Des commerces ont-ils été détruits à Yaoundé, au Cameroun, avant le passage d’Emmanuel Macron ?


Des commerces ont-ils été détruits à Yaoundé, au Cameroun, avant le passage d’Emmanuel Macron ?

Publié le mercredi 3 août 2022 à 11:12

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Un des commerces de «débrouillards» détruit avant la visite d'Emmanuel Macron, dans un quartier de Yaoundé, la capitale du Cameroun.

(Capture écran Youtube/Naja tv)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Une vidéo virale, issue d’une Web TV camerounaise, fait état de la destruction de boutiques en amont de la visite du Président français. Les autorités locales évoquent «des impératifs sécuritaires».

Plusieurs publications virales rapportent qu’en amont de la visite d’Emmanuel Macron au Cameroun, de nombreux commerces ont été détruits le long de l’itinéraire emprunté par le président français. La vidéo mise en ligne par le compte Twitter Histoire Du Cameroun, relayée en France par le journaliste de Valeurs actuelles Amaury Brelet, cumule ainsi près de 300 000 vues.

Tous ces tweets reprennent une seule et unique source : un reportage réalisé par le média en ligne camerounais NAJA TV, publié sur YouTube mardi 26 juillet, jour de la visite d’Emmanuel Macron. Le titre de la vidéo donne le ton : «Quand Macron passe, les casses suivent». «A quelques heures de l’arrivée du président français à Yaoundé, les populations souffrent le martyre. Leurs biens situés le long des itinéraires d’Emmanuel Macron sont cassés, les laissant bredouilles. Un nouveau chômage, un calvaire pour ces populations», détaille plus bas la légende. La séquence alterne entre plans montrant l’étendue des destructions, et témoignages de commerçants désabusés.

«Une centaine» d’installations concernées

Que s’est-il passé à Yaoundé ? «A l’occasion de la visite du président Macron, les autorités ont décidé de faire la toilette de la ville», résume auprès de CheckNews le directeur général adjoint de NAJA TV Jean-Bruno Tagne, évoquant «une toilette superficielle, qui ne change pas fondamentalement le visage de cette ville». Par «faire la toilette», il faut entendre «nettoyer tout le trajet emprunté par Emmanuel Macron» : entre l’aéroport et l’hôtel Hilton où il résidait, entre son hôtel et le palais abritant la présidence de la République camerounaise, mais aussi sur l’axe menant à la résidence de Yannick Noah, auquel le chef de l’Etat français devait rendre visite.

Les autorités de Yaoundé, poursuit Jean-Bruno Tagne, ont à cet effet «commencé par demander aux populations de peindre leurs maisons, pour ne pas que le président Macron voie la saleté». Puis ont «essayé de peindre les troncs d’arbre qu’il y a sur la route, de boucher les trous, les nids-de-poule». Et ont donc, aussi, dégagé la route en détruisant les commerces installés là, selon Brand Kamga, le journaliste de la web TV qui a réalisé le reportage faisant état de ces destructions.

«Plusieurs vagues de casses» ont suivi, relate-t-il. Une première est survenue le jeudi 21 juillet, du côté de Mvan, le quartier qui se situe à l’entrée de la ville depuis l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, où «la casse a concerné tous les petits commerces», ceux tenus par «des Camerounais débrouillards utilisant les bords de route pour se construire des petits kiosques, pour faire du petit commerce, de la soudure ou de la menuiserie, entre autres». L’autre zone concernée est Tongolo, quartier populaire où réside Yannick Noah. Le chemin conduisant au domicile du chanteur français a été «nettoyé sur 800 à 900 mètres».

Une seconde série de destructions s’est tenue lundi. «Cette fois-là, c’était vraiment la catastrophe, parce que les engins de la mairie de Yaoundé, sous escorte policière, ont débarqué, cassé les barrières, y compris celle des particuliers», déplore Brand Kamga. «Les pauvres citoyens ont vu leurs kiosques, boutiques, barrières de domiciles privés et restaurants cassés», renchérit le journaliste. Le bilan de l’opération est, d’après lui, estimé à «une centaine» d’installations «dégagées», et par la suite «pas moins de 100, 150 emplois détruits».

