Fonte des glaciers : On a vérifié trois arguments climatosceptiques


Fonte des glaciers : On a vérifié trois arguments climatosceptiques

Publié le jeudi 6 juillet 2023 à 14:42

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A Paradise Harbour, dans l'Antarctique en 2015. — David Merron/CATERS NEWS AGENCY/SIPA

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Les glaciers ont fondu plus vite après 1850, ils avaient moins de glace ces 10.000 dernières années, une étude détruirait le récit du glacier de l'Apocalypse... Des chercheurs nous expliquent pourquoi ces arguments ne tiennent pas

Graphiques à l’appui, des affirmations trompeuses relativisent la fonte des glaciers sur les réseaux sociaux, alors que les études alarmantes s’enchaînent. Celle de l’International Centre for Integrated Mountain Development (Icimod), parue le 19 juin, montre que les glaciers de l’Himalaya fondent à un rythme sans précédent en raison du changement climatique, tandis qu’en début de mois, une autre étude, publiée dans la revue Nature Communications, expliquait que l’Arctique pourrait être privé de glace de mer en été dès les années 2030. En avril, le rapport annuel sur l’état du climat mondial, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies, alertait sur le fait que les glaciers avaient fondu à une vitesse record dans le monde en 2022.

Pendant ce temps, un certain nombre de posts sur Twitter remet en question la fonte des glaciers, en soutenant principalement qu’il y a déjà eu des reculs des glaciers en plus de 10.000 ans. Mais les échelles de temps et les amplitudes des fluctuations actuelles ont une tout autre dimension. On a vérifié trois affirmations virales auprès de chercheurs.

Captures d'écran de posts relayant des contenus relativisant la fonte des glaciers.

Captures d'écran de posts relayant des contenus relativisant la fonte des glaciers. - Captures d'écran/Twitter

  • « Toutes les études à long terme sur la fonte des glaciers montrent des vitesses de fonte plus grandes ou égales entre 1850 et 1930 qu’après. […] Impossible d’avoir un quelconque effet avec les théories du Giec. » Deux graphiques sur la surface et la vitesse de fonte des glaciers du groupe Goldberg en Autriche accompagnent cette affirmation.

Entre 1850 et 1930, « la diminution des glaciers sur cette période est indubitable », souligne Christian Vincent, ingénieur de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement et spécialiste de l’évolution des glaciers de montagne. Cette diminution se constate aussi sur les glaciers des Alpes italiennes ou françaises, comme la mer de glace ou Argentière, qui atteignaient alors le bas de la vallée. Mais elle s’explique par la sortie du petit âge de glace, un épisode froid qui s’est déroulé entre la fin du XIVᵉ siècle jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle.

« Les glaciers avaient alors bien grandi et se sont retrouvés en fort déséquilibre avec le climat, détaille Etienne Berthier, glaciologue et directeur de recherche au CNRS, ce qui a engendré des pertes de masse forte », comme pour les grandes langues glaciaires qui descendaient à basse altitude.

Des fluctuations naturelles du climat ont bien influencé l’évolution des glaciers, mais, « ce n’est pas non plus un argument qui démontre que les gaz à effet de serre n’ont pas d’influence sur le réchauffement et sur l’avenir des glaciers », pointe Christian Vincent. Le CNRS a réalisé, en partenariat avec le média Bon pote, une infographie très claire qui explique ce processus. Elle conclut que si les glaciers ont toujours varié de manière naturelle au cours des derniers siècles et millénaires, le recul des glaciers ces dernières décennies est « imputable avec un fort niveau de confiance au réchauffement climatique ».

  • « Groenland, Arctique, Antarctique & les glaciers en général avaient moins de glace qu’aujourd’hui pendant la majeure partie des 10.000 dernières années à l’exception du petit âge de glace. »

Dans la même veine climatosceptique, cette affirmation, fausse, utilise le fait que les glaciers ont pu avancer et reculer au cours des millénaires pour relativiser la part anthropique du réchauffement climatique. Ce post fait référence à l’Holocène, c’est-à-dire la période chaude que l’on vit et qui a commencé il y a 12.000 ans.

« Pendant l’Holocène, les glaciers dans chaque région vivent un petit peu leur propre vie, explique Vincent Jomelli, chercheur CNRS au centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement. On a des grandes tendances hémisphère Nord, hémisphère Sud, [en résumé très rapide, quand il fait chaud au Nord, il fait froid au Sud], mais on peut toujours trouver des cas particuliers, comme les glaciers en Himalaya, qui se comportent de manière différence, car ils sont influencés par la mousson. »

Dans l’hémisphère Sud, « l’optimum climatique [c’est-à-dire la période la plus chaude] était au début de l’Holocène, détaille Elisabeth Michel, chercheuse en paléo-océanographie à l’Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Le glacier des Kerguelen [situé dans les terres australes et antarctiques françaises] avait très probablement complètement fondu il y a 11.000 ans. Les glaciers de basse altitude sont extrêmement réactifs. Mais ce n’est pas parce qu’il y a eu une variabilité importante dans le passé que les Hommes ne sont pas en train de modifier le climat de façon très rapide, plus rapide que jamais observée à l’échelle géologique. »

D’autres variables entrent en compte et font que, dans l’hémisphère Sud, certains glaciers en Patagonie ou en Nouvelle-Zélande ont connu leur extension maximale au début de l’Holocène. Dans l’hémisphère Nord, les glaciers au Groenland, comme beaucoup d’autres dans les Alpes, ont connu leur extension maximale au début de l’Holocène (entre 11.000 et 10.000 ans), puis ont reculé jusqu’à la fin du milieu de l’Holocène (entre 10.000 et 4.000 ans) et avancé à nouveau au cours des 4.000 dernières années, ont écrit dans Nature Communication en 2022 une équipe de chercheurs dont Vincent Jomelli.

