Baidu et Alibaba, les deux géants chinois du Web, ont-ils remplacé Israël par la Palestine sur leurs cartes ?


Baidu et Alibaba, les deux géants chinois du Web, ont-ils remplacé Israël par la Palestine sur leurs cartes ?

Publié le vendredi 10 novembre 2023 à 11:07

075_cfoto-baidu202230822_npBuT.jpg

Le 6 juillet 2023 à Shanghaï.

(CFOTO/ NurPhoto/ NurPhoto via AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Des internautes relèvent que le nom de l’Etat d’Israël ne figure plus sur les cartes des applications Baidu Maps et Amap. Et font le lien avec le soutien apporté par Pékin à «la juste cause des Palestiniens».

Les plateformes web les plus utilisées en Chine ont-elles rayé Israël de leurs cartes ? C’est ce que laissent entendre des publications qui ont envahi les réseaux sociaux ces derniers jours, diffusées dans un premier temps par les internautes chinois, puis relayées aussi bien par des Occidentaux que des Moyen-Orientaux. Certains commentateurs suggèrent qu’ainsi, les géants chinois de la tech expriment leur soutien à la Palestine, dans le conflit qui l’oppose à l’Etat hébreu.

Une information parvenue jusqu’aux médias israéliens. Sur la chaîne i24News, une journaliste a ainsi expliqué qu’en Chine, «le nom d’Israël n’apparaît plus sur les principales cartes numériques», ce qui «ne passe pas inaperçu […] dans le contexte de guerre et de rapprochement entre Hamas, Russie et Chine»Le site d’information israélien Ynet a, lui, rapporté le témoignage d’un ressortissant israélien installé en Chine, selon lequel «cette décision a des conséquences économiques», dans la mesure où «les hommes d’affaires qui souhaitent rechercher une adresse, une entité ou une entreprise en Israël ne peuvent pas la trouver, car le pays n’apparaît pas sur les cartes chinoises». Pour sa part, Haaretz a publié un article sous le titre «Israël retiré des plus grandes plateformes cartographiques en Chine». Le quotidien israélien y souligne que «les relations entre Israël et la Chine ont été tendues» depuis le déclenchement de la guerre.

La Chine s’est abstenue de condamner clairement les massacres commis par le Hamas en Israël le 7 octobre. Ce n’est que cinq jours plus tard, lors d’un appel avec un responsable du ministère israélien des Affaires étrangères, que l’envoyé spécial du gouvernement chinois pour le Moyen-Orient, Zhai Jun, a condamné «les actions qui nuisent à des civils innocents» et exprimé sa «sympathie aux familles endeuillées». Le 25 octobre, durant une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Chine a mis son veto à une résolution américaine prônant «le droit de tous les Etats à l’autodéfense», lui préférant une résolution russe appelant à un «cessez-le-feu humanitaire» immédiat.

C’est donc en raison de ce positionnement, selon les commentateurs, que la Chine aurait exigé de ses champions nationaux de la tech qu’ils retirent symboliquement Israël de leurs cartes en ligne. Plus précisément, ces anomalies ont été remarquées sur les plateformes Baidu Maps et Amap (plus connue localement sous le nom Gaode), qui appartiennent respectivement aux entreprises Baidu et Alibaba. Les deux sites font figure d’équivalent chinois de Google Maps, auquel les citoyens chinois ne sont pas autorisés à accéder, en raison de la sensibilité de la Chine aux questions de territoire.

«Les pays voisins sont toujours nommés»

Précisons d’abord qu’Il est faux d’affirmer que, sur ces applications, Israël a été remplacé par la Palestine. En revanche, des utilisateurs chinois de ces plateformes ont remarqué que Baidu avait «effacé l’existence d’Israël sur la carte», comme le rapporte un article du site China Digital Times, fin octobre. D’autres internautes, depuis l’Occident cette fois, ont à leur tour fait le test. Ce qu’ils ont constaté, c’est que si le nom de l’Etat hébreu n’apparaît pas, les frontières du pays et les noms de ses principales villes figurent bien sur les cartes. A l’inverse, «les pays voisins sont toujours nommés (Liban, Syrie, Jordanie, Egypte, etc.)», note un investisseur américain sur X (anciennement Twitter), qui relève aussi que «les capitales sont normalement mises en gras, mais pas Tel Aviv ou Jérusalem». En commentaire, un utilisateur de X souligne par ailleurs que les frontières entre Israël et la Palestine indiquées correspondent au «plan de partage de l’ONU de 1947». Ce plan, qui prévoyait une nouvelle répartition de la Palestine avec la création d’un Etat juif et d’un Etat arabe, n’a jamais été appliqué : lorsque Israël a officiellement été fondé, à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948, l’Etat hébreu avait étendu ses limites au-delà du plan voté en 1947.