«Ils payent des impôts»

Ce qui fait dire à Brand Kamga que c’est bien «parce que le président français devait utiliser cette route» que les autorités ont procédé à des destructions, puisque, «cinq, dix mètres après l’itinéraire, plus rien du tout n’a été cassé». Une démarche qui, à ses yeux, est «une particularité», tandis que «quand le président [camerounais] Paul Biya veut lui-même utiliser un itinéraire précis, ce qu’on fait, c’est tout simplement qu’on ferme les commerces et tout ce qui est ouvert sur cet itinéraire, le temps de son passage»«Lorsque les commerces ou toute autre construction sont détruits en bordure de route, c’est généralement pour l’agrandissement de la voirie» et non pour la visite d’un chef d’Etat, insiste-t-il.

Enfin, le journaliste de NAJA TV regrette qu’«aucune explication» n’ait été donnée aux commerçants, qui n’ont selon lui «même pas été prévenus». Lors du passage des véhicules de la communauté urbaine de Yaoundé, «les hommes étaient dans leurs kiosques, dans leurs boutiques, ils n’ont pas eu le temps de prendre quoi que ce soit». Quant à la question de savoir si ces «débrouillards» étaient installés là légalement, Brand Kamga rétorque que «ceux-ci payent des impôts auprès de la mairie», ce qui ne serait pas le cas si «c’était un endroit que l’Etat ne considérait pas comme légal».

Guy Marie Bandolo, journaliste à BBC News Africa nuance : certes, des casses ont eu lieu en rapport avec la venue d’Emmanuel Macron, «mais il faut préciser que ces échoppes ne respectaient pas la réglementation, explique-t-il. A savoir laisser une distance de 10 mètres» minimum entre la chaussée et le bâti, «comme le prévoit la loi». Ce qui explique que les destructions menées jeudi dernier et lundi «ont principalement eu lieu sur l’itinéraire du village de Noah, où de nombreuses échoppes encombraient le trottoir».

Malgré l’existence de ces règles, les autorités font preuve de «tolérance administrative» : en bref, «le gouvernement laisse faire mais après sévit». Les casses surviennent de temps en temps, sans que l’on puisse anticiper leur fréquence, «en fonction des projets de réaménagement de la ville»«Et ce n’est pas nouveau», souligne Guy Marie Bandolo.

Opération lancée il y a un mois

«Ces destructions s’inscrivent dans le cadre d’un programme de libération des voies occupées illégalement et de manière anarchique», indique de son côté le chef de la division des inspections au sein de la communauté urbaine de Yaoundé. L’opération, menée «dans le cadre global de la lutte contre le désordre urbain et l’incivisme», a été lancée «il y a un mois environ» à Efoulan, une commune d’arrondissement de Yaoundé dont vient le maire de la ville.

«Lorsque la visite du président Macron a été officialisée, la mairie de Yaoundé a dû, provisoirement, suspendre l’opération ailleurs pour s’occuper prioritairement des itinéraires définis par le protocole d’Etat et devant être empruntes par le cortège du président», rapporte encore le chef de la division des inspections. Une décision qui se justifiait «non seulement par des impératifs sécuritaires, mais aussi par la tradition qui exige qu’un hôte de marque soit reçu dans la propreté».

Ce responsable camerounais, plutôt que de commerces détruits, préfère parler d’«étals de fortune et excroissances des agences de voyages qui encombrent les abords des voies». Lui aussi mentionne un encombrement particulièrement notable à Tongolo, le quartier de Yannick Noah, où «ces agences de voyages provoquent des embouteillages interminables» alors même qu’«une plateforme multimodale a été aménagée à leur intention par la mairie», dans un autre secteur de la ville.

Côté français, l’Elysée, contactée à ce sujet, n’a pas donné suite à nos sollicitations.