Non, le G7 n’est pas « ridiculisé » car 19 pays veulent adhérer au Brics


Non, le G7 n’est pas « ridiculisé » car 19 pays veulent adhérer au Brics

Publié le vendredi 5 mai 2023 à 12:12

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Lors du XIV sommet des Brics en visio en juin 2022 avec le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, le président chinois, Xi Jinping, le président brésilien d'alors, Jair Bolsonaro, le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien, Narendra Modi. — Li Tao/AP/SIPA

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Deux économistes expliquent les enjeux derrière la vague inédite de demandes d'adhésion au groupe Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (Brics)

Ridicule, le G7 ? La demande d’adhésion d’une vingtaine de pays au groupe des Brics (pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a suscité un certain nombre de commentaires sur les réseaux sociaux, notamment chez les pro-russes. « Le G7 [forum qui réunit Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon] devient ridicule », affirme un compte pro-russe, reprenant l’information. « Le G7 qui pense dominer le monde va devenir si ridicule », commente aussi Silvano Trotta, youtubeur covidosceptique.

Mais cette lecture rapide et un peu simple ne permet pas de comprendre les intérêts d’un éventuel élargissement et les divergences entre les pays, que ce soit sur la question même de cet élargissement, de la guerre en Ukraine, ou de l’approvisionnement en énergie. Deux économistes nous éclairent sur ces enjeux.

Capture d'écran de tweets soutenant que le G7 deviendra ridicule avec l'élargissement des Brics.

Capture d'écran de tweets soutenant que le G7 deviendra ridicule avec l'élargissement des Brics. - Capture d'écran/Twitter

Une vague de candidatures inédite

Alors que le sommet des Brics doit se tenir les 2 et 3 juin 2023 au Cap en Afrique du Sud, 19 pays ont montré leur intérêt pour adhérer au groupe. L’ambassadeur sud-africain au sein des Brics, Anil Sooklal a indiqué, lors d’un entretien à Bloomberg, le 24 avril, que « treize pays ont présenté des demandes officielles d’adhésion au groupe des Brics, et six autres l’ont fait de manière informelle ».

Créée en 2009, cette alliance s’oppose à la domination du dollar dans le monde économique et financier. Elle conteste aussi la répartition des droits de vote dans les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), qui ne reconnaissent pas à leur hauteur la puissance économique de pays comme la Chine ou l’Inde. Une telle vague de candidatures est inédite : depuis la création du groupe, seule la candidature de l’Afrique du Sud a été retenue en 2011. Le Mexique, par exemple, candidate à nouveau, après que sa demande a été rejetée en 2013.

« Une question d’image »

En réalité, la discussion sur d’éventuelles adhésions a été engagée en mai 2022 lors d’une conférence sur les modalités de cette expansion, à laquelle ont, par exemple, participé l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Nigeria, le Sénégal, la Thaïlande. Si les pays intéressés ne sont pas tous connus, l’Algérie, l’Argentine, l’Iran ont fait connaître leur candidature, indique Julien Vercueil, professeur des universités à l’Inalco, spécialisé sur l’économie russe. La Turquie et l’Arabie saoudite ont aussi montré leur intérêt selon Purnima Anand, le président actuel du forum.

« L’important pour les membres actuels des Brics est de montrer que ce forum, loin d’être la coquille vide comme on l’entend souvent, exerce un pouvoir d’attraction sur d’autres pays du Sud, ajoute l’auteur des Pays émergents. Brésil Russie Inde Chine. Mutations économiques, crises et nouveaux défis (Breal, 2015). Cette question d’image est particulièrement importante pour la Russie, qui cherche par tous les moyens à compenser l’isolement que sa guerre d’invasion contre l’Ukraine lui a valu, via les sanctions, principalement de la part des pays occidentaux. »

Le poids économique écrasant de la Chine

C’est le début d’un processus d’élargissement, qui peut être long et où plusieurs scénarios peuvent être envisagés, commente-t-il. Si les cinq pays représentent environ 41 % de la population mondiale, 24 % du PIB mondial et 16 % du commerce mondial, cela ne garantit pas la cohérence interne du groupe, comme entre l’Inde et la Chine qui sont des rivaux historiques. New Delhi s’oppose d’ailleurs à cet élargissement et prône plutôt un dialogue, au contraire de Pékin pour qui cela renforcerait sa stratégie des nouvelles routes de la soie.

