Est-il «obligatoire» d’utiliser de l’eau potable pour ses toilettes, comme l’affirme Christophe Béchu ?


Est-il «obligatoire» d’utiliser de l’eau potable pour ses toilettes, comme l’affirme Christophe Béchu ?

Publié le mercredi 1 mars 2023 à 14:21

– Mis à jour le mercredi 1 mars 2023 à 10:45

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Christophe Béchu le 15 février 2023 au Sénat

(Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Auteur(s)

Florian Gouthière

Selon la loi, il est tout à fait légal d’utiliser de l’eau de pluie «collectée à l’aval de toitures inaccessibles» pour alimenter sa chasse d’eau, pour peu que certaines précautions soient prises en termes de raccordement.

Le mercredi 22 février sur France Info (à 4′30), Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a jugé que la France était «en état d’alerte» à cause de la sécheresse, et a brossé les grandes lignes d’un futur «plan eau» visant à un usage plus raisonné de l’eau, potable et non potable. Celui-ci doit notamment permettre, explique le ministre, «de pouvoir davantage utiliser les eaux usées». Et d’expliquer que le recours aux eaux usées est bloqué par «la réglementation»«On s’est tellement habitué à ne pas avoir de problème d’eau potable qu’on met de l’eau potable partout, qu’on interdit par exemple que de l’eau pluviale puisse alimenter des toilettes, qu’on interdit que de l’eau usée puisse servir à aller arroser des espaces verts». L’intervieweur lui demande s’il est «obligatoire» que «l’eau de nos toilettes soit de l’eau potable». Ce que confirme Béchu : «Ça, c’est obligatoire.» Un propos déjà tenu par le ministre, fin janvier, auprès du Parisien.

Cette déclaration est inexacte. En effet, l’article 2 de l’arrêté du 21 août 2008«relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments», autorise bel et bien l’utilisation de l’eau de pluie dans les sanitaires : «A l’intérieur d’un bâtiment, l’eau de pluie collectée à l’aval de toitures inaccessibles, autres qu’en amiante-ciment ou en plomb, peut être utilisée uniquement pour l’évacuation des excrétas [les déjections, ndlr]», «et le lavage des sols».

L’utilisation d’eau de pluie reste toutefois interdite à l’intérieur de certains lieux : les crèches, les écoles maternelles et élémentaires, les établissements de santé, les établissements sociaux et médico-sociaux, d’hébergement de personnes âgées, les cabinets médicaux et dentaires, les laboratoires d’analyses de biologie médicale, les établissements de transfusion sanguine.

L’alimentation des lave-linge autorisée «à titre expérimental»

De même, «l’utilisation d’eau de pluie collectée à l’aval de toitures inaccessibles est autorisée, à titre expérimental, pour le lavage du linge», sous certaines réserves. A savoir : «La mise en œuvre de dispositifs de traitement de l’eau adaptés», dispositifs qui doivent être déclarés auprès du ministère en charge de la santé. La liste des installations concernées par l’expérimentation doit également être conservée par l’installateur, «et tenue à disposition du ministère en charge de la santé».

Sur cet usage spécifique, l’Agence nationale de sécurité sanitaire rappelle par ailleurs «qu’un lave-linge n’est pas une enceinte stérile et contient des populations microbiennes constituées de micro-organismes» notamment apportées par l’eau d’alimentation, et recommande donc, à titre de précaution, «que l’eau de pluie ne soit pas utilisée pour laver le linge [des] populations à risque d’allergie cutanée, ayant des maladies de peau ou des peaux [propices aux allergies], des jeunes enfants, qui mettent régulièrement le linge à la bouche, des personnes immunodéprimées, des personnes hospitalisées à domicile ou dont le linge est lavé à la maison […], ainsi que des personnes vivant à côté de sites industriels et de sites agricoles, où l’eau de pluie est susceptible de contenir davantage de contaminants chimiques».

L’eau de pluie autorisée pour l’arrosage

Le même arrêté précise que l’eau de pluie «peut être utilisée pour des usages domestiques extérieurs au bâtiment», tel que «l’arrosage des espaces verts accessibles au public», pour peu qu’il soit effectué «en dehors des périodes de fréquentation du public».

Le site du ministère de l’Intérieur insiste sur le fait que «l’eau de pluie que vous récupérez doit avoir uniquement ruisselé sur une toiture qui n’est pas accessible (sauf pour assurer son entretien et sa maintenance)». Le site du ministère de la Santé précise, quant à lui, que l’autorisation d’usage exclut toutes eaux «collectées sur d’autres surfaces». Conformément à l’arrêté de 2008, le stockage de l’eau doit par ailleurs se faire «dans une cuve hors-sol, ou enterrée», aucun produit antigel ne devant être appliqué dans la cuve de stockage.

Les deux ministères confirment, au passage, que les différents usages précités sont bien autorisés.

Toute connexion entre les réseaux de pluie et d’eau potable est interdite

Revenant sur l’arrêté du 21 août 2008 (toujours sur son site), le ministère de la Santé insiste sur le fait qu’il constitue «l’aboutissement d’un travail interministériel» conciliant «la nécessité de répondre à l’engouement croissant que connaît la récupération de l’eau de pluie et la nécessité de garantir la sécurité sanitaire des consommateurs dans l’utilisation d’une eau qui n’est pas potable». Et d’expliquer «qu’il entend rester vigilant dans l’application de cette réglementation», «afin de conserver les acquis en termes d’hygiène publique obtenus par l’alimentation en eau potable de l’ensemble de la population française».

Il rappelle aussi que «toute connexion entre le réseau d’eau de pluie et le réseau d’eau potable» est, elle, «interdite». En effet, «l’eau de pluie est une eau non potable, car contaminée microbiologiquement (principalement lors du ruissellement de l’eau sur le toit et dans la cuve de stockage) et chimiquement (pesticides dans la pluie, métaux par ruissellement sur le toit, etc). Elle ne respecte pas les limites de qualité fixées par le code de la santé publique pour les eaux destinées à la consommation humaine».

L’usage d’eau de pluie à l’intérieur d’un habitat nécessite donc «la coexistence d’un réseau d’eau de pluie (non potable) avec le réseau public de distribution d’eau potable». Toutefois, la présence de ces deux réseaux pourrait tôt ou tard exposer la population «à des risques sanitaires, en raison de la possibilité d’interconnexion entre eux» (pouvant notamment survenir «lors d’interventions ultérieures de plomberie»). Raison pour laquelle le ministère appelle à la vigilance sur ce point.

«Les expériences de “double réseau” ont montré, tant en France qu’à l’étranger, que la séparation totale de réseaux ne peut être assurée à long terme et /ou à grande échelle dès lors qu’un double réseau existe dans l’habitat», note le ministère. «Le développement à grande échelle de la récupération de l’eau de pluie dans l’habitat induit donc un risque de contamination de l’eau potable à l’échelle de l’habitat et à l’échelle d’une unité de distribution.» Les propriétaires d’installation distribuant de l’eau de pluie à l’intérieur d’un bâtiment sont soumis à des obligations d’entretien strictes.

Sollicité, le cabinet de Christophe Béchu n’a pas encore répondu à nos questions.