Un graphique montre que le Rivotril a servi à « euthanasier » en Ehpad ? C’est de la « manipulation » de données


Un graphique montre que le Rivotril a servi à « euthanasier » en Ehpad ? C’est de la « manipulation » de données

Publié le vendredi 6 octobre 2023 à 13:19

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Dans un Ehpad à Bordeaux pendant la canicule tardive le 22 août 2023. (Illustration) — UGO AMEZ/SIPA

Auteur(s)

Emilie Jehanno (20 Minutes)

Le Rivotril, un antiépileptique, est de nouveau accusé à tord d'avoir « tué en masse » les personnes âgées en Ehpad

Trois ans après l’apparition du Covid-19, et alors qu’une nouvelle vague arrive, de vieilles infox de mars et avril 2020 sont recyclées. Nouveauté : un graphique, devenu viral début octobre, est utilisé pour appuyer ces allégations d’euthanasie orchestrée avec du Rivotril. Mais ce graphique pose problème pour de nombreuses raisons comme nous l’expliquent deux chercheurs.

Le Rivotril, un antiépileptique qui peut être utilisé pour se détendre et s’endormir, est pointé du doigt, à tort, pour avoir « tué en masse » les personnes âgées en Ehpad. « Des graphiques montrent que la surmortalité en Ehpad pendant le Covid correspond exactement au moment où on injectait à tour de bras du Rivotril aux personnes âgées », commente un internaute, en interpellant Olivier Véran, alors ministre de la Santé, dans un post aimé plus de 1.200 fois sur X.

Captures d'écran de publications relayant le graphique tronqué comparant "surmotalité" en Ehpad et "surconsommation" de Rivotril.

Captures d'écran de publications relayant le graphique tronqué comparant "surmortalité" en Ehpad et "surconsommation" de Rivotril. - Capture d'écran/X

Le 28 mars 2020, un premier décret avait été adopté permettant jusqu’au 15 avril 2020 « la dispensation du Rivotril par les pharmacies d’officine » afin de prendre en charge des patients Covid à domicile ou en EHPAD « atteints ou susceptibles d’être atteints par le virus SARS-CoV-2 » et présentant une dyspnée ou une détresse respiratoire. Il s’agissait de fournir une solution de remplacement au Midazolam, une benzodiazépine, substance qui fait dormir, utilisée sous forme injectable pour soulager les souffrances des patients en fin de vie.

Il y a trois ans, ce décret avait été accusé de « légaliser l’euthanasie en France », ce qui n’était pas le cas, comme nous l’expliquions alors. L’euthanasie reste interdite en France – la dernière loi sur ce sujet, adoptée en 2016, prévoit seulement un « droit à la sédation profonde et continue » pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.

« Cette utilisation [du Rivotril sous sa forme injectable] devait être conforme aux protocoles exceptionnels et transitoires établis par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs », nous a indiqué la direction générale de la Santé (DGS), qui n’a pas souhaité commenter le graphique, « dans la mesure où nous ne disposons pas de la méthode de construction de ce dernier ».

« C’est un délire complet »

Cette accusation grave a été reprise depuis fin septembre, notamment par Didier Raoult, dans une interview donnée à Idriss Aberkane, « l’hyperdoctor », qui a plagié une de ses thèses. Dans un extrait viral, partagé plus de 3.300 fois, l‘ancien directeur de l’IHU affirme qu’il n’était pas possible de donner de l’hydroxychloroquine aux personnes âgées, « mais vous pouviez les euthanasier avec du Rivotril », affirme-t-il, « un pas » qu’il n’est pas près « à franchir ».

« C’est un délire complet, répond Mathieu Molimard, professeur au service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux et membre du conseil d’administration de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique. On a donné du Rivotril aux patients en train de mourir pour les soulager de leurs souffrances. On n’en donne pas pour tuer les personnes âgées ni pour faire l’économie de la prescription d’hydroxychloroquine qui les aurait sauvées. » En avril 2020, la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) s’insurgeait contre l’affirmation « mensongère » « d’euthanasie des personnes âgées » avec la prescription de Rivotril, position qu’elle nous indique maintenir.

« Utilisé pour rendre plus supportable l’intubation »

A partir de mars 2020, « il y a surtout eu une surconsommation de Midazolam dans les services de réanimation, souligne Mathieu Molimard, parce que c’est ce qui est utilisé pour rendre plus supportable l’intubation. La décision a été prise d’utiliser le Rivotril, qui est aussi une benzodiazépine, mais qui est moins pratique en réanimation. » Il n’y a donc pas surconsommation de Rivotril, mais « une compensation », insiste-t-il, en remplacement du Midazolam. « Cette mesure était notamment liée au fait que les médicaments à base de midazolam n’étaient pas disponibles en quantité suffisante, ni facilement accessible en ville », nous confirme la DGS.