« C’est important, précise Vincent Jomelli, car les climatosceptiques aiment bien répandre l’idée selon laquelle l’extension maximale des glaciers pendant l’Holocène aurait eu lieu pendant le petit âge glaciaire, période correspondant à un minimum d’insolation dans l’hémisphère Nord. C’est faux. »

Ce qu’il faut retenir, c’est que pendant l’Holocène, il y a une opposition entre hémisphère Nord et Sud, avec un patchwork de comportements des glaciers en fonction de variables naturelles. Le réchauffement climatique met fin à cela : « La particularité de la situation actuelle, c’est que les glaciers dans le Nord comme dans le Sud reculent, pointe Vincent Jomelli. Or, si c’était uniquement lié à l’insolation, on devrait avoir une opposition entre le Nord et le Sud et ce n’est pas le cas. »

  • « Une nouvelle étude détruit le récit du "glacier apocalyptique" : la glace d’aujourd’hui est 8 fois plus épaisse que celle des 8.000 dernières années »

Pour soutenir cette idée, plusieurs posts partagent un article du site Sott, qui reprend une étude publiée sur le très sérieux site de l’European Geosciences Union (EGU), l’Union européenne des géosciences, une société savante internationale dédiée aux sciences de la Terre. L’étude porte sur l’aspect réversible de la fonte de glaciers de la mer d’Amundsen en Antarctique pendant l’Holocène tardif. Mais ses conclusions ont été détournées à des fins climatosceptiques dans l’article de Sott, un site relais de contenus complotistes, prorusses ou climatosceptiques. Et cela donne lieu à l’affirmation erronée diffusée sur les réseaux sociaux.

En premier lieu, cette étude « ne détruit pas le récit » des glaciers Thwaites et Pope, dans l’Antarctique. L’appellation glacier de l’Apocalypse, « une bêtise de communication », pour Gaël Durand, directeur de recherche au CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement de l’université Grenoble-Alpes, ne fait pas l’unanimité. L’idée derrière, c’est d’expliquer que, si le réchauffement venait à s’emballer, la fonte de ces glaciers en Antarctique pourrait engendrer une hausse du niveau de la mer de l’ordre du mètre de ce secteur-là d’ici à 2100 dans les scénarios les plus pessimistes. Et que ce retrait des glaciers serait irréversible dans les conditions climatiques actuelles ou plus chaudes. Une vidéo, partagée par le chercheur, en explique les enjeux. 

A la suite de mesures effectuées sur un site entre les glaciers Thwaites et Pope, les chercheurs ont découvert que la calotte glaciaire était un tout petit peu plus basse, « donc que potentiellement, le glacier s’est reculé plus qu’il ne l’est aujourd’hui et a été en capacité de réavancer », détaille Gaël Durand. « Ça, c’est super intéressant parce que ça veut dire qu’effectivement, l’irréversibilité, elle n’est pas à toutes les conditions, mais on le sait déjà », commente-t-il, ajoutant que cette réversibilité a eu lieu dans des conditions climatiques qui ne sont pas celles d’aujourd’hui.

Il s’agit pour lui de cherry picking, c’est-à-dire qu'un élément qui arrange a été choisi pour soutenir un argumentaire climatosceptique. « L’étude ne remet pas en cause l’instabilité potentielle du glacier Thwaites, note-t-il. Les chercheurs sont beaucoup plus prudents. Ce qu’ils disent, c’est qu’il y a vraisemblablement eu, par le passé, à cet endroit-là, des retraits un peu plus importants que ce qu’on observe aujourd’hui et qui ont pu, dans les conditions climatiques de l’époque, réavancer ensuite. »

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/Elpis_R/status/16...
  • Texte de la déclaration :

    Sur des temps géologiques:

    Groenland, Arctique, Antarctique & les glaciers en général avaient moins de glace qu’aujourd’hui pendant la majeure partie des 10 000 dernières années à l’exception de petit âge de glace. Malgré un CO2 bien plus faible 280 ppm.
    « Elpis_R: 🧶Les plus grands glaciologues :

    Les Alpes étaient libres de glace il y a 6000 ans, où les niveaux de CO2 étaient bien inférieurs (280 ppm) à ceux d’aujourd’hui (420 ppm).

    En d’autres termes, le CO2 ne fait pas fondre les glaciers.

    cc : @PalomaMoritz

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