L’article du Wall Street Journal ajoute qu’«il en va de même pour les cartes en ligne produites par l’application Amap d’Alibaba», qui «n’identifient pas clairement [Israël] par son nom», tandis que «même de petites nations comme le Luxembourg sont clairement indiquées».

Si le nom d’Israël n’apparaît pas sur la version web de Baidu Maps, des internautes ont observé que sur l’application mobile, après qu’ils ont tapé «Israël» dans la barre de recherche, le nom du pays s’est affiché sur la carte. Baidu nie d’ailleurs avoir délibérément effacé Israël de ses cartes. Un porte-parole, Jing Meng, indique à CheckNews que «lorsque l’espace est limité, il se peut que nos cartes n’affichent pas les noms ou les drapeaux de certains territoires» – malgré nos tentatives, nous ne sommes pas parvenus à voir le nom d’Israël sur Baidu Maps, quel que soit le niveau de zoom. Jing Meng précise aussi que «les utilisateurs peuvent trouver les pays ou régions correspondants sur Baidu Maps en utilisant simplement la fonction de recherche de la carte» – cette fois, une recherche avec le nom du pays nous a effectivement conduits jusqu’à lui.

De son côté, le gouvernement chinois a eu l’occasion de s’exprimer sur la question, mardi 31 octobre. Lors de la conférence de presse régulière du ministère chinois des Affaires étrangères, un journaliste de Reuters a demandé au porte-parole de la diplomatie chinoise si la Chine a «exhorté ces plateformes qui fournissent des services cartographiques à supprimer Israël». Et Wang Wenbin de répondre : «Je pense que vous savez que la Chine et Israël entretiennent des relations diplomatiques normales. En ce qui concerne vos questions, le pays concerné est clairement indiqué sur les cartes standards publiées par les autorités chinoises compétentes, auxquelles vous pouvez vous référer.» Consultés par CheckNews, les planisphères du service de cartographie standard, rattaché au ministère chinois des ressources naturelles, affichent effectivement Israël, mais également la Palestine, et ne délimitent pas de frontières entre les deux territoires.

«Cette question avait été soulevée dès 2018»

Quelles que soient alors les raisons des anomalies observées sur les applications de Baidu et Alibaba, une chose est certaine : elles n’ont aucun lien avec le conflit en cours au Proche-Orient. Le sujet est même revenu régulièrement sur la table ces dernières années. Un tweet d’un biostatisticien chinois installé aux Etats-Unis renvoie vers une archive du site Zhihu, l’équivalent chinois du forum Quora, où un internaute chinois relatait en 2021 : «J’ai vérifié la zone sur Gaode Maps et Baidu Maps en Chine et j’ai trouvé un point commun. Aucune des deux sociétés n’indique explicitement “Israël” et “Palestine”. Cela indique clairement que ces sociétés, pour échapper aux débats sur la délimitation des territoires, choisissent simplement de ne pas indiquer clairement leur localisation.» Un autre tweet contient des captures d’écran de publications sur Weibo remontant à 2019 et 2020, où des utilisateurs du réseau social chinois interpellaient déjà Baidu quant à l’absence du nom «Israël» sur ses cartes.

«J’ai découvert sur Zhihu que cette question avait été soulevée dès 2018», écrit même, sur Twitter (rebaptisé X depuis), un professeur du département d’études sur l’Asie de l’Est de l’Université de Tel-Aviv, Zhang Ping. «A cette époque, Amap marquait uniquement la Palestine, tandis que Baidu Map marquait uniquement Israël. En fait, la Jordanie n’était même pas indiquée sur la carte Amap à cette époque. On voit que ces cartes privées ne référençaient pas cette zone de manière standardisée.» D’après Zhang Ping, ce serait donc «parce que la mention du nom de ces Etats a suscité des controverses», que depuis «les cartes privées ont simplement masqué ces noms». Déjà en 2019, à une période où «il n’y avait aucun problème dans les relations sino-israéliennes et il n’y avait aucune raison de manipuler la carte», fait remarquer le professeur, «il n’y avait ni Palestine ni Israël sur la carte Baidu».