Gare à ce faux témoignage « d’un papa en colère » après un cours d’éducation à la sexualité en CP


Gare à ce faux témoignage « d’un papa en colère » après un cours d’éducation à la sexualité en CP

Publié le jeudi 28 septembre 2023 à 15:40

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Captures d'écran de vidéos relayant le témoignage anonyme d'un homme présenté comme « un jeune papa français » en colère. — Capture d'écran/TikTok

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Des vidéos virales relaient le témoignage anonyme d'un homme qui raconte une scène peu vraisemblable qui aurait lieu dans une classe primaire de Bergerac. « Aucun élément ne permet d'étayer ces assertions », répond le rectorat de Bordeaux

Le récit paraît peu vraisemblable. Et s’il est vrai, il est constitutif d’un viol et d’un acte de pédocriminalité. Depuis début septembre et le contexte de panique morale en Belgique autour des cours d’éducation à la sexualité, des vidéos très virales circulent sur TikTok ou Facebook. Elles racontent l’histoire d’un éducateur ou d’un professeur qui aurait incité un garçon à se mettre nu devant sa classe de CP, aux côtés d’une petite fille. Il aurait été demandé au garçon de toucher le sexe de sa camarade, « d’essayer de lui rentrer un doigt » pendant un cours d’éducation à la sexualité.

Pas de nouvelle loi en France sur l’éducation à la sexualité

Sur TikTok, les vidéos de ce témoignage anonyme durent environ deux minutes, un post a par exemple été « liké » plus de 6.200 fois. Une personne, le visage complètement flouté et la voix modifiée, se présente comme le père de ce garçon. Il explique avoir « pété un câble » quand son fils lui a raconté cette scène et être allé dans le bureau du directeur « pour tout casser ». Ce dernier lui aurait dit que c’était « obligatoire maintenant avec la nouvelle loi ». Or, il n’y a pas de « nouvelle » législation de ce type en France. Inscrite dans la loi depuis 2001, l’éducation à la sexualité ne se déroule pas du tout comme ce récit le raconte. Nous y reviendrons.

Celui qui se présente comme le père de l’enfant explique être parti en Espagne et ne pas vouloir témoigner à visage découvert, car « il y a plein de gens qui sont d’accord avec ces conneries, avec ces pédophiles ». Dans les commentaires, les internautes apportent leur soutien ou doutent de cette histoire, qui est très vague et qu’on ne peut ni précisément localiser ni dater.

Une vidéo supprimée, mais devenue virale

Un tiktokeur du nom de Furinezz a repris ce récit pour dénoncer cette situation, qui, « bizarrement, ne fait pas trop parler d’elle dans les médias ». D’après lui, la scène se situe dans une école primaire à Bergerac, en Dordogne. Il a depuis supprimé la vidéo de son compte, mais elle a été largement diffusée sur Facebook ou sur le réseau social chinois pour dénoncer la loi Evras en Belgique (qui, rappelons-le, n’incite pas du tout à ce que les enfants se touchent entre eux en cours). Ainsi, un montage partagé 6.500 fois et publié sur une page Facebook d’un groupe rennais, reprend sa vidéo et y voit la preuve « de la pédophilie perpétrée par le gouvernement » avec « l’éducation à la sexualité à l’école (loi Evras), à la maternelle ».

Nous avons contacté le tiktokeur pour savoir d’où il tenait ces éléments : il nous a indiqué avoir repris le témoignage « sur un site vidéo espagnol ». Cependant, face aux internautes estimant qu’il était faux et « après deux jours de recherche d’infos », il a décidé de retirer le contenu « en attendant que la personne en question se montre réellement ». « Si mon contenu paraît parfois complotiste, je préfère m’appuyer sur des indices un minimum vérifiable », se défend-il.

« Ce témoignage n’a aucune réalité, c’est nauséabond »

Contacté, le rectorat de l’académie de Bordeaux, dont dépend la Dordogne, nous répond « qu’aucun élément ne permet d’étayer quelques points que ce soit de ces assertions ». Les syndicats d’enseignants du primaire de Nouvelle-Aquitaine nous indiquent également n’avoir reçu aucun signalement sur ce sujet. « Ce témoignage n’a aucune réalité, c’est nauséabond », s’émeut Jean-François Bourdoncle, délégué général Sgen-CFDT Aquitaine.

Les séances d’éducation à la sexualité n’ont, par ailleurs, rien à avoir avec la scène décrite, surtout à l’école primaire. La dernière circulaire du ministère de l’Education nationale sur le sujet, qui date du 30 septembre 2022, vise à rappeler l’importance de ces séances, dont l’effectivité « demeure très inégale » ces dernières années, est-il remarqué. Pourtant, les élèves sont « souvent confrontés à de représentations sexistes voire dégradantes » sur Internet. La circulaire rappelle que trois séances d’éducation à la sexualité adaptées à l’âge des enfants et au niveau d’enseignement doivent être organisées chaque année.

A l’école élémentaire, la mise en œuvre de ces séances est présentée en conseil d’école et aux parents lors de la réunion de rentrée. « À ce niveau d’âge, il ne s’agit pas d’une éducation explicite à la sexualité », souligne une circulaire de 2018. Plusieurs thématiques peuvent être abordées en prenant en compte l’âge des élèves, comme l’étude et le respect du corps, la notion d’intimité et de respect de la vie privée, les différences morphologiques, l’égalité entre les filles et les garçons, la prévention des violences sexistes et sexuelles, etc.

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