état de cause, il paraît plus commode dans l’immédiat de modifier le contrat de délégation pour tenir compte des nouvelles conditions : c’est ce que permet ainsi la loi et ce qu’a d’ailleurs encouragé le Gouvernement pendant la crise sanitaire, alors que les fluctuations des prix des matières premières posaient déjà problème.

Auteurs :

Auteur : Guillaume Heim, Université Paris-Panthéon-Assas, et Sciences Po Paris

Relecteur/relectrice :  Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay  

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah

 

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://www.francetvinfo.fr/economie/...
  • Texte de la déclaration :

    Plusieurs piscines sont contraintes, lundi 5\u00a0septembre, de fermer leurs portes en France, en raison de l\u2019explosion du prix de l\u2019\u00e9nergie, rapporte le r\u00e9seau France Bleu. Le groupe Vert Marine a\u00a0notamment ferm\u00e9 une trentaine de ses \u00e9tablissements.>> \u00c9nergie : baisse du chauffage, piscines et mus\u00e9es ferm\u00e9s... Face \u00e0 la flamb\u00e9e des prix, ces communes se serrent la ceintureLe complexe aquatique Ingreo de Montauban dans le Tarn-et-Garonne a ferm\u00e9 ses portes provisoirement, indique France Bleu Occitanie. La direction pr\u00e9f\u00e8re suspendre son activit\u00e9, plut\u00f4t que de r\u00e9percuter cette hausse sur le prix des entr\u00e9es. "Les hausses du co\u00fbt de l\u2019\u00e9nergie que nous subissons tous ne nous permettent plus aujourd\u2019hui de g\u00e9rer les \u00e9quipements de mani\u00e8re \u00e9quilibr\u00e9e \u00e9conomiquement et p\u00e9renne socialement ", indique la direction de la piscine dans un message affich\u00e9 sur son site internet et ses r\u00e9seaux sociaux. L'\u00e9quipement est g\u00e9r\u00e9 par le groupe Vert Marine, une d\u00e9l\u00e9gation de service public.L'Aquapolis \u00e0 Limoges a aussi cess\u00e9 son activit\u00e9, rapporte France Bleu Limousin. Le centre aquatique reste ferm\u00e9 jusqu'\u00e0 nouvel ordre. La soci\u00e9t\u00e9 Vert Marine charg\u00e9e de l'\u00e9tablissement assure que l'exploitation du centre aquatique devient impossible en raison de l'explosion du prix de l'\u00e9nergie. Limoges M\u00e9tropole a donc aussi d\u00e9cid\u00e9 de fermer l'\u00e9tablissement.\u00a0Le vice-pr\u00e9sident de l'agglom\u00e9ration de Limoges, Fabien Doucet, a expliqu\u00e9, \u00e0 franceinfo lundi, envisager la possibilit\u00e9 d'une action en justice d\u00e9non\u00e7ant une "prise d'otage des usagers", alors que cet espace est fr\u00e9quent\u00e9 par 450 000 personnes.Une trentaine de sites\u00a0g\u00e9r\u00e9s par le groupe Vert Marine sont ferm\u00e9s\u00a0L'entreprise, bas\u00e9e en Normandie, explique que le prix du m\u00e9gawatt\/heure a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9 par dix depuis janvier 2022. Dans un communiqu\u00e9, Vert Marine explique que "si cette hausse \u00e9tait impact\u00e9e sur le prix du billet d'entr\u00e9e, il faudrait multiplier le prix par trois, et passer de 5 \u00e0 15\u00a0euros pour un r\u00e9sident de l'agglom\u00e9ration."\u00a0La soci\u00e9t\u00e9, qui compte 2\u00a0000\u00a0salari\u00e9s, a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 fermer les \u00e9quipements temporairement. Les abonnements souscrits avant la d\u00e9cision de fermeture seront rembours\u00e9s, assure le patron de Vert Marine \u00e0 France Bleu Normandie."Le calendrier des collectivit\u00e9s est beaucoup plus contraignant que le n\u00f4tre, a regrett\u00e9 lundi aupr\u00e8s de franceinfo Thierry Chaix, le patron de Vert Marine. On va essayer de discuter avec les collectivit\u00e9s. Leur expliquer pourquoi il faut que cela s'arr\u00eate : le cout n'est plus acceptable et l'on ne peut plus le r\u00e9percuter" Le\u00a0patron de Vert Marine affirme avoir\u00a0"d\u00e9cid\u00e9 de prendre une mesure d'urgence pour ensuite discuter et trouver une solution\u00a0: par exemple fermer certains bassins dans les piscines, ou bien se rattacher au contrat des collectivit\u00e9s, qui touchent l'\u00e9nergie moins ch\u00e8re que nous.""Les piscines sont-elles vraiment essentielles dans un moment o\u00f9 l'\u00e9nergie est si ch\u00e8re ? De toute fa\u00e7on, nous n'avons pas trouv\u00e9 de meilleure d\u00e9fense que la fermeture."Thierry Chaix, patron de Vert Marine\u00e0 franceinfoAu total, une trentaine de sites g\u00e9r\u00e9s par le groupe Vert Marine sont concern\u00e9s, comme\u00a0la piscine Les D\u00f4mes\u00a0\u00e0 Rivesaltes (Roussillon), la piscine Aygueblue \u00e0 Saint-Geours-de-Maremne (Landes),\u00a0le centre aquatique Nemausa de N\u00eemes (Gard), le centre aquatique L'Hippocampe, \u00e0 Granville (Manche)\u00a0ou encore le complexe aquatique Diabolo de Bourg-de-P\u00e9age (Dr\u00f4me), la piscine de Montbauron \u00e0 Versailles (Yvelines),\u00a0le centre aquatique Guy-Bey \u00e0 Meudon (Hauts-de-Seine), le centre aquatique Oc\u00e9abul de Saint-Jean-de-Monts (Vend\u00e9e), la piscine de la Presqu'\u00eele de Saint-Dizier (Haute-Marne), la piscine Calyssia d'Armenti\u00e8res (Nord),\u00a0ferm\u00e9s jusqu'\u00e0 nouvel ordre.Dans l'H\u00e9rault, la communaut\u00e9 de communes du Pays de l'Or a d\u00e9cid\u00e9 de fermer ses bassins un jour par semine pour faire des \u00e9conomies dans les quatre piscines intercommunales (la Grande-Motte, Palavas-les-Flots, Lansargues et Mauguio).\u00a0

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