La confiance dans l’autorité publique à l’ère du Covid-19


Première publication de la Tribune sur www.liberation.fr le 17 juin 2021 à 13h48

Les pays où les citoyens ont le plus confiance dans leur gouvernement ont souvent mieux réussi à contrôler l’épidémie tout en sauvant leurs économies. De quoi expliquer les mauvaises performances françaises ?

Plusieurs études récentes montrent que les pays ayant engagé des mesures précoces en faveur de l’élimination du coronavirus (confinement, port du masque obligatoire, arrêt de certaines activités économiques, fermeture des frontières et des écoles etc.) plutôt que l’atténuation de ses ravages ont connu une mortalité plus réduite et un retour plus rapide de l’activité économique (1). Cependant, la politique sanitaire du gouvernement durant cette pandémie a été de vivre de «vivre avec le virus» au lieu de l’éliminer tout en sachant que des variants du virus plus infectieux voire plus dangereux émergeront éventuellement. Selon le président Macron, la stratégie dite «zéro Covid» n’est pas applicable en démocratie. C’est «soit des îles, soit des régimes autoritaires» qui ont pu intervenir de manière radicale et «on n’est ni l’un ni l’autre».

En réalité, si certains régimes autoritaires ont réussi à endiguer le virus (par exemple, la Chine), d’autres ont échoué (comme, l’Iran, l’Inde ou le Brésil). Quant à la performance parmi les démocraties, elle est loin d’être uniforme, comme l’insinuerait le président. Si l’Angleterre, les Etats-Unis, la France ou l’Italie, n’ont pas géré la crise sanitaire aussi efficacement que la Chine, d’autres pays tout aussi démocratiques et à revenus proches, comme la Nouvelle-Zélande, Taïwan, ou encore les pays nordiques (excepté la Suède) ont mieux performé.

Un facteur marquant de la réussite de la stratégie dite «zéro Covid» que le chef de l’Etat ainsi que la majorité des études à ce jour manquent de soulever n’est pas tant le régime politique, ou même le niveau de revenu, que la confiance dont fait preuve un peuple pour son gouvernement.

Des performances sanitaires et économiques

Il est frappant de constater combien les pays où les taux de confiance sont élevés ont mieux réussi à contrôler l’épidémie tout en sauvant leurs économies. La variation de l’indice national de confiance dans le gouvernement explique à elle seule plus de 30 % des variations dans les performances aussi bien économiques (perte de PIB) que sanitaires (la mortalité) (2). De plus, et contrairement aux idées reçues, on n’observe pas d’arbitrage entre économie et santé : plus la confiance règne, plus la performance observée est élevée sur les deux panneaux.

Par exemple, on peut comparer durant la première vague, les performances de la Norvège, l’Allemagne et la France. En Norvège, le gouvernement jouit d’une grande confiance parmi ses citoyens, suivi de l’Allemagne, puis de la France, où la confiance

dans les gouvernements a toujours été basse (3). Or c’est la Norvège qui a réussi à mieux freiner la propagation du virus, tout en préservant son économie. Son PIB n’a diminué que de 4 % en 2020, alors que celui de l’Allemagne a diminué de 6,6 %, et celui la France de 11,3 %.

Si les pays (à revenu similaire) où la confiance dans le gouvernement est plus élevée ont mieux réussi à maîtriser la pandémie à faible coût, c’est parce qu’ils ont pu endiguer la circulation du virus avec des interventions de santé publique plus courtes, plus précoces, et mieux préparées.

Des mesures de distanciation strictes mieux respectées

Premièrement, la confiance permet aux mesures de distanciation sociales d’être mieux respectées par le public, et donc plus courtes, car la menace de sanction contre les récalcitrants est plus crédible. En France, les mesures de confinement ne furent pas très bien suivies, ce qui a exigé des confinements plus longs. Selon le stringency index (un indice composite de neuf mesures de distanciation sociale) développé par l’université d’Oxford (4) les mesures formelles ont été plus strictes et maintenues sur une plus longue durée en France, suivie de l’Allemagne puis de la Norvège. Par contre, l’impact des mesures de distanciation sociale est à l’inverse : «l’aplatissement de la courbe» épidémique a été plus important en Norvège qu’en Allemagne et qu’en France.

Deuxièmement, la confiance permet de convaincre le public des risques sanitaires avant même que les dégâts causés par la pandémie ne soient observés. Elle permet donc de prendre des mesures strictes sans peur d’être accusé d’autre motif que celui de l’intérêt public. Dans les pays à faible confiance (la France mais aussi l’Italie et l’Espagne), les gouvernements ont attendu que les hôpitaux soient débordés avant de prendre des mesures strictes. La France a perdu deux semaines cruciales. On peut penser que son hésitation fut liée à la crainte des décideurs d’être accusés d’exploiter l’urgence sanitaire pour reporter les élections municipales (6).

Troisièmement, la confiance façonne l’attitude du gouvernement à l’égard du risque. Elle lui permet de mettre en œuvre des politiques qui pourraient s’avérer exagérées ex post. Prenons le cas de la grippe A (H1N1) de 2009 : la ministre de la Santé de l’époque,

Roselyne Bachelot, avait commandé assez de doses de vaccins pour couvrir l’ensemble de la population et un stock massif de masques. La catastrophe annoncée n’arriva cependant pas, la France n’enregistrant «que» 342 morts, et la ministre fut démise de ses fonctions. Dix ans plus tard, la France se retrouve démunie de masques en pleine épidémie, exposant son personnel de santé à des risques inacceptables.

S’il est clair que les principales faiblesses de certains pouvoirs publics pendant cette pandémie ont été le manque de fermeté, de rapidité dans l’intervention, et le peu d’anticipation, un gouvernement à qui manque la confiance de son peuple aurait-il pu agir autrement ? A l’heure des effritements politiques dus à la montée du populisme, et aux nouveaux défis du réchauffement climatique et des inégalités liés à l’expansion des nouvelles technologies, comment rebâtir la confiance dans l’autorité publique reste donc le nœud du problème.

(1) Stéphane Foucart, «Le choix gagnant des pays ayant opté pour la stratégie du zéro Covid». Le Monde du 5 mai 2021 ; Jay Patel et Devi Sridhar, «We should learn from the Asia – Pacific responses to Covid-19» The Lancet Regional Health – Western Pacific 5 (1er décembre, 2020) ; Michael G. Baker, Nick Wilson, and Tony

Blakely, «Elimination could be the optimal response strategy for Covid-19 and other emerging pandemic diseases» BMJ 371 (22 décembre 2020).

(2) Cette analyse s’appuie sur un article dont nous sommes les auteurs et qui sera publié dans la revue à comité de lecture Erasmus Journal of Philosophy and Economics, publiée par l’Université de Rotterdam.

(3) Olivier Galland et Gérard Grunberg, «La France, en manque de confiance, déprime», Slate, 26 mai, 2020.

Lien vers la publication complète

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/la-confiance-dans-lautorite-publique-a-lere-du-covid-19-20210617_FFQIXPIO7JDYRHIUBNTT7RFGLI/

Auteurs

Joëlle M. Abi-Rached, Médecin de formation, historienne de la médecine, et chercheuse associée au Médialab de Sciences Po, Paris et Ishac Diwan, Professeur d’économie à l’École normale supérieure, directeur de l’axe «mondialisation et développement» au Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), directeur de la Chaire socio-économie du monde arabe au sein de l'Université Paris Sciences et Lettres

Référence

Joëlle M. Abi-Rached, www.liberation.fr, 17 juin 2021 à 13h48