Dans cette équation, il faut prendre en compte le fait que, de par son poids économique écrasant dans le groupe, la Chine est l’acteur central des Brics, le pays qui donne le « la ». Pour Thibaud Deguilhem, maître de conférences en économie à l’université Paris-Cité, ces pays ont plutôt « des intérêts divergents qui finissent peut-être par se croiser ».

« Des pays potentiellement non alignés »

La guerre en Ukraine en est l’illustration. Depuis le début du conflit, il y a un alignement au sein du groupe des Brics entre le Brésil, qui veut rassembler le camp de la paix, et la Chine. Les deux pays veulent se positionner en médiateur, en pays qui ne seraient pas impliqués d’une manière ou d’une autre dans la guerre.

Le Brésil n’a jamais imposé de sanctions financières à la Russie ou accepté de fournir des munitions à Kiev. « Ce sont des pays qui sont potentiellement non alignés sur des positions occidentales, mais sans pour autant soutenir ouvertement la Russie dans sa stratégie militaire en Ukraine », souligne Thibaud Deguilhem.

« Ne pas surinterpréter les positions médianes »

« La position de la Russie, qui est de chercher un soutien international coûte que coûte, n’est pas celle des Brics, n’est pas non plus celle des émergents qui pourraient vouloir intégrer les Brics, analyse-t-il. Il ne faut pas surinterpréter les positions médianes, or, il y a souvent cet écueil-là. »

Par exemple, la Chine a fait le choix de la diversification de ses livraisons de gaz, en priorisant le Turkménistan et Kazakhstan, ou de pétrole, avec l’Arabie saoudite. « C’est un signal fort : la Russie voulait lui livrer plus et les Chinois ne se sont pas substitués totalement à la perte de parts de marché de la Russie sur le marché européen », rapporte Thibaud Deguilhem.

L’antiaméricanisme, « un puissant ciment des Brics »

Parmi les pays candidats, la situation est « hétérogène », note Julien Vercueil. L’Arabie saoudite, l’Argentine, les Emirats arabes unis, l’Indonésie et la Turquie ont voté la déclaration des Nations Unies de février 2022, renouvelée en février 2023, condamnant la guerre d’invasion que la Russie mène en Ukraine et lui enjoignant de retirer ses troupes sans condition de la totalité du territoire ukrainien. L’Afrique du Sud et l’Algérie se sont abstenues, tout comme la Chine, le Kazakhstan, l’Inde et l’Iran. « A part la Russie, aucun pays candidat au forum des Brics n’a soutenu l’invasion en votant contre cette résolution des Nations unies », rappelle-t-il.

Pour Julien Vercueil, « ce qui semble unir ces pays est plutôt une position critique vis-à-vis des sanctions occidentales », accusées de perturber l’approvisionnement des pays du Sud. « En cela, ces pays reprennent un narratif russe, mâtiné du discours chinois sur l’affrontement commercial et technologique avec les Etats-Unis », détaille-t-il, voyant dans l’antiaméricanisme « un puissant ciment des Brics ».

Pas vraiment un concurrent du G7

Les Brics élargi pourront-ils concurrencer le G7, né dans les années 1980 avec l’objectif de stabiliser les conditions monétaires du commerce international ? « Pas vraiment, répond Thibaud Deguilhem. Les Brics n’ont pas le même rôle, n’ont pas été construits de la même manière que le G7 [qui s’est élargi au G20 en 1999] aussi. Le groupe se transforme et cette annonce d’élargissement du dialogue participe de cette reconfiguration. » Difficile pour l’instant d’y voir une possible alternative tout à fait concurrente. Cet élargissement « ne ridiculise pas le G7, ces 19 + 5, c’est aussi 24 façons d’envisager les choses dans ce club et de percevoir ce qu’il pourrait être », ajoute-t-il.

Une conclusion proche de celle de Julien Vercueil pour qui il faut continuer de prendre au sérieux les Brics, « sans toutefois se faire trop d’illusion sur la capacité du groupe, même élargi, à proposer un agenda économique de nature à bousculer le cours actuel de la mondialisation ».

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