Cette compensation se vérifie grâce à la base de données Medic’AM, qui recense les médicaments délivrés par les pharmacies de ville et remboursés par l’Assurance maladie. Le graphique montre « un creux plus important de la vente de Midazolam en ville entre mars et mai 2020, commente Mathieu Molimard. On est passé de 4.300 boîtes de Midazolam remboursées en mars à 2.521 en avril. Parallèlement, on est passé de 900 boîtes remboursées de Rivotril à 2.000. »

Graphique montrant le nombre de boîtes remboursées de Rivotril injectable et de Midazolam sur l'année 2020.

Graphique montrant le nombre de boîtes remboursées de Rivotril injectable et de Midazolam sur l'année 2020. - Julien Bezin

Mais, rappelle-t-il, « ce n’est pas ces ventes qui ont causé les morts, il y a une épidémie de Covid et les personnes âgées en sont décédées malheureusement. » En 2020, a indiqué l’Insee dans une étude de 2021, « l’excédent de décès par rapport à 2019 est dû en grande partie à l’épidémie de Covid-19 ». « Lors des deux vagues, la hausse des décès est très forte » chez les plus de 70 ans, avec + 31 % en mars-avril et + 20 % en septembre-décembre, poursuit l’institut national de la statistique.

Un graphique qui ne tient pas la route

Le graphique viral sur les réseaux sociaux tient-il la route ? Non, répondent Mathieu Molimard et Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Institut national de la santé de la recherche médicale (Inserm). Et ce, pour plusieurs raisons. Il a été publié à l’origine dans Covid-19 : Guerre ouverte contre les peuples, un livre paru en septembre, écrit sous pseudonyme et qui relaie la théorie complotiste estimant que le Covid-19 est un outil destiné à asservir les populations.

« Ce graphique n’a pas de valeur en termes scientifiques », les données, présentées comme venant de la plateforme de Santé Publique France et de Medic’AM, ont été « manipulées » et « tronquées », analyse le professeur au service de pharmacologie médicale. Par exemple, le graphique présente deux entrées : la surconsommation d’ampoules de Rivotril injectable (bien que l’assurance maladie compte les boîtes remboursées) et les données de surmortalité.

« Les décès ne sont pas égaux à des ampoules »

L’entrée de gauche part « d’une surconsommation et non pas d’un nombre de boîtes, donc la courbe est tronquée », note Mathieu Molimard, c’est de la « manipulation de données et, donc, de la désinformation », les donner brutes doivent être utilisées et non pas les données relatives. Le pic de plus de 250 ampoules ou boîtes n’est pas cohérent non plus avec les données de Medic’AM, puisque 1.039 boîtes de Rivotril ont été remboursées en plus en avril 2020 par rapport à mars. « Les décès ne sont pas égaux à des ampoules normalement, comme c’est écrit à gauche », note-t-il.

Les données disponibles dans Medic’AM sur le Rivotril injectable concernent la vente en ville, ce chiffre inclut en partie les Ehpad, mais aussi toute la médecine de ville. Un élément que confirme aussi Jean-Marie Robine : il n’y a pas d’informations sur les ampoules « surconsommées » de Rivotril injectable en Ehpad dans les données de la Sécurité sociale. La provenance de cette statistique « est un point faible ».

Une courbe de référence pour la surmortalité

Autre problème : la courbe de la surmortalité ne peut pas apparaître toute seule de la sorte non plus : « Chaque fois qu’on publie une surmortalité, il y a une référence, qui est exactement la même période dans la même situation au minimum sur une année précédente, on le signale toujours », souligne le directeur de recherche à l’Inserm. Or, il n’y a point de courbe de référence dans ce graphique.

D’après les résultats de ses travaux, qui s’appuient sur les données du CépiDc-Inserm et de la Cnam, plus précises que celles de Santé Publique France, Jean-Marie Robine a pu estimer la surmortalité en Ehpad à 15.114 décès en excès lors de la première vague. Le pic de certificats de décès en Ehpad avec mention du Covid-19 est de 400 autour du 10 avril, ce qui ne correspond pas non plus à la courbe de surmortalité du graphique et ce mystérieux plus de 250.

« Je ne sais pas d’où sort ce chiffre de 250, assure aussi Mathieu Molimard. Cette échelle à gauche, ne correspond ni aux morts ni aux boîtes. » Il rappelle, lui, que l’échelle des décès en données brutes est plutôt d’environ 15.000 morts chaque mois dans les Ehpad, selon les chiffres 2018-2019 de l’enquête Epi-phare. « Ce n’est pas 250 morts comme 250 ampoules, l’échelle est plutôt à 15.000 décès. » Il y voit une nouvelle « manipulation » des données.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://web.archive.org/web/202310040...
  • Texte de la déclaration :

    AuBonTouiteFrançais @VictorSinclair3Bonjour @olivierveran . Il y a des graphiques qui montrent que la surmortalité en Ehpad pendant le Covid correspond exactement au moment où on injectait à tour de bras du Rivotril aux personnes âgées. Peut on avoir ton impression sur le sujet ?Translate post10:40 AM · Oct 2, 2023·26.6K Views701 Reposts8 Quotes1,238 Likes8 Bookmarks8

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