Pêche : Le Parlement européen a-t-il adopté un amendement « climaticide » sous la pression de la délégation LREM ?


Pêche : Le Parlement européen a-t-il adopté un amendement « climaticide » sous la pression de la délégation LREM ?

Publié le vendredi 6 mai 2022 à 15:16

20min_Lille.20080521-PECHEURS-003.jpg

Un pêcheur sur un chalutier en Normandie (photo d'illustration)

(Mikaël Libert/20 Minutes)

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Sur les réseaux sociaux, eurodéputés proches d’Emmanuel Macron et militants écologistes se déchirent sur l’interdiction du chalutage de fond, une méthode de pêche néfaste pour l’environnement

Interdire le chalutage de fond dans toutes les zones marines protégées. La proposition de Caroline Roose, eurodéputée verte, n’était pas contraignante, mais elle a suscité une controverse au Parlement européen ces derniers jours entre écologistes et Renew Europe, groupe qui rassemble les libéraux et le centre-droit dont  La République en marche. Pour rappel, cette technique de pêche racle les fonds marins et détruit les habitats de nombreuses espèces.

Dans un tweet relayé près de 5.000 fois, Claire Nouvian, la présidente de l’association Bloom, qui lutte contre la destruction de l’océan et des pêcheurs, a dénoncé un « amendement climaticide », porté par Pierre Karleskind, eurodéputé Renew Europe. En le faisant adopter, « le groupe d’Emmanuel Macron au PE vient d’empêcher le vote pour l’interdiction des méthodes de pêches destructrices dans les aires marines protégées », écrit-elle, s’indignant d’un « véritable désastre pour le climat et la biodiversité ».

L’amendement finalement adopté promeut l’interdiction du « recours aux techniques néfastes dans les zones marines strictement protégées [de l’Union européenne], sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles ». Une appellation qui réduit le champ d’action puisque les zones strictement protégées ne correspondent qu’à 1 % des eaux européennes.

Claire Nouvian, dans son thread, s’est agacée d’une « manœuvre scandaleuse » de LREM, contrairement à ses engagements. Pour elle, ce vote prouve que la nation écologique promise par Emmanuel Macron est « une imposture ».

FAKE OFF

Que s’est-il passé ? A coups de tweets et de communiqué sur les réseaux sociaux, chaque camp a défendu ses positions. Pascal Canfin, eurodéputé Renew, a publié un texte sur Linkedin pour soutenir son collègue, Pierre Karleskind, bien qu’il n’ait pas voté son amendement. Il explique que la proposition initiale (qu’il soutient pourtant) ne prenait pas en compte toute la complexité de la situation et qu’elle aurait posé des « problèmes économiques à certains pêcheurs et certains territoires ». Certaines aires protégées le sont « pour les oiseaux, ajoute-t-il, ce qui peut rendre difficilement compréhensible pour les pêcheurs le fait d’interdire une pratique de pêche ».

Pierre Karleskind explique à 20 Minutes que l’amendement vert était « excessif » et ne prenait pas en compte « l’impact socio-économique » de la suppression du chalutage de fond pour les pêcheurs. Sa proposition, au contraire, était « une position de compromis », « pragmatique », qui pouvait être votée.

Principale critique contre cet amendement : le fait qu’il interdise une pratique déjà interdite dans ces aires strictement protégées. Pour Claire Nouvian, c’est inutile, et, en plus, dangereux : « Il remet en cause les standards de la protection de la nature, nous précise-t-elle, en détricotant ce qu’est une aire marine protégée. Dans une aire marine protégée, comme le définit l’Union internationale pour la conservation de la nature, les méthodes de pêche destructrices et les activités extractives industrielles sont interdites. L’Union européenne doit se mettre aux normes internationales. »

Un amendement « honteux par rapport à l’urgence climatique »

Avec Pascal Canfin, explique Pierre Karleskind, ils ont travaillé à un amendement « plus ambitieux ». Il n’a finalement pas été présenté, car « les Verts estimaient qu’il n’allait pas assez loin et les conservateurs qu’il allait trop loin, on n’aurait pas eu de majorité ». Reconnaissant que son amendement « n’est pas suffisant » et qu’il ne répondra pas « à l’ensemble des problématiques de protection des océans », Pierre Karleskind défend tout de même sa position qui « permet de garder un message dans ce texte sur l’interdiction des pratiques néfastes dans les aires marines strictement protégées ». Il préfère mettre en lumière le reste du rapport et le fait que d’autres associations, comme l’ONG Oceana, saluent ce texte.

Bémol : Oceana reconnaît bien les avancées du rapport dans son communiqué, mais Nicolas Fournier, son directeur de campagne protection des milieux marins, regrette l’adoption de cet amendement « minimaliste », « qui affaiblit la portée du texte » et est « honteux par rapport à l’urgence climatique ». Il n’a en plus « aucune valeur ajoutée puisqu’il appelle l’Union européenne à interdire le chalutage profond dans des zones strictement protégées, où en théorie il n’y a pas de pêche et donc pas de chalutage ».

Selon l’ONG, la pêche au chalut est pratiquée dans 86 % des aires marines protégées dans l’UE. Bloom a voulu dénoncer « la tentative de sabotage sur ce rapport de la délégation LREM au Parlement », soutient-il.

Une bataille pour rien ?

Pour lui, le vote de la proposition de l’eurodéputé verte n’était pas forcément perdu d’avance. Pour preuve, dit-il, trois autres amendements verts ont été adoptés. C’est « un signal fort » pour que la Commission européenne se saisisse du sujet, espère Oceana. Un de ces amendements, « révolutionnaire » pour Nicolas Fournier, demande à l’Union d’interdire « l’ensemble des activités industrielles d’extraction néfastes pour l’environnement », comme l’exploitation minière ou l’extraction de combustibles fossiles dans les zones marines protégées.

Un autre veut restreindre l’usage des engins de pêche les plus néfastes sur le climat, l’intégrité des fonds marins, les populations piscicoles. Sont citées les engins de fond – comprenant le chalutage –, les filets dérivants, les sennes de fond ou les dispositifs de concentration de poissons. « Cet amendement a une portée plus large que les aires marines protégées et est politiquement très intéressant sur les interactions entre pêche et biodiversité », estime Nicolas Fournier. Le dernier vise à identifier les « habitats marins riches en carbone » pour les préserver d’activités comme le chalut, susceptible de libérer le CO2 emprisonné.

Pourquoi cette bataille alors contre un amendement ? Pour le directeur de campagne d’Oceana, l’explication vient du lobbying « féroce » du secteur de la pêche qui alerte « dès qu’un rapport parle d’un seul engin », ce qui serait considéré comme discriminant. Pourtant, rappellent les eurodéputés et les associations, ce rapport d’initiative n’est pas contraignant. Il affirme la position du Parlement européen sur le sujet et propose des mesures à la Commission européenne. Prochaine étape : la future loi sur la restauration de la nature, qui doit être dévoilée d’ici à cet été par la Commission.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article